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jeudi 3 septembre 2009

Jonzac :
L’école y était gratuite avant la loi de Jules Ferry


Dernièrement au cloître des Carmes, James Pitaud a parlé des débuts de l’école en Haute Saintonge, un sujet qu’il connaît bien puisque l’enseignement était son métier. Passionné d’histoire, il s’est spécialisé dans le XIXe  siècle, une période charnière pour l’instruction.

Jeudi dernier, les enfants ont repris le chemin de l’école. En septembre, la rentrée scolaire constitue le rendez-vous incontournable du jeune citoyen français depuis qu’en 1881 et 1882, Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction Publique, proclama la gratuité, la laïcité et l’obligation de l’enseignement primaire.

Les débuts furent héroïques. Avant que la génération des “connecting people“ ne surfe sur le web, nos aïeux ont accompli un long chemin, parfois jonché d’épines. L’enjeu était de taille : au nom de l’égalité et de la fraternité, il s’agissait de prodiguer à tous les petits Français une éducation qui leur permettrait d’échapper à l’ignorance. Durant des siècles, en effet, seule une élite savait lire et écrire.

Le miracle ne s’accomplit pas en un jour. À Jonzac, il fallut près d’un siècle pour que les doléances recueillies en 1789 dans les fameux cahiers, ne deviennent réalité. À l’époque, la population (protestante et catholique) souhaitait « de bons instituteurs et d’intègres magistrats ». Le savoir et une justice équitable rémunérés sur le « trésor du clergé ». « En réalité, cette manne financière servit à financer les guerres de la Révolution » remarque James Pitaud.

Au début du XIXe siècle, chaque commune est donc “invitée“ à disposer d’une école. L’arrondissement de Jonzac remplit sa mission, proposant des écoles payantes tenues par deux catégories d’enseignants, les commissionnés (munis d’un titre de capacité délivré par la Commission d’arrondissement) et les instituteurs libres en 1802. La ville n’est pas si mal lotie avec ses huit écoles, ses huit instituteurs et ses 154 élèves sur les 500 recensés (on ignore où étaient les bâtiments).
Chaque maître a ses spécialités et ses tarifs : ainsi M. de Villefumade enseigne-t-il l’écriture, le calcul et le latin tandis que Mademoiselle Sauvêtre se contente de l’écriture et de la lecture. Les programmes sont à la carte. Les communes s’organisent et l’enseignement peut être un débouché pour les anciens militaires (estropiés en particulier).

Les parents rémunèrent les instituteurs

L’ordonnance concernant l’ouverture des écoles date de 1816. À Jonzac, le premier bâtiment ouvert aux garçons est effectif en 1819 suivi, un an plus tard, par une école de filles. « En 1822, les trois quarts des communes du secteur ont une école » souligne James Pitaud.
Une réalité s’impose : l’existence des écoles dépend de la seule volonté des populations à payer les maîtres. Les parents apportent une rétribution selon leur lieu de résidence, leur situation personnelle et la durée de fréquentation de leurs enfants. En effet, à la campagne, les travaux des champs sont accomplis par l’ensemble des “bras“ que compte chaque famille ! Pendant les vendanges ou les moissons, pas question d’aller étudier !
Cette rémunération peut être très importante et représente un réel investissement pour les gens modestes (l’équivalent du prix d’une vache pour deux enfants sur Fontaines d’Ozillac !). À l’époque, l’école fonctionne onze mois, le mois des vacances étant septembre.

Tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne en matière d’instruction. Le Sud Saintonge, par exemple, fait pâle figure face au riche canton viticole d’Archiac qui dispose de quatorze écoles dans onze de ses seize communes ! Sous la Restauration, existe « une fièvre de la scolarisation ».

Par la connaissance, s’ouvrent des voies nouvelles. Les enfants défavorisés, les “indigents“, ne sont pas oubliés puisqu’ils bénéficient de la gratuité (la mairie prend en charge les dépenses). Par ailleurs, les problèmes religieux agitent tout de même la population. Sous Louis Philippe, outre l’établissement réservé aux garçons, Jonzac possède pour les filles une école laïque payante, une école gratuite confessionnelle et une école pour jeunes filles indigentes protestantes. Voilà qui permet aux communautés de s’y retrouver…

L’instruction, «le pain de l’âme»

À partir de la loi Guizot de juin 1833, acte de naissance des écoles primaires publiques « celles qu’entretiennent en tout ou partie, les Communes, les Départements ou l’État », l’instituteur perçoit un traitement fixe (de l’ordre 200  francs par mois complété par les parents). La profession se structure avec la création d’une Caisse de retraite et la formation des Écoles Normales.
Tout n’est pas rose pour autant ! À Fontaines d’Ozillac, le logement de l’instituteur et de sa femme (dans l’immeuble des époux Rouhaud) laisse franchement à désirer. Les revenus mensuels ne suffisent pas à faire vivre les instituteurs. Ils se trouvent alors des “petits boulots“ (chantre à l’église, secrétaire de mairie, buraliste). Pour faire face, certaines écoles s’unissent, d’où l’existence des premiers regroupements. James Pitaud cite le cas de Mérignac et du Pin où apparaît un sérieux différend (La mairie du Pin ne veut pas payer pour les petites indigentes de la région de Bordeaux qui résident à l’hospice).

La loi Falloux de 1850 permet aux congrégations religieuses d’enseigner. Selon une enquête réalisée en 1875 dans l’arrondissement, six écoles libres de garçons accueillent 4 % des enfants contre 31 % dans les écoles communales tandis que 21 écoles libres de filles instruisent 22 % d’élèves contre 30 % dans le public.
Jonzac fait de gros efforts en faveur de la gratuité de l’école. Avant le vote de la loi Jules Ferry, alors que M. Gautret est maire, cette décision est votée en 1878, « l’instruction représentant le pain de l’âme ».

La ville dispose d’une salle d’asile gratuite ouverte vers 1860, tenue par les Sœurs (garçons et filles de moins de six ans, établissement situé à l’actuel Pinocchio, rue des Carmes), d’une école de garçons dans l’actuelle salle municipale, d’une école de filles, toujours rue des Carmes, d’une institution secondaire pour les filles à la Sagesse et d’une structure privée pour les garçons appelée “Collège de l’union des pères de famille“. C’est d’ailleurs M. Gautret qui décide de laïciser les écoles de Jonzac. À partir de 1881, chaque commune assure une dotation pour concourir aux dépenses d’instruction primaire.

Jonzac ne manque pas d’anecdotes au sujet de l’école dont une querelle qui opposa Victor Étienne Gautret au Parti conservateur jonzacais. Conséquence, les filles boudèrent l’école communale implantée rue Paul Bert pour l’école Jeanne d’Arc (la Sagesse) jusqu’au jour où Émile Combes trancha dans le vif en interdisant aux congrégations religieuses d’enseigner. C’est dans la seconde moitié du XIXe siècle que furent construits les bâtiments de l’école primaire actuelle (André Malraux) et ceux de la rue Paul Bert (aujourd’hui Banque alimentaire), le nombre d’élèves ayant doublé avec l’obligation de scolarité.

Malgré des frictions, l’école avance. En 1922, Léopold Dussaigne, inspecteur départemental, et James Sclafer, député maire, ouvrirent le cours complémentaire de Jonzac, établissement mixte qui permit aux jeunes Jonzacais de suivre des études sans avoir à payer des internats coûteux. Jonzac a une pensée émue pour ces hommes qui ont fait évoluer la société…

Photo 1 : Hélène Taillemite, responsable de l'annexe jonzacaise des archives départementales

Photo 2 : Dans le public, Paul Rousset, dont la grand-mère était institutrice à Jonzac, participait à cette conférence. Il prépare un second tome sur l’histoire de la commune de Jussas.

Photo 3 : James Pitaud a rappelé les cahiers de doléances rédigés en 1789 : la paroisse de Jonzac y demande de bons instituteurs, de dignes pasteurs et d’intègres magistrats rétribués par un prélèvement sur le trésor du clergé.
Avant la Révolution, l’Église a le monopole de l’enseignement. Les choses changent en 1789. Les congrégations se retrouvent dans une situation difficile, d’où la loi Falloux qui leur rend en 1850 des marges de manœuvre. C’est en 1828 que la commune de Jonzac accueille les sœurs de la Sagesse, chargées de soigner malades et de s’occuper des indigents. Elles ouvrent une institution qui assure l’éducation des jeunes filles. La commune leur demande par ailleurs d’accueillir les petites filles indigentes. Un problème va se poser avec la communauté protestante, l’enseignement prodigué étant catholique…

Photo 4 : Un nombreux public

Photo 5 : Une photo de l’école des filles, rue Paul Bert, datant de 1898.

• L'info en plus

Elles pensent, donc elles sont !

L’avenir le plus brillant est, bien entendu, réservé aux garçons. Promises à un autre destin (celui de devenir des épouses), les filles reçoivent un enseignement différent. Leurs lectures sont l’objet d’un contrôle rigoureux. Ainsi, en 1787, la réflexion d’une jeune italienne est révélatrice : « on ne nous apprend pas à écrire de peur que la plume ne nous serve à écrire des lettres d’amour. On ne nous permettrait pas non plus de lire si nous ne devions pas nous servir de livres de prières ». De là à évoquer le poids de la morale et de la religion sur l’épanouissement personnel, il n’y a qu’un pas…
En France, la Révolution a fermé les couvents qui dispensaient aux jeunes filles une éducation “adaptée“. La grande question est de savoir ce qu’elles doivent apprendre, sans ignorer que leur mission première est de mettre au monde des enfants, autrement dit de perpétuer la lignée !
Les hommes sont nombreux à avoir réfléchi, souvent sans objectivité, à l’avenir de leurs compagnes ! Le célèbre Mirabeau pensait qu’elles étaient faites pour la “vie intérieure“ (reste à savoir quel intérieur ?). En conséquence, les matières classiques, lecture, écriture et arithmétique, constituaient une base largement suffisante. Talleyrand, l’homme politique, estimait que l’instruction devait être accessible à tous, avec quelques nuances : « les filles seront retirées de l’école dès l’âge de huit ans pour recevoir chez elle l’éducation que leur dispenseront leurs parents ».
D’autres étaient plus réservés quant à leurs jugements. Dans un discours qu’il prononça en avril 1870, Jules Ferry est visiblement embarrassé par ce délicat sujet : «  il faut que la femme appartienne à la science… ou qu’elle appartienne à l’église ?  ».
Les intéressées, confrontées aux réalités et soucieuses d’améliorer leur condition, s’émancipèrent en plantant leurs jalons.
En 1862, à Paris, la première école professionnelle pour jeunes filles pauvres vit le jour à l’initiative d’Élise Lemonnier, que l’ignorance de la classe ouvrière avait émue. D’autres exemples suivirent.
Chaque marche fut montée progressivement… et laborieusement. Il fallut attendre le XXe siècle pour que les femmes poursuivent les mêmes études secondaires que leurs camarades masculins. Et de Gaulle pour qu’elles obtiennent le droit de vote ! Merci Charles, vous êtes et resterez un grand homme d’État…

De nos jours, l’égalité des chances entre hommes et femmes est réelle (dans l’enseignement, tout au moins !). En politique, la parité a modifié le paysage. Toutefois, il est difficile, pour une femme, de mener une vie familiale normale (ses maternités en particulier), tout en assumant pleinement la carrière qu’elle a choisie.
En tout cas, l’époque où les filles restaient dans l’ignorance «  car elles n’avaient pas besoin d’être savantes pour tenir leur ménage  » est terminée ! Il est vrai qu’entre-temps, il y a eu le MLF, Mouvement de Libération de la Femme !

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