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samedi 11 octobre 2008
François Julien Labruyère :
« Retirer ses fonds ou vendre ses titres aujourd’hui me semble une erreur »
François Julien Labruyère est bien connu à Jonzac où il a passé une partie de sa jeunesse. Il est entré au Cetelem en septembre 1968 : « quand j’ai quitté cette société, fin 2003, elle était présente dans plus de vingt pays et comptait plus de 11000 employés » dit-il. Actuellement, elle fait partie des leaders mondiaux de sa spécialité, le crédit à la consommation. Auteur d’un ouvrage sur « l’histoire du crédit à la consommation, doctrine et pratiques » publié aux éditions la Découverte, cet ex banquier, directeur d’une maison d’édition (le Croît Vif), répond à nos questions concernant la crise financière actuelle. Quel regard porte-t-il sur elle ? Réponses...
François Julien Labruyère, vous connaissez bien le monde de la finance pour y avoir occupé des responsabilités importantes. Cette crise était-elle prévisible ?
Oui, cette crise était prévisible et certains l’avaient envisagée depuis plusieurs mois. Mais ce qu’ils prévoyaient était plus modéré que ce que nous vivons actuellement. Pour essayer de comprendre ce qui se passe, il faut remonter à ses origines. Tout le monde parle des subprimes, c’est-à-dire des crédits immobiliers ou de consommation (achat d’une auto, d’un meuble ou carte de crédit) faits à des particuliers. Or, ce mode de financement a toujours existé, il correspond d’ailleurs à une nécessité sociale, celle de l’équipement des ménages à faibles revenus afin qu’ils ne restent pas en marge de la société. Ce qui s’est passé ces dix ou quinze dernières années, un peu partout dans le monde, n’est pas tant le développement des "subprimes" que leur titrisation. Derrière ce mot barbare, se cache une technique financière qui consiste, pour un établissement de crédit, à vendre à une banque un ou plusieurs lots de "subprimes" pour obtenir ainsi un refinancement de ses activités.
Jusque-là, tout est identifiable. Mais lorsque la banque en question revend à son tour tout ou partie de ce lot à une autre banque en associant son nom et sa réputation à ce lot pour obtenir un meilleur prix et qu’ainsi de suite et très rapidement ce lot va de banque en banque, à la façon d’une cavalerie - comme on dit en jargon bancaire - sans qu’on puisse réellement en vérifier la traçabilité, on arrive à une situation où les banques sont incapables de savoir ce qui est réellement dans leur bilan. Il suffit alors d’une petite étincelle pour que s’installe la méfiance. C’est ce qui s’est passé avec la montée du risque sur les crédits immobiliers en Amérique, mais aussi en Europe, notamment en Angleterre et en Espagne.
Du coup, depuis août 2007, les banques ont commencé à nettoyer leurs bilans et surtout à se méfier les unes des autres et à progressivement bloquer le marché interbancaire. Au bout du compte, on aboutit à la situation actuelle où personne ne veut plus prêter à personne : les banques les plus exposées sont amenées à demander de l’aide publique ou à perdre leur indépendance en étant rachetées par des banques plus grosses et surtout moins exposées.
Depuis plusieurs semaines, la bourse fait du yoyo et le plan Paulson semble ne pas avoir totalement rassuré. Quels sont les risques des fluctuations actuelles sur l’économie mondiale ?
Dans un climat de méfiance interbancaire, l’essentiel est de ramener le calme et la sérénité dans les salles de marché car les bases des sociétés cotées restent saines et les mouvements à la baisse qui affectent le cours de leurs actions sont parfois totalement injustifiés. Mais ramener le calme ne se fait pas du jour au lendemain. Et ceci pour deux raisons majeures : la première et la plus sensible est que la seule source de liquidités aujourd’hui disponible reste celle des actions car toutes les autres se sont asséchées pendant ces derniers mois pour brusquement se tarir ces derniers jours. D’autre part, les hésitations des organes politiques, pour ne pas parler de leurs faux-pas alarmistes, n’aident nullement à résoudre cette crise de confiance.
Quant aux risques de débordement de la finance vers l’économie réelle, ils existent et s’accroissent avec le temps : plus la crise de liquidité mettra de temps à se résoudre, plus le risque d’une véritable crise économique deviendra sérieux. En effet, si le marché interbancaire continue de rester gelé, il est clair que les crédits aux entreprises et aux particuliers vont en pâtir. Et à partir de là, les sociétés et les ménages les plus exposés seront pris dans le même blocage que celui qui affecte les banques aujourd’hui. Déjà, on annonce une récession à venir en Amérique et en Europe, ce qui n’est pas fait pour rassurer les établissements prêteurs ! J’espère toutefois que la raison l’emportera grâce notamment à la mise en place de lignes importantes de financement public destinées d’abord à calmer le jeu, puis à relancer la dynamique des crédits. Entre temps, on aura assisté à une forte restructuration du système bancaire, et cela dans le monde entier.
De nombreux épargnants se précipitent actuellement dans leurs banques. Quels conseils leur donneriez-vous ?
Il est toujours difficile de donner un conseil en de telles circonstances. Tout dépend de la situation personnelle de chacun. Je ne crois pas au risque d’effondrement des grandes banques françaises et, s’il devait se produire, l’État vient de renforcer sa garantie quant aux dépôts. Ceci concerne les comptes courants et les livrets. Quant aux produits financiers, ils sont pour la plupart hors des bilans bancaires, donc protégés du risque de défaillance d’une banque (mais évidemment pas protégés des baisses boursières).
Dans la situation actuelle, je crois que la meilleure solution est de faire le gros dos : il n’y a, à mon sens, aucun risque pour les dépôts habituels. Il faudra, en revanche, attendre plus longtemps pour récupérer les cours du début de l’année 2008 en ce qui concerne les actions et obligations, soit détenues directement, soit par l’intermédiaire de sicav ou de plans d’assurance-vie. Mais retirer ses fonds ou vendre ses titres aujourd’hui me semble une erreur à la fois parce qu’elle contribue à accroître la crise et parce qu’on ne se dégage pas au pire moment. Le seul problème qui se pose réellement est celui des ménages et des entreprises qui, pour une raison ou pour une autre, ont un besoin rapide de liquidités. Le lien personnel qu’ils entretiennent avec leur banque reste leur meilleur atout...
Photo 1 : Au Cetelem, François Julien Labruyère a introduit le concept d’usines clefs en main et implanté cette société bancaire dans une vingtaine de pays dont le Maroc où il a lancé le crédit revolving. Aujourd’hui retraité, François Julien Labruyère veille aux destinées du Festival de Musique ancienne de Saintes et dirige une société d’édition qui publie de nombreux ouvrages régionaux. Il a été directeur de l’Académie de Saintonge.
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