Comptabilisé parmi les morts en 1914, Marcel Pont survit à ses quatre blessures
Ancien magistrat, Georges Pont aime l’histoire. Celle de sa famille est passionnante. Et pour cause, elle met en scène des personnalités aux destins peu banals. Ainsi, son père Marcel était porte-drapeau de son régiment lors du Défilé de la Victoire un certain 14 juillet 1919 à Paris. Atteint de plusieurs blessures pendant la Première Guerre mondiale, il a survécu et fait prisonnier, il a connu un long périple avant de revoir la France. Son chemin de souffrance. Georges Pont a raconté cette histoire dans un ouvrage intitulé « Probablement tué » publié aux éditions Persée, dans la collection Les Archives du temps.
Georges Pont (à gauche de la photo) à un salon du livre |
« Probablement tué » publié aux éditions Persée, dans la collection Les Archives du temps |
Georges Pont est bien connu à Jonzac où sa famille est intimement liée au rugby. Le temps venant, il écrit, étudie les archives, compile, publie. Lui-même a tant de choses à raconter et c’est un vrai plaisir de l’écouter. En ce vendredi, rencontre à Royan dans son appartement de villégiature. Des photos sont éparpillées sur la table de la salle à manger. On y voit des soldats de la Première Guerre mondiale, des poilus moustachus à la tenue reconnaissable - casques, vareuses, guêtres - et un cavalier à la fière allure. Cet homme, Georges Pont le connaît bien puisqu’il s’agit de son père. L’heure est aux souvenirs : « Des documents lui ayant appartenu me permettent de mieux comprendre les épreuves qu’il a endurées et les différents lieux où il s‘est trouvé durant la guerre 14-18 ».
Archives familiales : Ecole Normale de gymnastique et d'escrime de Joinville où Marcel Pons est élève officier |
En 1913, Marcel Pont devance son appel et rejoint le peloton des élèves officiers à Joinville. L’année suivante, la guerre est déclarée et son régiment, le 50e d’Infanterie, est envoyé en Belgique. « Les pertes ont été immenses, quelque 40.000 morts en deux jours ». Marcel, qui est alors sous-lieutenant, est grièvement blessé et laissé sur place. Un ordonnance et un camarade de combat le transportent sur un brancard de fortune dans une ferme à Rossard, près de Bertrix. On l’installe dans la cuisine. Il sort d’un semi coma dans la soirée et il dira plus tard : « j’étais allongé et je voyais des officiers de la 2e Compagnie manger debout. Ils parlaient de moi ». Marcel a reçu quatre blessures : le matin, il a été atteint à la main gauche, puis un éclat d’obus a touché sa cuisse droite ; dans l‘après-midi, une balle lui a transpercé le poumon droit et en fin de journée un éclat d’obus a perforé ce même poumon. On imagine l’âpreté et la férocité des combats.
Dans ces circonstances dramatiques, son pronostic vital, selon un terme actuel, est engagé. Il est transporté vers Bertrix chez une commerçante, Mme Piérard. Ses plaies sont nettoyées au lait et un médecin est appelé. Compte-tenu du danger que représente la présence d'un soldat français chez l’habitant, Marcel est confié aux Allemands qui le conduisent à l’hôpital de Trèves, soit deux ou trois jours de transport sur une charrette à bœufs. A l’arrivée, les blessés « sont triés selon leur état et soignés ». Marcel est dans un état très préoccupant et un prêtre lui donnera l’extrême onction. Un témoin, le suédois Sven Hedin, écrira plus tard dans ses mémoires : « Nous arrivâmes enfin dans une chambre où reposaient trois soldats français. L’un d’eux (Marcel) avait une blessure au poumon plus dangereuse et il était toujours secoué par une méchante toux qui, à chaque quinte, lui projetait la tête en avant et en arrière. Son état était considéré comme critique et même si l’on avait su l’adresse de ses parents, il n’y aurait en aucun plaisir à les avertir de sa situation ».
Fort heureusement, la vie est souvent la plus forte et l’intéressé s’en sort après 17 mois et demi de soins. Ayant retrouvé des forces, il tente de s’évader… et est repris. Il est alors placé dans un camp de représailles. La suite est relatée dans le petit carnet que feuillette Georges Pont où sont mentionnés les différents endroits où son père a été retenu. Au camp de Magdeburg, il fait la connaissance de Roland Garros, lieutenant pilote qui trouvera la mort dans un combat aérien en octobre 1918.
Dans un ouvrage, le suédois Sven Hedin cite le cas critique de Marcel Pont |
En Haute-Vienne, la mère de Marcel, qui est veuve, s’inquiète. Elle est sans nouvelles et craint le pire. « Le Ministère de la Guerre lui avait dit que son fils unique avait probablement été tué. Elle s’est renseignée et au bout de quelques mois, la Croix-Rouge l'a informée par courrier qu’il était gravement blessé, mais vivant. Elle lui adressait des lettres et colis et dans l’un d’eux, elle était parvenue à glisser une boussole dans du pâté pour l’aider à préparer sa prochaine évasion ». Après deux tentatives et de multiples péripéties, la lumière se dessine au bout du tunnel. Grâce à la Croix-Rouge, Marcel rejoint la Suisse et enfin la France.
Nous sommes en 1918 et l’armistice vient d’être signé. A peine le temps d’embrasser sa mère et le voilà envoyé dans les Balkans avec une étape en Italie : « Il a été affecté à la Légion étrangère à Venise avant d’aller à Bucarest. Le cavalier sur la photo, c'est lui ». Belle prestance en effet !
Marcel Pont en Italie (© archives familiales) |
Retour dans sa patrie où il participe aux cérémonies du 14 juillet 1919, appelé Défilé de la Victoire, sous l’Arc de triomphe. Il est porte-drapeau de son régiment, le 126e RI : « La manifestation a duré toute la journée. On imagine sa fatigue après ce qu’il avait vécu puisqu’à ses blessures, s’était ajoutée une pleurésie purulente ». Il revient à la vie civile et réintègre l'enseignement. Normalien, il est nommé directeur d’école à Rochechouart, établissement qui compte huit classes. Il épouse Irène en 1920.
Archives familiales : les instructions avant le défilé du 14 juillet 1919 où Marcel Pont est porte-drapeau |
De son père, Georges Pont garde le souvenir d’un homme juste, humain, courageux, valeurs qu’il a une nouvelle fois montrées durant la Seconde Guerre mondiale. Georges Pont écrit actuellement un livre sur cette période. Moments intenses, anecdotes, armes, maquis ponctueront ces témoignages qui ne manqueront pas d’intéresser de nombreux lecteurs.
• Deux évasions : Marcel Pont a tenté de s’évader par deux fois. Sa seconde tentative, où il avait percé un trou dans un mur, a été punie de 90 jours de cellule pour « atteinte à la propriété ». A Magdeburg, il a rencontré Roland Garros (l’évasion de ce dernier est racontée dans le livre « Probablement tué ») et le fils de Théophile Delcassé, alors ministre des Affaires étrangères, qui trouvera la mort durant le voyage de retour, avant d’avoir revu la France.
• Les différents camps "geôles" où Marcel a été retenu : Bonn, Wiesbaden, Trèves, Spandau, Francfort sur le Main, Magdebourg, Fribourg-en-Brisgau, Gnadenfrei, Mayence, Meissen, etc.
Dans un carnet, Marcel Pont a mentionné ses différentes "geôles" |
• Coupure de presse : « le lieutenant Pont, du 50e d’Infanterie, vient d’être promu au grade de chevalier de la Légion d’honneur avec la belle citation suivante : Officier de haute valeur, d’un entrain, d’un zèle, d’un dévouement inlassables. A eu une conduite des plus brillantes dans la journée du 22 août 1914 au combat de Rossard (Belgique). Blessé d’une balle à la cuisse à 13 heures, a conservé le commandement de sa section et malgré sa douleur, il a même pris par la suite le commandement d’une compagnie du 108e dont tous les chefs ont été tués ou mis hors de combat ; avec cette troupe qu’il ne connaît pas et dont il gagné la confiance, il soutient une lutte opiniâtre avec une énergie farouche qui oblige l’ennemi à reculer sur certains points. Blessé une seconde fois à 19 h par une balle qui lui transperce la poitrine, il tombe en héros donnant le plus bel exemple de l’accomplissement du devoir. Le valeureux officier est le fils de l’institutrice de la commune de Chaillac ».
• En réalité, Marcel Pont a été touché quatre fois durant cette fameuse journée d’août. Comptabilisé parmi les morts, il survivra et fera partie des prisonniers…• Hasard : Un jour, Georges Pont a acheté par hasard cette toile. Elle fait, elle correspond au village où son père avait été transporté après avoir été blessé en Belgique. Emotion...
Merci Nicole pour cette terrible et belle histoire ! Bernard Mounier
RépondreSupprimer