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vendredi 17 octobre 2008

La Charente-Maritime s’offre un voyage de 100 millions d’années


Dans l’ambre charentais, a été mis en évidence un «micro monde» extraordinaire.

Professeur à l’université de Rennes, Didier Néraudeau, natif de Tonnay-Charente, se passionne pour la paléontologie depuis son plus âge. D’où venons-nous ? est une question qui l’intéresse, mais plus encore cette interrogation : quelles espèces peuplaient la Terre il y a cent millions d’années, durant la période appelée le Cénomanien ? Dans ce qui deviendra beaucoup plus tard la Charente-Maritime, la faune se la coulait douce sous une température fort agréable. À cette époque, le roi de la forêt était l’araucaria, qu’on appelle le "désespoir des singes" en raison de ses feuilles pointues. Évidemment, les animaux que nous connaissons actuellement restaient à inventer ou à évoluer, selon l’intime conviction de chacun ! Cette ère géologique était celle des grands reptiles et des dinosaures. Un varan marin, le carentonosaure, a été identifié pour la première fois dans le département, à l’Île Madame. Il reste des traces de cet univers oublié qui n’en finit pas de révéler ses secrets. Didier Neraudeau, membre de l’Académie de Saintonge, nous conduit dans les méandres du temps et l’histoire de la vie. Un voyage passionnant ! En effet, la Charente-Maritime est l’une des cinq régions de référence dans le monde en ce qui concerne la connaissance de la vie sur Terre au milieu du Crétacé.

Didier Néraudeau, depuis quand vous passionnez-vous pour la paléontologie et pourquoi avoir choisi le Cénomanien, une période nous conduisant cent millions d’années en arrière ?

Mon intérêt pour les fossiles date de mon enfance, probablement dès l’âge de 9 ou 10 ans. Mon grand-père paternel habitait tout près d’une carrière ou j’aimais aller me promener. J’y ai découvert mes premiers oursins fossilisés. Ces fossiles ont été déterminants pour la suite de ma vie et pour mon choix professionnel, car c’est sur ce type de fossile que j’ai fait mes études de paléontologie, notamment mon doctorat, et ensuite l’essentiel de mes travaux de recherche lorsque je suis devenu enseignant chercheur universitaire.
La carrière et les oursins fossiles, qui sont à l’origine de ma passion pour la paléontologie, correspondaient à des roches remontant au Cénomanien, une période géologique du milieu du Crétacé datant de 95 à 99 millions d’années. Plus largement, c’est toute la région de mon enfance, l’île d’Aix, l’île Madame, la presqu’île de Fouras, les villes de Rochefort et Tonnay-Charente, qui ont pour substratum géologique des couches datant du Cénomanien.
C’est donc tout naturellement pour des raisons de proximité et d’accessibilité que je me suis d’abord intéressé aux fossiles de cette période. Plus tard, au gré de mes études et de mon activité professionnelle, j’ai découvert que cette période était l’une des plus intéressantes de l’ère secondaire, tant pour son climat particulier que pour les moments-clé de l’évolution qui se sont produits à ce moment-là. J’ai donc continué à étudier ma région d’origine, compte tenu de son grand intérêt scientifique, malgré l’éloignement des laboratoires où j’ai été successivement affecté (Poitiers, Dijon, Paris, Rennes).


Lors de la présentation faite à l’Académie de Saintonge, le public a découvert que la Charente-Maritime possédait des couches de terrain qui l’ont rendue célèbre auprès des scientifiques internationaux. Pouvez-vous nous présenter ces particularités ?

Alors que mes premières découvertes paléontologiques en Saintonge portaient essentiellement sur les fossiles d’oursins, j’ai au fil des ans attaché de plus en plus d’importance à l’étude d’autres fossiles bien différents. Les deux découvertes géologiques les plus importantes furent la mise à jour d’extraordinaires gisements d’ambre en différents points des Charentes et la localisation, dans certaines carrières, de couches argileuses extrêmement riches en fossiles de plantes.


L’analyse de plusieurs dizaines de kilos d’ambre a permis des découvertes majeures pour la connaissance de l’histoire de la vie. Nous avons ainsi trouvé, dans la résine fossile, les plus anciennes fourmis connues à ce jour, ce qui a permis de comprendre leur origine et leur évolution. Nous y avons également découvert de minuscules "duvets" correspondant à un stade intermédiaire d’évolution entre écailles et plumes, et nous avons contribué ainsi à établir l’étroite parenté entre les dinosaures carnivores et les oiseaux. Quant aux plantes fossilisées dans les argiles, elles datent de l’époque où se sont diversifiées les premières plantes à fleurs. Il nous a ainsi été possible de mieux comprendre l’origine et l’évolution de ces plantes, grâce à la découverte de milliers de feuilles, de fragments de bois, de graines ou de fleurs.
Au final, la Charente-Maritime est désormais considérée à l’échelle mondiale comme l’une des 5 régions de référence pour la connaissance de la vie sur Terre au milieu du Crétacé, notamment pour l’évolution des insectes et des plantes.
Dans des carrières situées en Aunis, vous avez trouvé non seulement des fossiles de coquillages, mais aussi de feuilles et mieux encore des morceaux de végétaux vieux de 100 millions d’années.


Comment cette conservation a-t-elle été rendue possible ?

Ces feuilles, ces graines et ces fleurs ont été rapidement enfouies dans de la vase, au fond d’un lac ou d’un estuaire, après s’être détachées des arbres. L’enfouissement rapide a stoppé la putréfaction en rompant l’action de l’oxygène et des bactéries. Les restes végétaux ont juste été compactés entre les lits d’argiles, quasi «momifiés», et nous parviennent ainsi, 100 millions d’années plus tard, préservés dans les moindres détails de leurs tissus et de leurs cellules.

Au Cénomanien, il faisait 5 degrés de plus qu’aujourd’hui. Quelle végétation avions-nous dans la région et quel était le niveau de la mer ? Pourrions-nous, si la planète continue à se réchauffer, retrouver ces paysages d’antan ?

Au Cénomanien, la température moyenne mondiale était en effet de 5 à 6 degrés supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui. Les calottes glaciaires étaient fondues et toute l’eau terrestre était donc sous forme liquide, cela impliquant une élévation du niveau des océans de l’ordre de 100 à 150 m vers la fin du Cénomanien. L’Europe était alors un archipel et les Charentes s’inscrivaient dans un immense paysage deltaïque parsemé d’îles couvertes de conifères particuliers, les Araucarias, et de mangroves.
Rien n’interdit de penser que dans un lointain futur, un réchauffement climatique important pourrait mener de nouveau à ce type de paysage dans les régions ouest européennes...

Quelles étaient les espèces d’animaux à l’époque ?

Bien que cette époque date d’une centaine de millions d’années, il existait déjà sur Terre des insectes et des plantes très comparables à celles que l’on rencontre aujourd’hui, à savoir des guêpes, des mouches et des moustiques d’une part, des lauriers, des platanes et des nénuphars, d’autre part. Les principales différences concernaient la faune des grands vertébrés. En effet, la faune sauvage actuelle de l’actuelle Charente-Maritime est dominée par les mammifères (cervidés, rongeurs, renards) tandis que celle du Cénomanien l’était par les reptiles et notamment les dinosaures, avec ou sans plumes, tels que les petits Troodon (dont on a trouvé les plumes) ou les grands Carcharodontosaures (comparables au Tyrannosaures).

Dans l’ambre de Charente Maritime, se trouvent de nombreux insectes parfaitement identifiables (mouches, araignées, punaises, etc). L’évolution ne les a pas modifiés, semble t-il...

L’essentiel de l’évolution des insectes s’est produit dans des époques géologiques antérieures au Cénomanien, à la fin de l’ère primaire (périodes du Carbonifère et du Permien) et au début de l’ère secondaire (au Trias et au Jurassique), alors que l’environnement forestier était dominé par les fougères (Primaire), puis par les conifères (début du Secondaire). Au début du Crétacé, sont apparues les plantes à fleurs et au Cénomanien (donc au milieu du Crétacé), l’écosystème végétal était déjà très semblable à ce qu’il est aujourd’hui. Comme l’évolution des insectes est très liée à l’évolution des plantes (pollinisation, parasitisme, folivorie), les transformations morphologiques des insectes sont devenues très minimes à partir du moment où l’environnement végétal s’est stabilisé avec sa grande diversité de plantes à fleurs, associées à des conifères et des fougères.
Bref, depuis le Cénomanien, comme l’écosystème végétal n’a été que peu modifié, l’évolution morphologique des insectes a été très réduite. Nous retrouvons ainsi dans l’ambre charentais des fourmis, des termites, des blattes, des guêpes, des mouches, des moustiques, des punaises, tout à fait similaires à leurs descendants actuels, à quelques détails près (nombre de poils aux pattes ou de nervures aux ailes, par exemple).


Enfin, dans le cadre de vos recherches, vous avez démontré que les dinosaures avaient un duvet qui recouvrait leur corps. De ce fait, ils sont donc les ancêtres des oiseaux. Depuis cette découverte marquante révélée par l’ambre, avez-vous fait de nouvelles découvertes ?

Depuis la découverte des plumes il y a de cela quelques mois, nous avons publié de nouveaux résultats qui devraient réjouir quelques scientifiques, mais qui sont peut-être moins parlants pour le grand public. Nous avons notamment mis en évidence, dans l’ambre charentais, un "micro monde" extraordinaire, avec des fossiles de bactéries, d’amibes, d’algues unicellulaires, et des "scènes de vie du passé" étonnantes, telle qu’un mycelium de champignon carnivore pris dans la résine alors qu’il était en train de dévorer un nématode, un minuscule ver parasite échappé de l’abdomen de la mouche qu’il parasitait !


Photo 1 : Didier Néraudeau est devenu membre de l’Académie de Saintonge en octobre 2008. Voilà qui le rapproche de ses racines aunisiennes ! Professeur à l’université de Rennes 1, il a été président des paléontologues de France. Il est spécialiste de l’ambre de Charente-Maritime.

Photo 2 : De l’ambre charentais à l’état brut.

Photo 3 : Le carentonosaure est un varan fossile (gros lézard marin) découvert pour la première fois à l’île Madame (c’est pour cette raison que le nom d’espèce, mineaui, est dédié à la famille Mineau qui est propriétaire de la ferme aquacole de l’île). Depuis, ce même varan a été retrouvé dans la région d’Angoulême. À ce jour, ce sont les deux seuls endroits au monde où cette espèce a été localisée. Peut-être a-t-elle inspiré le mythe du Loch Ness ? (croquis D. Néraudeau).

Photo 4 : Une punaise trouvée dans l’ambre charentais (par Vincent Perrichot).

Photos 5 et 6 : Une empreinte de plante (sorte de platane) du Cénomanien charentais et une feuille fossile issue des mêmes couches géologiques qui, par transparence, montre des nervures parfaitement préservées dans le tissu de la plante (collection Éric Depré).

Photo 7 : Ce paysage ressemble à celui que l’on pourrait imaginer pour la Charente- Maritime, il y a 100 millions d’années... L’ère secondaire ou Mésozoïque a duré environ 185 millions d’années. Elle a commencé il y a 250 millions d’années. Elle est divisée en trois périodes : le Trias, le Jurassique et le Crétacé. Les débuts de l’ère tertiaire remontent, quant à eux, à 65 millions d’années.

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