À Saint-Palais de Phiolin, Giancarlo et Renata Vedana, propriétaires de la Bribaudonnière, ont reçu l’historien Jean Glénisson. Pour ces Italiens qui adorent la France, le sujet de la conférence était une aubaine : leur invité a expliqué l’origine, la naissance en quelque sorte, du département où ils ont acheté une ravissante maison transformée en galerie d’art et chambres d’hôtes...
Tout le monde ou presque connaît la Charente-Maritime qui est devenue, selon nos politiciens préférés, l’un des premiers départements touristiques français. Pendant les vacances, l’île de Ré attire tous les parisiens de la “création“ et ne pas y faire escale - au moins quelques jours - relève du manque de stratégie. Mieux, aller faire un petit tour en bateau de côté de fort Boyard fait encore plus chic dans les dîners ! Bref, la terre des mouettes a du charme, mais avant d’avoir ses frontières actuelles (définies par la Constituante, après la Révolution), elle fut d’abord un vaste territoire qui s’étendait jusqu’à la Charente.
Lors de sa conférence, Jean Glénisson a remonté le temps, conduisant le public dans un siècle qui lui est cher, le XVIIe. Pour une meilleure compréhension, il expliqua la situation du moment ainsi que les désignations employées. Il est vrai que les termes ont changé ! Les généralités regroupaient des “élections“ (de la superficie d’un arrondissement environ). Elles ne possédaient pas d’assemblée délibérante contrairement aux pays d’état, c’est-à-dire aux provinces. Les pays conquis, quant à eux, étaient administrés sous des formes variées.
En ce qui nous concerne, les « généralités » ne comptaient pas moins de dix-huit intendants. Résultant des pouvoirs éloignés, une certaine complexité régnait alors : l’élection de la Rochelle dépendait d’un haut fonctionnaire de la généralité de Poitiers, celle de Saint-Jean d’Angély de Limoges, Saintes, Cognac et Marennes de Bordeaux. On imagine les retards qui découlaient de cette répartition administrative...
Rochefort, ville nouvelle !
Charles Colbert du Terron, intendant de la Marine, fut confronté à cette difficulté. Pour conduire à bien la création du port de Rochefort (où il avait besoin de matériaux), il négocia et dut faire preuve de diplomatie envers ses différents « interlocuteurs » en poste dans les généralités lointaines de Bordeaux, Limoges et Poitiers. Cousin du grand Colbert qui avait la courtoisie d’offrir des postes importants à sa parenté, il était respecté et pour cause, il avait l’oreille du Ministre des Finances ! Cette “alliance“ explique sans doute pourquoi il ne rencontra aucun obstacle majeur.
Sur place, le chantier était colossal. En 1666, des milliers d’hommes arrivèrent sur ce site vierge. Les terres avaient été confisquées à un hobereau local protestant qui avait abattu des arbres sans en aviser les autorités. La volonté de Louis XIV et Colbert était de réaliser un arsenal maritime comparable à ceux de Toulon et de Brest, avec la construction de vaisseaux le long de la Charente. La Charente, en effet, constituait une protection contre les incursions de la flotte anglaise puisque son embouchure pouvait être facilement gardée par des forts, pensait-on. En arrière, une ville aux rues droites vit le jour, chaque arrivant recevant 200 m2 de terrain pour installer son habitation.
« Charles Colbert du Terron s’est trouvé dans l’obligation de construire une ville nouvelle avec, entre autres, un arsenal, une corderie, et de la peupler. C’était une œuvre de grande ampleur » remarque Jean Glénisson. Malgré des difficultés compréhensibles (zones humides, terres meubles, manque de moyens), le projet se concrétisa et l’agglomération connut une rapide expansion. Non loin, la Rochelle était une cité prospère et ses activités “diverses“. Pour mémoire, rappelons que la première expédition négrière française, officiellement reconnue, a eu lieu en 1643 : elle concernait le bateau l’Espérance de la Rochelle. La traite des Noirs avait été autorisée un an plus tôt par Louis XIII. La liberté de commerce avec les îles fut accordée en 1670 par Colbert.
Cet essor entraîna une nouvelle organisation, la nécessité de composer une unité territoriale s’imposant. En 1694, un édit, signé à Versailles par le Roi Louis XIV, établit la généralité de la Rochelle à laquelle furent rattachés les secteurs de Rochefort, Saint-Jean d’Angély, Saintes, Jonzac, Cognac, Barbezieux et Marennes.
Cette décision n’était pas désintéressée. En effet, elle allait simplifier la collecte des impôts qui posait problème (à cette époque, l’argent était transporté sur des charrettes qu’encadraient des gardes. Plus la distance était grande, plus le risque était réel).
L’Aunis et la Saintonge se trouvaient ainsi réunies : « on croit, souvent à tort, que ces deux provinces étaient sœurs. Longtemps, la Saintonge a vogué au gré des fantasmes des gouvernements, placée sous la responsabilité de Bordeaux ou Limoges tandis que l’Aunis formait la neuvième élection de la généralité du Poitou » précise l’historien.
De ce regroupement cohérent, le monarque espérait une amélioration dont allait bénéficier la Rochelle. Pour lui, c’était une façon de réhabiliter cette place protestante qui avait tenu tête à Louis XIII et Richelieu en 1628. Assiégée puis soumise, elle avait été privée de son corps municipal pour dépendre du pouvoir central. Lui rendre son autonomie était un signe favorable...
Michel Bégon : il a donné son nom au bégonia
En 1688, Michel Bégon fut le premier intendant de la généralité de la Rochelle. Jean Glénisson s’attarda sur la personnalité de cet honnête homme. À ce jour, seul un petit volume le concernant est paru chez Flammarion (dans les années 1930), en l’attente d’un ouvrage conséquent qui devrait être publié prochainement, sous la direction de M. Barbiche (un habitué de l’Université d’Été de Jonzac).
Michel Bégon était aussi un cousin de Colbert. Né à Blois, il avait occupé différents postes (Orléans, Toulon, Marseille, Le Havre) avant d’être nommé intendant de la Marine de Rochefort. Bien que rigoureux dans son travail, cet homme intelligent entretint des rapports tendus avec Seignelay, ministre de la Marine, ainsi qu’avec Pontchartrain, son successeur. Michel Bégon fit beaucoup pour Rochefort et il géra le rude hiver de 1709 en particulier. Ses obsèques furent grandioses. En souvenir, la ville donna son nom à une fleur, dont le fameux bégonia.
La rencontre s’acheva sur les caractéristiques de la généralité de la Rochelle, dressées par Michel Bégon à la demande de Louis XIV. On y apprend que l’air était sain ! Le commerce gravitait autour du sel, des eaux de vie (on ne dit pas encore « cognac ») et des chevaux. S’y ajoutaient les perles de Saint-Savinien, aussi belles que celles de l’Orient, trouvées « dans de grosses moules » (des anodontes sans doute). Les ports travaillaient avec Saint-Domingue, les îles, le Sénégal, le Canada, le Portugal, les Açores. Les gens de Saintes et de la Rochelle étaient « assez polis » tandis que ceux de la côte « n’avaient société qu’avec eux » ! Les paysans de Haute-Saintonge sont cités, mais Jean Glénisson reste perplexe : il ignore si la Haute-Saintonge de cette époque correspond à l’actuelle CDCHS, d’autant qu’une basse Saintonge est également mentionnée. Le territoire comptait 360.000 âmes et 730 paroisses. Les impôts étaient insupportables, d’où des collectes laborieuses (la révolte approchait à grands pas)...
Après la Révolution, en 1790, l’Assemblée Constituante définit les contours des nouveaux départements, dont ceux de la Charente Inférieure (elle deviendra Maritime en 1941). Nous avons échappé au quadrillage du territoire qui avait été envisagé, sans tenir compte du passé des provinces et de leurs traditions !
Une évidence s’impose dès lors : le département a été taillé dans la généralité de la Rochelle. L’Aunis, dit-on, fut assez mécontente de son mariage forcé avec la Saintonge : son économie était bien plus forte que celle de sa voisine ! Ses doléances ne furent pas entendues. Cognac et Barbezieux, quant à elles, rejoignirent la Charente.
Depuis, les frontières sont restées identiques, « Pourquoi ne pas créer un comité pour une Haute-Saintonge indépendante ? » proposa Jean Glénisson en guise de conclusion.
Ainsi, nous pourrions offrir une suite à l’histoire !!!
Photo 1 : Un public nombreux est venu assister à la conférence de Jean Glénisson
Photo 2 : Jean Glénisson pense que l’essor du port de Rochefort est à l’origine de la création de la généralité de la Rochelle.
Photo 3 :Le département de la Charente-Maritime a été taillé dans la généralité de La Rochelle, qui englobait plusieurs “élections“ dont Jonzac qui dépendait de Saintes.
Photo 4 et 5 : Après la conférence et selon la tradition, M. et Mme Vedana avaient organisé un dîner composé de spécialités Italiennes. C’était délicieux, comme à l’habitude, et pour cause, Reneta appartient à l’Académie italienne de cuisine. Avec ce cordon bleu aidé de sa sœur Anna, les convives ont trinqué à la santé de Jean Glénisson dont la connaissance est limpide.
Dis-le-moi dans l'oreille...
• Curiosités.... un bébé a deux têtes
Comme le célèbre M. de Peiresc, Michel Bégon possédait une belle collection. Elle comprenait des antiquités (pièces gravées, médailles, bronzes, etc), des recueils d’estampes, des portraits, des tableaux dont des œuvres de Raphaël, Rubens et Le Brun. De nombreux éléments se trouvent aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale, à Paris. Toutefois, on ignore ce que sont devenus les tableaux des célèbres maîtres...
Il avait également un cabinet de curiosités qui abritait des objets inattendus, dont une momie de crocodile, la reproduction en cire d’un bébé né avec deux têtes (à Surgères), sans oublier un diadème en porc-épic qui arrivait tout droit de la Nouvelle France. Au total, il possédait des milliers de pièces qui furent vendues en juin 1710, après son décès.
• L’enceinte de Rochefort n’est pas l’œuvre de Vauban, mais de Nicolas de Clerveille. Vauban, ingénieur général des fortifications, n’y est pas intervenu pour une raison simple : Rochefort dépendait de la Marine et de Colbert, alors que lui-même était sous les ordres de Louvois, secrétaire d’état à la Guerre. « Vauban est venu deux fois à Rochefort. Il y a critiqué la ceinture de fortifications, mais cela ne relevait pas de sa compétence. Elles ont peut-être été réalisées a minima pour que la Guerre ne s’en empare pas » estime Martine Acerra, professeur à l’Université de Nantes et spécialiste du XVIIe.
• Michel Bégon a été le premier intendant de la généralité de la Rochelle. Nommés par le gouvernement, les intendants - comme les préfets actuels - pouvaient à tout moment être révoqués, contrairement aux autres fonctionnaires, propriétaires de leurs charges.
J'ai découvert ce blog par hasard. Que d'infos ! Continuez ! Je vous donne les coordonnées du mien : http://alrom-niverno.blogspot.com/
RépondreSupprimerC'est un blog dédié aux Charentes.