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dimanche 26 octobre 2008

Pays des îles de Saintonge : Le Pérou des Rois de France !


Récemment, la société des Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, que préside Marc Seguin, organisait un voyage au “pays des isles de Xainctonge”, riche en découvertes. La météorologie était particulièrement favorable à l’occasion de cette sortie automnale.


Cette année, la Société avait choisi de conduire ses adhérents au “pays des isles de Xainctonge” car c’est ainsi qu’après la guerre de Cent Ans, on appelait la côte de Royan jusqu’à la Charente. C’était le pays du sel et des marins, le “Pérou des rois de France” au temps où la fiscalité ne connaissait pas encore les produits pétroliers. Jusqu’à l’essor de Brouage, sa “capitale” était incontestablement Marennes. De Saint-Just jusqu’au Fort Lupin, tout un passé prestigieux et oublié était proposé.

En début de matinée, les participants se réunissent à proximité de la remarquable église de Saint-Just, un des rares témoins de la Renaissance locale. Il suffit de parcourir les rues de l’agglomération pour repérer des fenêtres, des pans de murs, des témoignages du “beau XVIe siècle” qui fut dans cette petite région, jusqu’à la grande catastrophe de 1568-1570 (troisième guerre de Religion), un temps de prospérité exceptionnelle.


Saint-Just appartenait à l’abbesse de Saintes, mais c’était surtout un bourg peuplé de marchands de sel et de marins. Les marchands, on les rencontrait à La Rochelle, et surtout à Bordeaux et à Libourne où les Périgourdins venaient acheter leur sel. Les marins se livraient, quant à eux, au cabotage. À partir de Bordeaux, ils transportaient le précieux pastel de Toulouse jusqu’à Rouen ou Bilbao en Espagne. En réalité, ils chargeaient tout ce qu’on leur proposait. Sait-on qu’en 1555 et 1557, sous le règne d’Henri II, ce sont des marins de Saint-Just qui ont transporté, de Bordeaux jusqu’à Rouen, une partie des colonnes du Louvre en marbre pyrénéen ? Sait-on aussi que ces mêmes marins ont été parmi les premiers Saintongeais à pêcher la morue ? Dès 1546, nous avons repéré deux terre-neuviers, La Trinité et La Françoise qui appartenaient à des marchands du bourg.
Au cours du règne d’Henri II, le parlement de Bordeaux a poursuivi des “Protestants” de Saint-Just. Faut-il s’étonner que les marins, qui avaient l’habitude de se rendre en Angleterre, aient très vite connu les options religieuses du roi Henri VIII ? Il n’y avait pas plus de “mal sentants de la foi” à Saint-Just qu’à Marennes, par exemple, mais il s’y trouvait un tribunal seigneurial dont les magistrats, nommés par l’abbesse de Saintes, étaient bien obligés d’en dénoncer quelques-uns. Ceux-ci firent “amende honorable” devant cette église et, à Pâques 1561, elle fut le théâtre d’un petit drame. Catholiques et Protestants se disputèrent le lieu. Ces derniers interrompirent la messe pour sonner la cloche et rassembler leurs fidèles. Le notaire catholique, Jean Arquesson, voulut “parachever” l’office et cria très fort. Selon les Protestants, sa fureur aurait été telle qu’il aurait été frappé d’apoplexie ! L’enquête, effectuée aussitôt après, montra qu’il avait été assommé avec un chandelier et un “bénitier de pierre“. Les coupables furent condamnés aux pires supplices. Introuvables, il fallut se contenter d’une exécution par effigie.
Le porche spectaculaire qui précède l’église est en réalité le bas d’un clocher qui n’a jamais été érigé : le “beau XVIe siècle” n’a pas duré. L’essentiel du bâtiment, présenté par Yves Blomme (docteur en théologie), n’est qu’une reconstruction du XVIIe siècle, après les destructions protestantes, lesquelles ont été radicales dans cette petite région.


Après Saint-Just, grâce à Alain Floriant, les participants font halte au Moulin des Loges, en direction de Marennes. C’est un moulin à marée. Il y en avait sans aucun doute beaucoup d’autres dans cette région, mais il ne reste que celui-ci qui a été réhabilité et qui fonctionne, comme au XVIIIe siècle. Il ne manque que le bonnet blanc du meunier et les ânes chargés de sacs. Des explications ont été données par une jeune fille aussi compétente que sympathique, qui a dû répondre à de nombreuses questions, tant était grande la curiosité des participants.
La halte suivante est Marennes. C’était, répétons-le, la “capitale” du “pays des isles de Marempnes”. Venant de Bordeaux, le voyageur suisse Thomas Platter s’y est arrêté le 5 mai 1599, à un moment où le bourg avait déjà perdu de son importance : « petit déjeuner du matin dans le bourg de Royan. Puis continuation du voyage. Traversée d’un lac (c’était le “Lac d’Arvert”). Au bord de ce lac, nous avons bu un coup dans une auberge. Sommes arrivés, via le village du Fouilloux au village de La Tremblade : c’est le plus long village-rue que j’ai jamais vu. Ensuite nous avons franchi un bras de mer (la Seudre) sur une petite barque - il y a des quantités d’esquifs du même genre entre Royan et La Rochelle... Sommes ainsi parvenus aussitôt après dans le bourg de Marennes dont les rues sont pavées de petits cailloux comme celles d’une ville. À Marennes, il y a de nombreuses maisons. Le gouverneur de l’endroit, c’est Monsieur Constant, frère de notre prédicant français de Bâle. Il a sous ses ordres beaucoup de localités et de bourgs. Ensuite, sommes passés par “les villages du Breuil et de Hiers” ».


Le clocher, du XVe siècle, très impressionnant, est le frère de ceux de Moëze et de Saint-Jean d’Angle. Immédiatement après la guerre de Cent Ans, les autorités savaient bien qu’un débarquement ennemi serait fort aisé dans cette région où les plages sont nombreuses et où les stocks de sel étaient bien tentants. Les populations, organisées militairement, avaient « toujours les armes sur le dos » et jouissaient du privilège envié de ne pas payer la taille. Le clocher, comme les autres, a dû être érigé dans ce contexte. À sa base, on remarque de nombreuses traces d’arquebusades, mais les Huguenots, bien conscients de son intérêt, l’ont respecté. Par contre, ils ont fort endommagé l’église qui est, comme l’a expliqué Yves Blomme, une belle construction du XVIIe siècle. L’abbesse de Saintes ne pouvait faire moins dans un bourg qui lui rapportait beaucoup...

Le Grand Goule” véritable curiosité...

Après le déjeuner pris au restaurant l’Escale, à la Cayenne, le groupe repart pour de nouvelles aventures ! Il traverse sans s’arrêter Brouage (citadelle bien connue) et se rassemble autour de l’énigmatique monument de Moëze que beaucoup ont déjà vu.
Nous sommes au nord du “pays des isles de Xainctonge”, un lieu où l’Église était bien implantée, avec de beaux prieurés dont ceux de Montierneuf et de Trizay (qui n’était pas une “abbaye” comme l’indique la signalisation locale, mais une dépendance de celle de La Chaise-Dieu, en Auvergne).

Le clocher de Moëze n’était pas différent de celui de Marennes et l’église qui l’accompagne est une reconstruction, plus médiocre, celle-là, du XVIIe siècle. Reste le “monumen” qui est très probablement la base d’une croix hosannière inachevée. Yves Blomme rappelle que « la liturgie médiévale s’accompagnait de processions nombreuses ». L’église n’était pas, comme on le croit souvent, le seul lieu de culte : elle s’inscrivait dans un ensemble auquel appartenait l’inévitable croix hosannière. La plupart avaient été reconstruites au XVe siècle. Toutes ou presque ont été détruites par les Protestants en 1568 ; seules subsistent celles de Chermignac, Nieul-le-Virouil et quelques autres, dont Moëze. Elle arbore la forme singulière d’un petit temple grec, c’est peut-être ce qui l’a sauvée des dégradations. Diverses datations ont été proposées : 1564, ce qui est impossible car cette année-là, les Protestants avaient interdit, en pleine “paix” officielle, la messe dans le bourg. On a avancé aussi la date de 1540, ce qui est plausible et peut expliquer qu’on n’ait pas achevé la construction : à ce moment, un bourg peuplé de marchands de sel, comme Moëze, est déjà perméable aux idées religieuses nouvelles. Quel besoin aurait-il eu d’une belle croix hosannière ?
La prochaine destination est l’église d’Echillais. Peut-on traverser ce bourg - qui est maintenant une petite ville - sans s’arrêter devant cet édifice dont la façade figure sur tous les ouvrages régionaux ? La curiosité est le “Grand Goule” qui, depuis l’époque romane, tente d’avaler sa colonne. C’est, dit-on, une “façade en arc de triomphe”, catégorie rare qu’on retrouverait, par exemple, au Petit Niort (Mirambeau). C’est vrai, le fronton triangulaire est absent. Mais ne serait ce pas plutôt le résultat d’une démolition interrompue ? Le clocher ancien a disparu et il est bien probable que la défaite de Jarnac (13 mars 1569) ait arrêté les Huguenots dans leur travail. Du reste, comme le montre Yves Blomme, la nef est une reconstruction du XVIIe siècle...


Après les monuments religieux, le moment est venu de découvrir le beau et énigmatique château de La Bristière, perdu dans la campagne verdoyante. Pour l’essentiel, il s’agit d’une superbe construction du XIXe siècle qui repose sur un site plus ancien remontant au XVIe siècle. Jean de Mathan, propriétaire de la demeure et ami du regretté Jacques Daniel, qui fut un membre très actif de la Société des Archives historiques, se transforme en guide. Il évoque la famille tentaculaire des Goumard, seigneurs d’Echillais et le théologien Fénelon, dont le portrait figure en bonne place dans le salon aux côtés de Jeanne des Anges.


Après cette halte fort agréable, les membres de la Société atteignent leur dernier objectif : le Fort Lupin, au bord de la Charente. Cette propriété privée est présentée par Pascal Even qui a dirigé les Archives départementales de Charente Maritime dans un récent passé. La construction du fort remonte à la fin du XVIIIe siècle. À cette époque, il s’agissait de défendre l’arsenal de Rochefort contre une éventuelle attaque anglaise. Ironie du sort, il n’a jamais servi !
L’heure, déjà tardive, se prête parfaitement à la visite : le soleil va se coucher sur l’estuaire... Mais c’est aussi l’heure de la séparation. Marc Seguin remercie les amis des Archives et leur donne rendez-vous à l’année prochaine !


Photo 1 : Les commentaires de Pascal Even

Photo 2 : L'église d'Echillais

Photo 3 : Le moulin des Loges

Photo 4 : Le clocher de Marennes

Photo 5 : La Croix Hosannière de Moëze.

Photo 6 : Le “Grand Goule”

Photo 7 : Étape au château de la Bristière.

Photo 8 : Le Fort Lupin.

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