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vendredi 13 septembre 2013

Barzan : Sous nos pieds,
la mystérieuse cité antique
de Novioregum

  
Il faudra bien des décennies pour fouiller les 150 hectares de cette ville qui connut une belle activité portuaire aux premiers siècles de notre ère, avant de sombrer dans l'oubli. Durant l'été, les fouilles se poursuivent au théâtre.


Ce qui frappe est le silence. Difficile d'imaginer des rues animées, des gens allant et venant, des bateaux déchargeant leurs cargaisons sur les quais, face à cette grande étendue d'eau que les générations d'après ont baptisée "Estuaire de la Gironde"...
Se diriger vers l'ancien théâtre, c'est emprunter une voie ancienne devenue simple chemin de terre au fil du temps. De l'autre côté d'une vigne, dont les premiers pieds ne poussaient pas (et pour cause, leurs racines se heurtaient à l'ancien pavage), se trouvait une artère encore plus importante.

Une grande cité en bordure d'estuaire (Plan de Cl. Masse)...
Pour comprendre l'ampleur de la cité de Novioregum, l'actuelle Barzan, il faut faire preuve d'imagination. Il n'en reste pas grand chose. Le temps l'a ensevelie sous une épaisseur de terre, comme un linceul jeté sur l'opacité du temps. Seuls les vestiges les plus imposants ont résisté aux assauts et témoignent d'une grandeur passée. Les thermes et autres monuments, eux, ont disparu. Au XVIIe siècle, un moulin a d'ailleurs été construit sur le temple circulaire dédié à Mars.

A l'époque de Louis XIV, Claude Masse, le géographe du roi, ne s'y trompe pas. De passage dans la région où il réalise un inventaire des Côtes de Saintonge, il remarque la base d'une tour romaine et la présence de ce qui pourrait être un amphithéâtre. A son sommet, le mur de protection tient encore debout. En cet endroit, les villageois ont pour habitude de prendre des pierres pour construire leurs maisons. Intimement convaincus que sous le soleil « rien ne se perd, tout se transforme », ils puisent sans arrière-pensée dans cette carrière qu'ils appellent "le château-fort".
Fini les jeux du cirque, les siècles ont gommé ces coutumes cruelles ! Depuis l'avènement du christianisme, plus personne ne se délecte du spectacle infligé aux chrétiens livrés à la férocité des fauves, comme ce fut le cas dans les arènes de Saintes. Qu'en fut-il à Barzan ? « Nous avons remarqué que lors de l'agrandissement, une balustrade d'une certaine dimension a été édifiée entre l'espace scénique et les spectateurs » soulignent les spécialistes. Histoire de les protéger ?

Fouilles durant l'été dernier

Cet édifice est un témoin précieux de l'antiquité dont les archéologues cherchent à percer les mystères. Depuis des années, ils se succèdent sur le site qui distille ses informations au compte-gouttes. Par fortes chaleurs ou pluies estivales, ils s'activent. Ici, pas de grande découverte, mais des morceaux qui, ajoutés les uns aux autres, forment un ensemble de belle qualité.
La colline, sur laquelle s'appuie cette structure en demi-cercle, n'a pas été choisie par hasard. Face à l’estuaire, la perspective est propice à l'évasion. Des gradins, les spectateurs devaient avoir une vue imprenable. Ceux qui étaient haut perchés en tout cas car il est probable qu’à l'entrée, une enceinte élevée masquait les terres alentour. Elle évitait que le regard ne se perde dans l’horizon d'une région déjà haute en couleurs.

Les fouilles dans le théâtre
Ce lieu a inspiré une bande dessinée La vestale du Fâ d'Olivier Fouché et Pierre Dumousseau, album paru aux éditions du Croît Vif
Un théâtre de 5000 personnes

Cette année , les chercheurs ont eu une bonne surprise : ils ont mis au jour une première inscription sur un bloc : elle correspond à la dédicace du théâtre. Bien sûr, il manque des mots, mais il est possible de se faire une idée. Le nom des bienfaiteurs y était gravé. Il s'agissait de patriciens et de personnages influents. Suffisamment riches pour offrir une œuvre de cette envergure ! Cette pratique s'est perpétuée de nos jours quand une plaque est dévoilée sur un édifice inauguré.

Visite guidée par Stéphane Gustave



Cette pierre comporte une inscription. Elles sont rares sur le site, c'est pourquoi la découverte de l'une d'elles suscite toujours de l'émotion !
Toutes les semaines, Stéphane Gustave organise une visite guidée et c’est avec intérêt que les visiteurs suivent ses commentaires. Edifiée au Ier  siècle de notre ère pour être agrandie au siècle suivant , ce lieu de rendez-vous était l'équivalent d'une grande salle de spectacles. Le public y venait pour s'y distraire et s'amuser. Panem et circonses. Le théâtre perdant de sa popularité au IIIe  siècle, il y a tout de lieu de penser que des équipes de gladiateurs ont succédé aux comédiens. Gladiator version Novioregum et bien sûr Mediolanum Santonum, l'agglomération toute proche qui allait devenir Saintes.
Le site a été découvert en 1975 grâce aux photos aériennes réalisées par Jacques Dassié. A certaines périodes en effet, des reliefs se dessinent sur le sol au milieu des cultures. Au début du XXe  siècle, un premier chantier avait été lancé par Léon Massiou autour de l’actuel moulin. Des équipes revinrent en 1935 pour arrêter leurs investigations en 1960.

Cette fois-ci, pas question d'abandonner la cité mystérieuse. Dans les années 2000, le Conseil Général a lancé une nouvelle campagne de fouilles. Originalité, aux côtés d'étudiants et de bénévoles, les deux archéologues Graziella Tendron et Antoine Nadeau dépendent désormais d'une société privée Eveha (études et valorisation archéologiques) qui a établi une convention avec le Département (2013 à 2015).
Hormis des maçonneries dont les moellons sont alignés de main de maître, les objets retrouvés sont rares (monnaies, fragments de poterie). Le lieu n’étant pas une habitation, cette réalité s’explique facilement.
Les pierres utilisées venaient des carrières de Thénac, Pons et de Marcamps en Gironde. Certaines sont parvenues jusqu’à nous avec leurs sculptures dont une magnifique corniche. « Nous avons pu nous faire une idée de l'ampleur de cette construction grâce à la détection électrique. Peu à peu, nous découvrons son aménagement dont un escalier qui monte au niveau supérieur ». Chaque détail est un élément supplémentaire qui permet de reconstituer les morceaux du puzzle. Les gradins étaient en pierre et non en bois, ce qui dénote de l'importance de ce théâtre qui pouvait accueillir jusqu'à 5000 personnes. « On a longtemps cru qu'il était éloigné de la ville. En réalité, il n'en était que la continuité avec un quartier d'artisans situé à proximité » explique le conférencier.

Croquis extrait de la Vestale du Fâ
Pourquoi cette ville aux belles dimensions a-t-elle été abandonnée au IVe  siècle ? Serait-ce en raison de l’envasement du port ? Ou bien s’agirait-il d’une crise économique, voire d’une épidémie ? Pour les historiens, cette situation découlerait des périls liés à la piraterie.
À partir des années 250, Saxons et Francs descendirent sur les côtes atlantiques pour les piller. Or, ce grand port, situé entre Nantes et les Pyrénées, était très exposé car non protégé. Face à l’insécurité grandissante, Barzan a pu être abandonnée au profit de Blaye où une garnison était stationnée. Blaye se serait alors développée en même temps que Bordeaux tandis que Novioregum, moins stratégique, se serait endormie pour toujours.
Un musée consacré à nos ancêtres Gallo-Romains a été aménagée autour du moulin du Fâ. De nombreuses animations y attendent le public ainsi que des explications détaillées. Une visite à ne pas manquer pour les Journées du Patrimoine !

Reportage/photos Nicole Bertin

Ce théâtre, qui accueillait des artistes, a été transformé pour devenir une arène plus "remuante" avec, qui sait, des combats de gladiateurs ? Dans les arènes très proches de Saintes (Mediolanum Santonum),
des chrétiens ont été persécutés...

• Le site du Fâ est désormais gérée par la société Sogecie (déjà présente au Paléosite de Saint-Césaire et à la Cité de l'Huître de Marennes) qui a répondu à un appel d'offres lancé par le Conseil général. Elle succède à l'ASSA Barzan qui a longtemps encadré cette structure et y conduit des fouilles dès 1994. Le coordinateur actuel est Olivier Chanoit. Visite du site, renseignements 05 46 90 43 66.


• La vue d’ensemble laisse apparaître une agglomération d’envergure, d’une centaine d’hectares. Sur l’image de synthèse qui a été réalisée, on aperçoit bon nombre de bâtiments publics, une importante voirie, de grosses constructions. Parmi celles-ci, des thermes, un forum, des édifices religieux, des quartiers d’habitations, des magasins de stockage. L’avenue principale, de 300 mètres de longueur, relie deux zones de temples. Les nombreux entrepôts sont le signe d'une véritable prospérité et d’échanges commerciaux. Selon les chercheurs, le secteur était occupé dès le Ve  siècle avant J.-C. par les Gaulois puisque l’on a retrouvé divers éléments permettant cette datation, dont des céramiques, fibules et un détail de vaisselle étrusque (fragment de poignée d’un bassin servant à se laver les pieds). Cet objet rare est le troisième répertorié dans l’hexagone. Le nombre et la qualité des objets prouvent que les habitants étaient prospères et raffinés.


• Le théâtre, de 80 mètres de diamètre, a trouvé place dans la colline, au creux d’un relief naturel situé face à l’estuaire (sur cette photo, un ancien pavage).

• Une machine unique dans toute la Gaule

Depuis plus de dix ans, des fouilles se poursuivent. Dédiées à Mars, le dieu de la guerre, « les imposantes ruines correspondent au podium d’un temple circulaire monumental. Sa forme de tradition indigène, centrée et ouverte à l’Est, est la copie de la Tour de Vésone à Périgueux. Il était entouré par une galerie, péribole délimitant l’espace sacré ». Une occupation antérieure, gauloise en particulier, a été identifiée. Les universités de Bordeaux, Poitiers et La  Rochelle, ainsi que Pierre Aupert, directeur de recherches au CNRS, ont travaillé sur le site. Des images de synthèse permettent d’imaginer la structure des thermes, dont l’emplacement a fait l’objet d’un aménagement. Elle avait fière allure avec ses colonnes corinthiennes : «  ce bâtiment était en partie connu depuis les premiers sondages effectués en 1938. Ensuite, ce périmètre a été rebouché  ».
Ce vaste édifice de 3000 m2 date de l’époque de Trajan. Son architecture est classique avec son couloir, sa schola (pièce de réunion) et des salles où les hommes venaient se remettre en forme après sudation et exercices. À proximité, se trouvaient des boutiques, des maisons d’habitation et des latrines publiques. La découverte la plus intéressante concerne le système d’alimentation en eau. Il comprenait un large puits de seize mètres de profondeur. Le mécanisme servait à transporter l’eau grâce à une roue entraînée par une chaîne à godets. Préservé par les eaux de la nappe phréatique, il ne s’est pas altéré malgré le temps. L’état du bois, exceptionnel, a été une aubaine pour les archéologues.
Très abîmés par le temps et recouverts de terre, les “horrea“ ont livré peu d’indices sur les marchandises qui transitaient par les entrepôts.

• Claude Masse, ingénieur et géographe du roi Louis XIV, a étudié toutes les communes de la côte de la Saintonge. Ses travaux sont très instructifs pour les archéologues.
Voici le paragraphe qu'il consacre à la Maison de la Garde (commune actuelle de Barzan) : « Environ à 1100 toises de Talmont, la tradition assure qu'il y avait jadis une ville fameuse. La première preuve visible est la base d'une tour de 13 à 14 toises* de diamètre sur laquelle on a bâti un moulin que l'on appelle du Far que l'on croit avoir été un ancien fanal.
La seconde est qu'environ vers le sommet de la montagne de la hauteur de la Garde au sud-est du logis de ce nom, il paraissait encore en 1708 les vestiges d'un château que l'on croit être véritablement les fondations d'un cirque parce que l'on voit visiblement que c'était une figure ovale ...
La troisième preuve est la quantité de vestiges et débris de matériaux antiques de toutes espèces que l'on trouve sur le penchant à l'ouest de cette hauteur. On dit que le port était au Nord-est de la conche d'Aury et de Pilloüa et proche d'une maison à l'extrémité de la prairie. L'on voit encore quelques vestiges de gros murs, et il parait fort naturel que toutes les prairies qui sont au Nord de Talmont furent autrefois baignées de la mer comme le vulgaire l'assure.
La quatrième preuve au sujet de cet endroit est le nombre de vieilles monnaies et médailles et autres antiquités que l'on a trouvées et que l'on rencontre encore quelquefois en remuant la terre »

* 1 toise = 1,96 m.

Le promontoire de Talmont



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