De par sa position sur les hauteurs de la ville, le site Saint-Louis a toujours été un centre de pouvoir où se trouvaient le forum de Mediolanum, capitale de la Gaule Aquitaine, puis le château des Comtes de Saintonge transformé en forteresse par les ducs d'Aquitaine, vassaux du roi d'Angleterre, suivis des représentants du roi de France après la guerre de Cent Ans. Le logis du Gouverneur, encore visible, est l'unique vestige de la citadelle construite au XVIIe siècle par le gouverneur Louis de Pernes. La destination hospitalière n’est venue que plus tardivement. Sensible à ce passé, il n’est pas étonnant que chaque municipalité ait voulu marquer de son empreinte cet endroit stratégique. Prudente car consciente des écueils rencontrés par ses prédécesseurs quant à l’aménagement du site, l’équipe de Bruno Drapron marche sur des œufs. En face, l’opposition persiste et signe : elle croit en un musée - qu’il soit édifié sur le site Saint-Louis ou près de l’amphithéâtre - qui réunira les nombreux vestiges découverts au fil des siècles dans la cité. La majorité répond qu’il faut d’abord en réaliser les inventaires…
Buste du 1er siècle |
Dès lors, la balle était dans le camp de ses successeurs. Jean Rouger a lancé une consultation auprès de jeunes architectes ; Jean-Philippe Machon a conçu un projet avec Linkcity et depuis son élection en 2020, Bruno Drapron planche sur la question. Nous voici donc revenus à la case départ : exit le projet Machon avec son hôtel, son restaurant et son ascenseur dont ne veulent pas les nouveaux édiles, confortés par des consultations auprès des habitants.
Récemment, un premier jet a été présenté en réunion publique : la Ville conservera le belvédère, le quadrilatère du Logis du Gouverneur et la chapelle du XIXème. Les constructions, récentes, seront confiées à des privés (aménagement de logements), « plusieurs lots feront l’objet d’une cession » précise le maire. Des fouilles seront réalisées. Le destin des richesses archéologiques, actuellement entreposées en trois endroits, la Trocante, un hangar du hall Mendès France et Lormont, a été l’objet de vifs échanges entre majorité et opposition jeudi dernier lors du conseil municipal. En effet, le musée lapidaire de la place Bassompierre , où figuraient de très belles pièces (colonnes, frises de temples gallo-romains, vestiges de monuments, statues) a fermé ses portes en 2018 pour cause de vétusté. Depuis, les amoureux et défenseurs du patrimoine se demandent ce qu'il adviendra de ces illustres témoignages contemporains de l'arc de Germanicus.
Un inventaire des collections avant un centre de conservation et le pôle muséal
Lors de la présentation du BP 2022, Philippe Callaud, adjoint aux finances, a détaillé le budget annexe du site Saint-Louis selon les prévisions suivantes : En recettes, excédent de fonctionnement : 448717,29 € , subvention « Fonds friche » pour un acompte : 240 000 €, prévision d'emprunt : 279 664 €. En dépenses : frais d'études : 830 681,29 € (intégrant pour l'équilibre le montant de l'excédent de fonctionnement de l'exercice passé), travaux : 120000 € ; frais d'assurances : 17 700 €.
Didier Martin, élu de la liste « Unis pour Saintes » s’interroge sur la présentation de ce budget annexe : « Vendredi dernier au hall Mendès France, vous vous êtes engagés pour un pôle muséal innovant sur le site Saint-Louis. Pour l’instant, il s’agit de mettre en sécurité le mobilier archéologique saintais dispersé et entreposé dans des conditions préoccupantes. La construction d’un centre de conservation est essentielle. Je ne vois pas dans vos chiffres une ligne qui lui est dédiée. Quant au futur musée, je m’interroge entre votre attitude de vendredi dernier devant les Saintais et aujourd’hui à ce conseil ». L’opposition pense que l’achat d’un terrain pour y implanter ce fameux centre serait un signe prometteur.
Bruno Drapron estime qu’avant de réaliser toute construction qui nécessitera des années, il faut d’abord inventorier les collections : « nous travaillons en interne. Bien sûr que ce centre existera ! ». Renée Lauribe Benchimol monte au créneau, regrettant que la mairie ne manifeste pas clairement ses intentions quant à la valorisation du patrimoine archéologique. « Si la ville de Rodez est parvenue à créer le musée Soulages, Saintes peut montrer une ambition identique. Le musée ne se fera pas en un jour, c’est pourquoi nous devons en poser les premier jalons maintenant ».
Véronique Abelin donne des explications au sujet du centre de conservation à Saintes |
Véronique Abelin, coiffant sa casquette de conseillère départementale en charge du patrimoine, rappelle qu’une étude a été lancée, voici quelques années, par le Département et la DRAC pour créer un centre de conservation à Saintes en partenariat avec Saint-Césaire. La Ville était appelée à fournir le foncier. « Or, la municipalité a décliné cette proposition et le dossier est resté en l'état. Conséquence, l’un des entrepôts saintais accueille le fruit des fouilles de Saint-Césaire… pour l’instant » explique l’élue. La ville de Saintes aurait-elle raté le coche ? Jean-Philippe Machon est en désaccord sur le déroulé des faits.
Bref, où en sommes-nous actuellement ? Les découvertes de Saint-Césaire (préhistoire) repartiront, début 2023 vraisemblablement, vers le Nouveau Centre d’études archéologiques en cours de construction sur une partie du parking du Paléosite. Archéologues et agents permanents du Service départemental d’archéologie, basés à Saintes, y auront leurs bureaux. Ce CEA, placé sous la responsabilité du Conseil départemental, y recevra les collections de Charente-Maritime, toutes périodes confondues, où elles seront étudiées, protégées et stockées dans des conditions optimales. Cela évitera que ces précieux témoignages du passé ne soient éparpillés en divers lieux et ne s’abîment. Le bâtiment de 2500 m2 hébergera des unités de traitement, conservation, recherche, valorisation ainsi qu’une partie administrative et logistique. L’investissement est de 4,15 millions d’euros.
Dans ces conditions, quid de Saintes ?
Si elle est propriétaire de ses collections, elle a le choix entre construire son propre centre de conservation intra-muros ou bien de conventionner avec le CEA de Saint-Césaire pour héberger ses "trésors" dans un premier temps et les récupérer dans un second, quand son pôle muséal sera effectif. Cet hypothétique départ vers Saint-Césaire inquiète les historiens. Ils souhaitent que les vestiges saintais ne quittent pas Saintes, même temporairement !
« Nous devons préalablement numériser nos collections, établir une base de données, c’est à dire un récolement total. Les services y travaillent » déclare Véronique Abelin qui glisse au passage sa surprise « devant des chantiers patrimoniaux laissés en jachère et de mauvaises conditions de conservation ». Il faut dire que Saintes possède tant de monuments et de musées nécessitant des interventions que les mairies sont confrontées à des situations compliquées.
L’actuelle municipalité a donc choisi d’appliquer le principe de précaution : elle avance à son rythme, sachant que Saint-Louis peut lui coûter sa réélection. Lors de la réunion au hall Mendès France, elle a annoncé une étude : « celle d’un espace de valorisation patrimoniale visant à faire connaître et mettre en valeur, à Saint-Louis, l'inestimable patrimoine de la ville, en complément du futur office de tourisme. Chantier de fouilles ouvert au public, chantier des collections, amélioration des conditions de conservation seront les étapes préalables à la création d'un pôle muséal innovant ».
Pour Jean-Philippe Machon, ex-maire de Saintes, son successeur, Bruno Drapron « n’a rien entrepris, ni réalisé en deux ans de mandat. Pire, vous avez stoppé les projets en cours en vous séparant des équipes en place. Nous sanctionnons votre remise à zéro du site Saint-Louis dont les travaux devaient démarrer en septembre 2020. Vous avez réussi à vider le projet de sa substance pour arriver en mars 2022 à une présentation minimaliste des logements qui pourraient être construits sur le site. Les habitants méritent mieux qu’un petit quartier pour ce cœur de ville historique. Les cabinets de consultants ont redécouvert ce qui a déjà été étudié précédemment ; le nombre de logements est réduit ; les travaux cédés à un promoteur ne commenceront qu’en 2024 ; vous avez abandonné l’idée d’un ascenseur reliant la ville haute et basse ; la résidence seniors et la maison médicale ont disparu et enfin je voudrais rappeler que la DRAC a préconisé le site des arènes pour accueillir un musée ».
Jean-Philippe Machon, ex maire de Saintes, aujourd'hui dans l'opposition à son ancien adjoint devenu maire de Saintes à son tour en 2020, Bruno Drapron |
Joël Terrien, adjoint chargé des travaux, n’apprécie guère les réflexions de J.P. Machon : « Nous, nous ne bradons pas le site à un grand groupe ! Nous construisons un vrai projet qui sera cohérent ». L’opposition campe sur ses positions. Pierre Maudoux, Didier Martin et Renée Lauribe Benchimol déplorent « une politique culturelle sans ambition » et espèrent « un vrai musée et non un simple pôle muséal ».
La majorité encaisse les critiques. Situation inédite, elle a face à elle les représentants de cinq listes d’opposition (dont trois ont fusionné) : tous les maires ne peuvent pas en dire autant !
Renée Lauribe Benchimol et les membres de l'opposition espèrent la création d'un vrai musée à Saintes qui valorisera les richesses archéologiques |
• Un collectif pour le Musée Saintais « Ensemble pour sauver nos trésors » a vu le jour récemment. Il tire la sonnette d’alarme : « 774 blocs antiques cachés au dépôt de La Trocante, 270 pierres antiques dans un hangar à Mendes-France, la réserve de Lormont saturée. Plusieurs centaines de milliers d'objets : céramiques, mobilier. verreries, bijoux. Saintes est gauloise, romaine, monastique, romane, gothique, classique, cheminote. La ville n'est pas un musée, c'est une cité en devenir qui a besoin d'un musée moderne et innovant pour savoir se raconter et accueillir des visiteurs ».
• Piste pour le futur musée ? Pour information, pourquoi ne pas se rapprocher des concepteurs d’Arles l’antique dont le musée présente l'une des plus riches collections archéologiques de France, allant de la Préhistoire à l’Antiquité tardive...
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