Comment ne pas être intimidé quand on a rendez-vous avec un témoin si âgé qu’il est en lui-même un livre d’histoire ? À Pessines, près de Saintes, le fameux chêne de Montravail est un "patriarche" qui inspire le respect et retient l’attention des spécialistes.
Auprès de sa mare où s’ébattent des canards, il vit peinard, étend ses branches qui portent des bourgeons, signe évident du réchauffement climatique. Il trône comme un vieux monarque dont la mémoire est si grande qu’il a promis d’en préserver les secrets. Déjà gardien en son lopin quand le logis a été construit, il traverse le temps avec une détermination propre à cette variété d’arbres, connus pour symboliser la virilité, la force et l’endurance.
Rescapé des aléas, il a souffert et sa circonférence a perdu en importance. Les tempêtes, en particulier, l’ont bouleversé. Son tronc laisse apparaître des creux et des blessures semblables à celles d’un soldat valeureux qui aurait combattu au champ d’honneur.
Il n’en reste pas moins fidèle à sa mission. Aux beaux jours, ses feuilles se parent d’un vert tendre, aussi douces que la mousse qui entoure ses flancs. À l’automne, il offre ses fruits. Ses glands sont autant de petites graines qu’il donne à la postérité.
Par sa forme et son allure, on le croirait sorti d’une estampe japonaise ! Estropié d’un côté, ses membres desséchés témoignent d’une époque révolue. Il est moins spectaculaire que sur les cartes postales du XIXe siècle, quand son corps abritait, dit-on, plus de dix personnes.
Ses propriétaires actuels, M. et Mme Loiseau, en prennent soin : « nous éprouvons de l’admiration pour lui ».
Un arbre d’un tel âge est un ancêtre, c’est pourquoi il ne correspond pas forcément aux canons de la beauté qu’imaginent certains visiteurs. Ils pénètrent dans la propriété (privée), pensant y trouver un phénomène ou pourquoi pas le colosse de Rhodes ! Certes, le chêne est imposant, mais c’est en le regardant de près qu’on partage son histoire. Émouvante est le mot juste. Il faut prendre le temps de l’écouter. Pour les uns, il serait contemporain de l’empereur romain Antonin. Il aurait été un jeunot à l’époque de Medialanum Santonum ! Pour les autres, il n’aurait que 1 000 ans, période où fleurirent les premières églises romanes. Qui sait s’il n’a pas accueilli, en ses ramées, un druide à la serpe d‘or ?
Qu’importe les rides, il conserve une sorte de majesté qui le transforme en compagnon d’éternité.
14 mètres de circonférence
Le 25 juillet 1883, Hippolyte de Tilly, maire de Pessines, membre de la Société des Archives Historiques de l’Aunis et de la Saintonge (aujourd’hui présidée par le jonzacais Marc Seguin) publie un long article sur le chêne de Montravail. Cette description est fort intéressante car elle réunit moult informations.
Il avait été question d’abattre l’arbre : « On avait répandu le bruit que cet arbre, aux proportions phénoménales, allait tomber sous le tranchant de la cognée, pour être débité en bois de feu. Nous sommes heureux maintenant de démentir cette nouvelle. Le propriétaire de ce vénérable doyen de nos forêts paraît décidé à respecter son âge qui se compte par près de vingt siècles ».
On y apprend que « la partie intérieure du tronc, creuse, a été transformée en salle circulaire de deux mètres de diamètre. Une banquette en pierre établie à l’entour permet à 12 personnes de s’y asseoir commodément. Une ouverture carrée pratiquée dans l’écorce sert de porte à ce cabinet d’un nouveau genre ». Le chêne de Montravail mesure 14,10 mètres de circonférence à ras de terre et 10,85 mètres à un mètre au-dessus du sol.
« Dans l’intérieur, on peut remarquer un fragment du tronc de 20 centimètres d’épaisseur, sur lequel il serait facile, à l’aide d’une loupe, de distinguer les couches concentriques que chaque année de croissance a formées et de les compter exactement, après avoir poli la tranche de ce morceau de bois. En établissant une proportion entre l’épaisseur de ce fragment et le rayon de la circonférence de l’arbre, on déterminerait approximativement le nombre de couches concentriques qu’il contient. Ce serait le moyen de connaître à peu près son âge et de contrôler l’exactitude des calculs de M. d’Orbigny qui lui assigne, peut-être avec raison, 2 000 ans d’existence » souligne l’auteur.
Et de conclure : « Cet arbre est certainement l’un des plus vieux et des plus remarquables qu’il y ait en France. Il n’a guère de rivaux que le chêne d’Allouville en Seine-Inférieure et celui de La Grange, commune de Villedieu dans le Maine-et-Loire, dont le tronc est tellement gros qu’on a pu établir dans sa cavité une chapelle connue sous le nom de sanctuaire de Saint-Joseph-du-Chêne ».
En ce début 2012, que souhaiter à notre chêne ? Qu’il vive encore longtemps en fredonnant cette belle chanson de Brassens : Au pied de mon arbre, je vivais heureux…
• L'info en plus
Une porte vitrée…
Les excès de zèle des anciens propriétaires ont sans aucun doute détérioré le chêne : « On a creusé dans le bois mort de l’intérieur du tronc, un salon de trois à quatre mètres de diamètre, sur trois mètres de hauteur, et on y a aménagé un banc circulaire taillé en plein bois. On place au besoin une table ronde au milieu et douze convives peuvent facilement s’asseoir autour ; enfin une fenêtre et une porte vitrée donnent du jour à cette salle à manger d’un nouveau genre ». Le chêne a longtemps été la propriété de la famille Pitard, dont certains étaient échevins à Saintes, puis des Fonteneau.
• Plusieurs légendes gravitent autour du chêne qui aurait été le lieu de rendez-vous des chats. Les nuits de sabbat, les matous tenaient audience à son pied et faisaient ripaille. Ils allaient jusqu’à se faire les griffes sur son tronc.
• Les noces de chêne se célèbrent après 80 ans de mariage. Les mariés du domaine de Montravail entraient en son tronc creux pour y échanger leurs serments.
Le chêne a été très endommagé lors de la tempête de décembre 99, où il a perdu une partie de son tronc. Dans les années 2000, la mairie a planté l’un de ses “enfants“ devant l’église. À Pessines, tous les habitants sont solides comme des chênes, à commencer par le maire Jean-Paul Boucard !
• Point de vue avec Jean-Luc Thébault, technicien à la Direction Départementale des Territoires et de la Mer
Jean-Luc Thébault, quelles sont les espèces d’arbres qui sont connues, en Charente-Maritime, pour avoir la plus grande longévité ?
Les chênes, ifs, châtaigniers et tilleuls.
• Quels facteurs favorisent cette longévité ?
Elle réside très certainement dans leurs gênes. D’autres facteurs favorisent cette longévité. Il faut que l’arbre soit dans de bonnes conditions de sol et de climat, qu’il ne subisse pas trop de grands aléas climatiques (tempêtes, sécheresse), ni d’attaques diverses, insectes, maladie et agressions humaines.
Comment dater exactement l’âge des arbres ? En ce qui concerne le chêne de Pessines, on dit qu’il pourrait avoir 2 000 ans. D’autres avancent le chiffre déjà honorable de 1 000 ans. Où est la vérité ?
La taille et la grosseur peuvent être des indicateurs de l’âge d’un arbre. Toutefois, il faut savoir qu’entre un arbre qui va pousser tout seul au milieu d’un champ et un autre au milieu de la forêt, à âge égal, celui qui aura poussé dans le champ sans concurrence de ses congénères sera plus gros en tronc et son houppier sera plus développé. Et pourtant, ils auront le même âge !
Un moyen de connaître l’âge d’un arbre est d’avoir une coupe transversale du tronc où l’on voit apparaître alternativement un cerne de couleur clair et foncé. Le cerne de couleur clair correspond à la pousse de printemps et le foncé à la pousse d’été. On compte donc les cernes foncés et le nombre obtenu donne l’âge de l’arbre. Seul inconvénient de cette méthode, l’arbre doit être abattu. Il existe une tarière spéciale qui permet de prélever une carotte (sans dommage pour l’arbre) et de compter les cernes avant de la replacer dans le tronc.
Comment préserver un arbre “ancien“ quand on a la chance d’en avoir un dans son environnement ?
En évitant de changer son environnement. Un vieil arbre est habitué à prospecter son eau et sa nourriture dans un certain volume. Si ce volume est modifié par des travaux de proximité, l’arbre aura beaucoup de mal à réagir et à s’adapter aux nouvelles conditions.
Les blessures (branches cassées, pollution, écorces arrachées), volontaires ou non, sont des portes ouvertes aux parasites et maladies qui affaiblissent l’arbre. Il faut éviter de colmater ces blessures avec du ciment, des tôles ou autres produits sous prétexte d’empêcher l’eau de pénétrer dans la blessure. Bien souvent, ces colmatages favorisent des pourritures internes. L’arbre possède ses propres moyens de défense contre les attaques extérieures qu’il est préférable de laisser se développer.
Mais il ne faut pas oublier que l’arbre est un être vivant et que malheureusement, il est mortel…
Personnellement, quel est le plus bel arbre que vous ayez rencontré sur votre chemin ?
Les arbres les plus imposants que j’ai rencontrés sont certainement des chênes, mais j’ai le souvenir d’avoir croisé une ou deux thalles de châtaigniers remarquables autant par leur taille que leur aspect, et aussi de magnifiques Douglas dans le Limousin.
Propos recueillis par Nicole Bertin
Bonjour Nicole Natif de Sousmoulins à La croix Rouge où il y a un chêne remarquable étêté par EDF , il y a une trentaine d'année , pour protéger sa ligne électrique ( très mal placée ). Cette arbre est-il classé et protégé? Après mes recherches je n'ai trouvé aucune trace . MERCI
RépondreSupprimerBel arbre qui a mérité son label d'arbre remarquable décerné par Georges Feterman président de l'association A.R.B.R.E.S le 21 mai 2019.
RépondreSupprimerSes enfants, les chênes alentours, propagent avec lui, une belle énergie .