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dimanche 29 décembre 2013

Alchimie au château de Crazannes ?
Ses sculptures cacheraient-elles un secret ?

L’alchimie est un domaine qui intrigue en raison de son langage dit " hermétique " ! Avec le château de Dampierre-sur-Boutonne, connu pour sa fameuse galerie, le château de Crazannes, situé près de Saintes, possède sur sa façade des ornementations qui auraient un sens caché. 



Invité par les Archives de Charente-Maritime pour animer une conférence à Jonzac, Antoine Pellerin a expliqué au (nombreux) public le double message de ces sculptures. Un livre paru aux éditions du Croît Vif, " Crazannes, logis alchimique " est consacré à ce sujet un brin mystérieux.
Le saviez-vous ? La façade du château de Crazannes, datant du XVIe siècle, posséderait deux niveaux d’interprétation. L’être et le paraître en quelque sorte ! Tandis que certains y voient des sculptures “ésotériques“, d’autres estiment qu’il s’agit d’un pur style renaissance. Alchimie ou pas alchimie ?
Voilà bien la question soulevée par Antoine Pellerin qui avait devant lui un auditoire attentif, le sujet ayant de tout temps intrigué les esprits. Avant de dévoiler quelques secrets sur ce domaine mystérieux, autrement dit sur la lecture à faire des motifs, il expliqua comment un ouvrage avait pu être consacré à cette demeure énigmatique située à Port d’Envaux. «  Formidable aventure de trois ans  » qu’il a partagée avec Nicolas Faucherre.


Une alliance, comme celle du mercure et soufre ! 



En 2003, Nicolas Faucherre, alors professeur à l‘Université de La  Rochelle (il enseigne aujourd’hui dans le Sud de la France) et Antoine Pellerin, un passionné d’alchimie, acceptent de travailler sur le sujet, répondant à la demande de François Julien Labruyère, directeur des éditions du Croît Vif. Cette aventure littéraire n’est pas le fruit du hasard. Les deux hommes se connaissent et l’une des étudiantes de Nicolas Faucherre s’intéresse au château. Or, ses recherches se heurtent à des interrogations et pas n’importe lesquelles.
C’est en l’accompagnant à Crazannes qu’Antoine Pellerin remarque les nombreuses sculptures qui embellissent la façade principale. Intrigué, il les observe minutieusement et arrive à cette conclusion : dans leurs représentations, les artisans ont glissé des “messages“ particuliers s’adressant à des initiés. L’alchimie y apparaît en toile de fond.
Une telle révélation n’a rien d’étonnant. Les travaux de construction ont été commandés par Aimery Acarie du Bourdet au début du XVIe. Au cœur de la Renaissance, ce siècle est bouillonnant d’idées avec des humanistes comme Michel de Montaigne ou François Rabelais. Venant d’Italie, des aspirations nouvelles viennent rompre “la mystique austère“ du Moyen-Âge et comme l’Église n’est pas toujours bienveillante envers les esprits libres, les chercheurs utilisent un langage hermétique. N’oublions pas qu’à cette époque, elle est la première à enseigner que la Terre est un disque plat ! 

L’idée d’écrire un ouvrage prend rapidement forme. Nicolas Faucherre est chargé de la partie historique. Grâce à des documents précieux (dont les écrits de Denys Joly d’Aussy), il recueille bon nombre d’informations. Cependant, il reste une question à laquelle il ne peut répondre : «  Quelle preuve a-t-on que Bourdet était apte à comprendre le double langage des sculptures qu’il avait sous les yeux ? ». Pas la moindre, malheureusement.

Ce que devait être le logis initial
Que sait-on de l’histoire du château ? Il serait le premier édifice Renaissance de la région à présenter une façade ornée à usage privatif. Deux lectures y seraient offertes, l’une esthétique, l’autre relevant d’une «  métaphysique opérative ». Au fil des siècles, ayant appartenu à différentes familles, il a connu des périodes fastes et moins fastes. Un incendie, en particulier, l’a gravement endommagé.


Au XXe, soucieux de protéger l’édifice qui menace de s’effondrer, Chaudruc de Crazannes entreprend une rénovation : «  les sculptures d’origine, déposées vers 1830, ont été remises en place dans les années 1920. D’autres, trop abîmées, ont été refaites à d’identique, soit à cette période, soit en 1942 à la demande des Bâtiments de France qui confiaient ces réalisations aux artistes. Ils échappaient ainsi au STO. Soulignons au passage que le Baron Chaudruc et les Monuments Historiques se seraient livrés un véritable combat !  ».

Le château menaçait de s'écrouler...
Profitant d’un échafaudage, les deux auteurs ont localisé, dans les parties hautes, des éléments anciens réinsérés dans la maçonnerie. Ils ont identifié «  des sculptures neuves, ainsi que celles qui avaient été simplement réparées par l’adjonction d’attelles de ciment pierre  ». La seconde façade aurait dû être restaurée pareillement (les entourages de fenêtres avaient été préparés par les ouvriers), mais elle est restée en l’état. Elle affiche une allure étrange de manoir écossais, moins attrayante aux yeux des amateurs que sa “sœur jumelle festonnée“.
« Le livre que j’ai écrit avec Nicolas Faucherre est aussi l’histoire de cette enquête . Quand l’ancien propriétaire, M.  de Rochefort, m’a montré la façade ornée, j’ai tout de suite compris que sa richesse incroyable avait un sens. J’ai dit à Nicolas : on va faire une proposition d’interprétation, tout en essayant d’être cohérent. Le seul problème a été de distinguer les vraies sculptures des copies, d’autant que certaines, effondrées, avaient été replacées dans un endroit qui n’était pas le leur initialement. Il a fallu regarder les pièces une à une. Un spécialiste du Moyen-Âge a été consulté »  remarque Antoine Pellerin.

Le public réuni aux Archives de Jonzac
 L’esprit de l’homme est tombé dans la matière noire et il faut lui redonner la lumière  ! 

 «  L’alchimie est un labyrinthe : vous pouvez frapper à sa porte et rester en errance  ». En écoutant ces recommandations qui s’adressent aux “profanes“, on imagine un chemin long et semé d’embûches. La facilité serait de rester dans l’ignorance. Toutefois, “la curiosité“, comme l’appelle Antoine Pellerin, en chercheur passionné, est la plus forte. Durant de longs mois, il s’est investi dans la lecture du grimoire de pierre de Cazannes avec une attention particulière. La publication du livre a été « une sorte de conclusion », lui permettant d’envisager d’autres champs d’investigation. C’est très méthodiquement qu’il a détaillé ce qu’était le mercure, le soufre et le sel stabilisateur ainsi leur rôle dans les expériences des alchimistes, par-delà la symbolique. Les personnages de la porte d’entrée de Crazannes, allégorie du Grand œuvre, sont doubles. Les arbres, éléments du jardin minéral, ont une signification et le pèlerin n’est autre qu’un alchimiste qui chemine. «  Faites un voyage dans votre esprit  » recommanda le conférencier qui ajouta «  l’esprit de l’homme est tombé dans la matière noire et il faut lui redonner la lumière  » !


De longue date, les hommes veulent comprendre le monde qui les entoure. La création les fascine. Qui sont-ils, d’où viennent-ils, où vont-ils ? Le mystère reste entier et aujourd’hui encore, ils continuent à chercher, à explorer pour essayer de trouver la clé des songes ou les mystères de l’énergie quantique. La fusion des métaux, l’expérimentation des alliages leur ouvrent des nouvelles perspectives. La société progresse.
Contrairement à la chimie née au XVIIIe  siècle, qui codifie les formules, l’écriture alchimique n’existe pas. La transmission des connaissances est classique : elle s’effectue du maître à l’apprenti. Seuls les esprits suffisamment éveillés, délivrés des œillères, accèdent à la connaissance. Des ouvrages comme le “Mutus Liber“, édité en 1677 à La  Rochelle par un dénommé Altus, est révélateur : il ne comporte que des gravures. En s’exposant, les alchimistes couraient un danger réel puisque l’Église les traquait comme des sorciers. En conséquence, ils utilisaient un langage codé, allégorique. Les textes anciens parlent «  de principes universels qui s’adressent au monde vivant  ». La pierre philosophale est mentionnée plus tardivement.


L’accès aux livres cryptés est compliqué. Il faut d’ailleurs lire les récits des alchimistes avec prudence car leurs textes, y compris ceux les concernant, sont dignes des agents secrets. Quand Nicolas Flamel va à Saint-Jacques de Compostelle chercher l’étoile, il ne part pas en pèlerinage ! Il s’y rend par la terre, c’est-à-dire par voie sèche et rentre par la mer, la voie humide. En alchimie, « la voie sèche et son terme », décrits dans le traité de Basile Valentin en 1599, correspondent à la douzième et dernière clé de l’Œuvre. Son symbolisme se rapporte à une suite d’opérations dont l’ensemble est nommé “voie sèche“ par opposition à “la voie humide“ qui exigerait des ballons en verre plutôt que des creusets pour la préparation de la pierre philosophale…

Il est évident que tous les alchimistes n’ont pas poursuivi les mêmes recherches. Au XVIe  siècle, on les dit matérialistes, axés sur la transmutation des métaux. En France, des monnaies auraient été frappées avec de l’or alchimique pur à 100 %, donc sans impuretés. Au XVIIIe, c’est la franc-maçonnerie qui donne à l’alchimie sa connotation intellectuelle et philosophique en la présentant comme une “aspiration à la connaissance“. Au XXe  siècle, “l’alchimiste“ de Paulo Cuelho est devenu un best-seller ! L’alchimie garde sa part de mystère et fascine toujours et encore. Quant à l’artiste de Crazannes, il laisse une belle énigme sculptée dans la pierre, «  signature anonyme et magnifique qui s’accorde au précepte du prophète Zoroastre : savoir, pouvoir, oser, se taire  »


• La rosée des philosophes. Cette gravure extraite du Mutus Liber (conservé aux Archives de La  Rochelle) montre l’alchimiste et son épouse étendant et tordant des draps pour recueillir la “rosée céleste“ qui doit devenir la “rosée cuite“ dans la suite des opérations. Le mot “rosée“ a le sens grec de “rosis“ qui veut dire force, énergie.

 • Crazannes et Dampierre-sur-Boutonne
Les demeures philosophales du département seront-elles un jour recensées dans un guide ? Et pourquoi pas en deux versions, l’une destinée aux touristes et l’autre s’adressant à un public ciblé ? Le château de Crazannes est le premier édifice Renaissance de la région à présenter une façade ornée à usage privatif. Au château de Dampierre, la fameuse galerie à caissons, restaurée après le tragique incendie de 2002, est un lieu incontournable. Ajoutons à cette liste l’église de Lonzac et le château d‘Usson, situé à Pons, dont la structure primitive se trouvait sur la commune d’Echebrune (il a été reconstruit pierre par pierre au XIXe  siècle). Sans doute y manque-t-il des détails architecturaux, à moins que l’ingénieur William Augereau, en alchimiste averti, ait préservé les équilibres de sa nouvelle résidence !

La façade du château de Crazannes
• Opérer la transmutation de l’être et des métaux vils en or 
Longtemps confondue avec la magie et l’occultisme, l’alchimie est entourée d’un hâlo secret. Au XIXe siècle, Marcelin Berthelot voyait en elle « la recherche, d’inspiration spirituelle, d’un élixir universel capable d’opérer la transmutation de l’être et des métaux vils en or ». «  Il s’agit d’une science traditionnelle  » estiment les spécialistes, «  on doit la définir en fonction de ses rapports avec les structures et les valeurs des sociétés, des civilisations orientales et occidentales, antiques et médiévales où elle est née et s’est développée. Il faut se garder de la réduire à nos systèmes. C’est une mystique expérimentale. Elle observe principalement les relations entre la vie des métaux et l’âme universelle. Son désir est de délivrer l’esprit de la matière et la matière de l’esprit  ». Les trois voies de pénétration de l’alchimie arabe en Europe ont été l’Espagne (les Maures nous ont légué l’alambic), la Provence et la Sicile. Chassés d’Espagne, les savants juifs, installés dans le Sud de la France, ont contribué à sa propagation. Toutefois, nous n’avons pas à rougir : la plus vieille formule alchimique que nous possédons revient au moine Théophile. Dans son traité datant de la fin du XIe siècle, intitulé «  Schedula diversarum artium  », il mentionne le traitement des métaux pour fabriquer «  de l’or arabe et de l’or espagnol  ». En fait, il s’agirait d’alliages.

 • Se faire offrir une cornue pour les fêtes ?
S’il vous prenait l’envie de faire des expériences, il existe, dans la librairie du château de Dampierre, un catalogue édité par une association du centre de la France. Y sont recensés tous les objets dont l’alchimiste a besoin dans son laboratoire. Le feuilleter, c’est entrer dans un autre univers. De nos jours, il est vrai que le four à micro-ondes est plus répandu que la cornue ! Quant à l’athanor, appelé four philosophique car il devait permettre de réaliser la pierre philosophale (lapis philosophorum), il fait figure d’étrange objet. En forme de tour, il avait en son intérieur un récipient ovale (l’œuf) qui contenait la substance devant se transformer en pierre philosophale. Qu’importe si tout cela dépasse l’entendement, ne dit-on pas que pour comprendre l’alchimie, il faut oublier le moment présent ?…

 • Autrefois propriété de M. et Mme  de Rochefort, le château de Crazannes appartient à Jean-Pierre et Marie-Claude Giambiasi. En 2010, ils l’ont acheté à la barre du Tribunal de Saintes pour la somme de 1,33 M€. Le château, qui abrite des chambres d’hôtes, est ouvert toute l’année. Renseignement 05 46 90 15 94. contact@crazannes.com


• Crazannes a inspiré le conte du Chat Botté 
La sœur de Louis Acarie de la Rousselière avait épousé Jules Gouffier, comte de Caravaz, marquis de Saint-Cyr (XVIIeme). C’est ce personnage que Charles Perrault transforma en marquis de Carabas dans “Le Chat Botté“. La famille ayant possédé Crazannes, le château est entré dans la légende ! Des personnages célèbres sont passés par le château de Crazannes, dont le Prince Noir en 1362 (son nom est associé au château de Lormont près de Bordeaux) et le roi François 1er en 1519. Pierre Louis de La Rochefoucauld, évêque de Saintes, qui fut massacré à Paris en 1792, y séjourna.

Le donjon de Crazannes
Un musée consacré aux outils anciens est à découvrir au château
Reportage Nicole Bertin

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