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mardi 22 décembre 2020

Témoignage/Gisèle Mérillac/Montendre : « il n’y a aucune comparaison entre la guerre 1939-1945 et la guerre que mène la France contre le Covid-19 »

Gisèle Mérillac est une figure montendraise bien connue. Boulangère durant de nombreuses années, elle s’est largement investie dans la paroisse. En 2021, elle fêtera ses 90 ans. Une occasion pour elle de revenir sur le temps d’avant et d’évoquer ses souvenirs de jeunesse à Clérac, sa commune natale.

Aux côtés de Gisèle, son frère Michel, prêtre ouvrier de la Mission de France. Pendant 60 ans, il a sillonné quatre continents (Europe, Asie, Afrique, Amérique), du Mexique à la Chine en passant par le Cap Vert. Il a publié plusieurs ouvrages consacrés à ses différentes expériences. 

Gisèle n’est pas du style à baisser les bras. Le Covid-19, elle y fait face comme les autres en respectant les gestes barrières. Douillettement blottie dans son fauteuil aux côtés de son frère cadet Michel, prêtre ouvrier de la Mission de France, cette travailleuse infatigable coule des jours paisibles dans la cité des pins. Active, elle l’a été et le restera. 

- « Vous souhaitez que je parle de mon enfance à Clérac pendant la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi pas ? » dit-elle avec un sourire. Et d’ajouter avec son franc-parler, répondant à ceux qui comparent la période Covid à un épisode de guerre : « on voit bien que ceux qui utilisent ce terme n’étaient pas là dans les années 40 ! ». 

Née en 1931 à Clérac, Gisèle Grolleaud est l'aînée de quatre enfants, un frère et deux sœurs. Ses parents, Anatole et Marguerite possèdent une exploitation agricole au Grand Village. En 1939, elle a 8 ans. « Nous autres, enfants de la campagne, n’avions pas vraiment conscience que l’Allemagne nous avait déclaré la guerre. Papa avait été appelé. Il est resté une semaine à La Rochelle avant de revenir auprès de nous car il était soutien de famille. Nous étions soulagés de le retrouver car son départ nous avait grandement attristés. La vie a continué, l’école, les jeux avec les voisins et l’aide apportée aux parents dans les vignes, pour les foins, le linge lavé à la fontaine. Nous étions également chargés de garder les vaches. Parfois, on les faisait paître le long des fossés. Il y avait moins de voitures qu’aujourd’hui ! Personnellement je voulais être couturière et je regardais souvent ce que faisait le tailleur de Clérac près de l’église, nids d’abeille, smocks. Mes ambitions se sont arrêtées là car l’argent manquait pour financer mes études après le certificat ». 

« Chacun se débrouillait comme il pouvait, on faisait du troc »

La période est compliquée. Dans ce contexte de pénurie qui place de nombreux Français dans une grande précarité, la ferme présente un avantage. Elle produit suffisamment de nourriture - le lait des vaches, la viande du cochon, les volailles, les œufs - pour offrir une certaine indépendance. Le broyage des noix permet d’obtenir de l’huile. Pour le chauffage, le bois de la forêt alimente les cheminées. « Nous n’avons jamais souffert de la faim, mais nous étions habitués à peu. Seul mon père, qui se livrait à un travail de force, avait besoin d’une bonne ration de pain, les tickets ne suffisant pas. En conséquence, il a acheté un concasseur qui nous a permis de faire notre propre farine ». 

Lorsqu’il grandit avec la guerre, l’enfant est sensible à son environnement et s’adapte. « Pour le 14 juillet, des courses au sac étaient organisées et ce rendez-vous nous amusait. Les aînés se souciaient peu de nos loisirs et nous ramenaient aux réalités de la vie quotidienne comme rentrer les gerbes de foin. Ils avaient besoin de nous et pas question de rechigner ! Nous n’avions pas de télé et encore moins de téléphone. Les infos nous étaient apportées par le journal et la radio. Personne ne se plaignait. Compte-tenu de la dureté des temps, régnait une véritable solidarité. Les villageois s’entraidaient. Nous pensions à ceux qui étaient sur le front, aux prisonniers pour qui nous réalisions des colis et bien sûr, à l’église, nous faisions des prières à leur intention. Quand les gens de la ville arrivaient dans les hameaux pour acheter des victuailles, on faisait du troc, du tissu par exemple ou des objets qu’on ne trouvait pas sur place. Par ailleurs, nous vendions les peaux de lapin à des marchands ambulants ». 

Elle évoque des moments qui ont marqué son esprit : « le soir, au retour des veillées, nous n’étions pas tranquilles en raison du couvre-feu. La Kommandantur se trouvait au château de Clérac.  Au moindre bruit sur la route, on se cachait dans le fossé. Une fois, je me souviens que ma tante, qui rentrait à bicyclette, avait heurté une vache qu’elle n’avait pas vue en raison de la nuit noire. Deux hommes emmenaient la bête pour l’abattre clandestinement. Il y avait aussi des bals clandestins. Pour un 1er de l’An, deux jeunes gens ont tambouriné à la porte de la maison, attirés par la lumière. Quand il ont vu l’Abbé Chauvin en soutane assis à la table, ils ont réalisé qu’ils s’étaient trompés de lieu. Par contre, la vue de mes cousines avait semblé leur plaire ! ». 

La paroisse de Montendre a salué l’engagement de Gisèle Mérillac
à l’occasion de la Saint-Pierre 

« Durant la guerre, des amitiés se sont liées entre citadins et ruraux »

Pour les grandes occasions, la famille se rend à Bordeaux. Gisèle vient d’avoir son certificat d’études et elle accompagne son père dans la capitale girondine. Cette sortie est joyeuse car les occasions sont rares ! Dewachter est le grand magasin de vêtements de la rue Sainte-Catherine. Contre des œufs et de la farine, la famille fait des emplettes. « A cette époque, des amitiés se sont liées entre des citadins qui n’avaient rien à manger et des ruraux comme nous qui pouvaient les aider ». Au retour, il n’y a plus de place dans le car. Comment rentrer à Clérac ? « Mon père a demandé à une voisine qui avait la chance d’avoir un siège de prévenir ma mère de notre retard. Nous sommes allés vers le Pont de Pierre où un camion allant vers chez nous a accepté de nous emmener. Il nous a déposés à Simonneau, à 4,5 km de la maison. Nous n’étions pas les seuls à rentrer à pied ! Nous sommes arrivés en plein drame. Le voisin venait de se suicider dans son puits et ma mère avait été obligée de tirer la corde avec les gendarmes pour sortir le corps. Elle était bouleversée ». 

Parmi les personnes qui surgissent de la mémoire de Gisèle, figurent le docteur Péry de Cercoux qui effectuait ses visites à vélo ainsi que l’abbé Denis, curé qui parcourait des kilomètres lui aussi à bicyclette (les roues du vélo étaient remplies de bouchons). « C’était un saint homme, d’une belle intelligence et féru d’archéologie. Il a fait des découvertes dans la région » remarque Michel Grolleaud. 

L’engagement chrétien de Gisèle ne date pas d’aujourd’hui. La première communion où les adolescentes, vêtues de tulle et de dentelle, ressemblaient à des mariées était une cérémonie importante. « Ces robes magnifiques étaient pieusement conservées. La mienne, que ma grand-mère m’avait offerte, a servi huit fois ». A cette époque, ils étaient entre 30 et 40 chaque année à faire leur profession de foi. A l’église, son père jouait de l’harmonium et Gisèle, initiée à cet instrument, chantait « comme un pinson qui pinsonne » plaisantait l’Abbé Denis. « Nous aimons le chant dans la famille et plus largement la vie artistique. J’ai une nièce qui est danseuse professionnelle et un neveu compositeur ». 

La guerre avançant, les nouvelles du front parviennent dans les foyers. Des prisonniers commencent à parler des camps de concentration et la résistance s’organise. « Le grand-père d’une copine d’école a été interpellé. Ses deux fils se sont dénoncés à sa place et ils ont été internés dans des camps » souligne Gisèle. « Comment oublier la libération de la poche de Royan ? » ajoute son frère qui fréquente alors le Séminaire de Saintes : « Il se trouve que la Charente avait débordé et l’eau formait une sorte de lac. Un pilote allié a survolé Saintes et j’ai appris par la suite qu’il s’apprêtait à y lâcher des bombes, pensant se trouver sur la côte »… Durant la même période, des forteresses volantes américaines sont abattues du côté d’Expiremont et de Montlieu La Garde. Les soldats survivants sont pris en charge par les différents réseaux. 

La paix enfin revenue, Gisèle a la vie devant elle. Elle devient Mme Mérillac et travaille avec son époux boulanger. Le couple s’installe à Montendre en 1965. Les journées sont bien remplies entre l’accueil de la clientèle et les tournées de pain. En résulte un important tissu relationnel. Rejoindre la paroisse, une fois la retraite venue, était pour elle une évidence. Elle en est devenue l’un des piliers, assurant la catéchèse pendant 27 ans et assumant moult fonctions auprès des prêtres successifs. Durant de nombreuses années, elle a animé un atelier de couture, donnant des conseils dans cette discipline qui l’a toujours attirée. 

La boulangerie Mérillac à Montendre dans les années 70 : Gisèle aux côtés
de son mari Hubert et sa fille Sylvie

« Durant la guerre, se sont créés des liens et de véritables amitiés. Certaines personnes que nous avons aidées sont toujours en contact avec nous. Malgré le temps et la distance. En nous confinant, le Covid nous isole les uns des autres et la peur nous envahit. Ne nous laissons pas abattre et protégeons-nous » conclut-elle avec un optimisme qui ne la quitte pas malgré les épreuves endurées. 

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