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jeudi 3 décembre 2020

Fortin de la Hoguette, « l’honnête homme » oublié de Chamouillac, connu pour sa correspondance avec les frères Dupuy

En 1997, Jonzac et sa région ont accueilli un important colloque consacré à un homme que Jean Glénisson, alors président de l’Université d’Eté de Jonzac, avait tiré de l’oubli : Fortin de la Hoguette. Autour de lui, les plus grands spécialistes étaient réunis dont Marc Fumaroli, de l’Académie française, et Tullio Grégory, professeur et directeur de l'Institut de l'Enciclopedia Italiana Giovanni Treccani.  

Fortin de la Hoguette, « militaire philosophe », a vécu une grande partie de sa vie à Chamouillac, près de Montendre. Giuliano Ferretti, professeur à l’université de Grenoble, a consacré un important travail à la correspondance qu’il a entretenue avec le cabinet parisien des frères Dupuy, dont l’un fut bibliothécaire du Roi. Ces échanges épistolaires éclairent la France du XVIIe siècle. Celle de Louis XIII, Richelieu, Mazarin et du Roi Soleil... 

Les bustes de Fortin de la Hoguette et de son épouse se trouvent à l'entrée
de l'église de Chamouillac

Pour mieux comprendre la vie de Fortin de la Hoguette, il est bon de rappeler le contexte où il évolue. A cette époque, on est loin d’internet ! Seule la correspondance permet aux gens lettrés de se tenir informés et d’échanger des idées. Portés par des courriers à cheval, la distribution des plis prend du temps. Si elles ne sont pas fraîches, les nouvelles ont un mérite : elles rompent l’isolement des provinciaux ! 

Gentilhomme de petite noblesse, Fortin de la Hoguette est né en Normandie en 1585. A la mort d’Henri IV, il a 25 ans et sera le témoin d’une longue suite d’événements : la régence de Marie de Médicis, le règne de Louis XIII, la domination de Richelieu, la régence d’Anne d’Autriche, le pouvoir de Mazarin, la fronde des Princes et une partie du règne de Louis XIV. Sous le Roi Soleil, la noblesse a cessé de jouer un rôle politique de premier plan. La fronde a laissé des souvenirs douloureux dans la mémoire du monarque. Toutefois, elle conserve des charges militaires ou ecclésiastiques et se doit d’être présente à la Cour. 

Comment Fortin de la Hoguette vit-il le siècle des grandeurs et à quoi pensent les hommes de son temps ? Comme le soulignait à juste titre Marc Fumaroli, professeur au Collège de France (disparu en juin 2020) : « il ne faut pas sous-estimer le rôle qu’a joué la petite noblesse dont est issu Fortin de la Hoguette dans l’histoire de France ». 

Archives 1997 : A Jonzac, dans la bibliothèque de Jean Glénisson

Une culture humaniste

Intelligent, doté d’un esprit curieux, Fortin commence sa carrière dans les armes sous Henri IV. Il sert comme officier, commande Brouage, puis la citadelle de Blaye. Il participe au siège de la Rochelle. Son existence ne se limite pas à l’art militaire. Cette confidence, écrite en 1631, est révélatrice de sa quête intellectuelle : « Je vous avoue que je vis en un lieu où je ne puis trouver satisfaction en dehors de moi-même tant les esprits semblent éloignés. Je ne vois que la pauvreté ». Pour faire circuler des idées, il faut être plus d’un, d’où la nécessité d’établir des correspondances. 

En 1640, par son mariage avec la sœur de l’Archevêque de Paris, Beaumont de Peréfixe, Fortin conforte son "statut social". Son beau-frère n’a-t-il pas été le précepteur du jeune Louis XIV ?

Il vit en son château de Chamouillac depuis 1635 et conserve ses fonctions de sergent-major à Blaye. Si la province est commandée de Paris, il existe des autorités locales. Dans la région, citons le Duc d’Epernon, dont la résidence saintongeaise est Plassac près de Saint-Genis ; le duc de Montauzier, originaire de la région de Baignes ; le marquis des Salles à Saint-Fort ; le Marquis de Saint-Maigrin ou le Maréchal d’Albret à Pons. La grande famille reste celle des La Rochefoucauld. S’y ajoutent des personnalités religieuses, Louis de Bassompierre à  Saintes et l’Abbesse de l’Abbaye aux Dames. 

Dans ce milieu d’érudits, il y a des écrivains, dont Guez de Balzac, Burgaud des Marets, et des esprits éclairés, M. de Saint-Seurin, Henri de la Motte Fouqué (dont le château est situé à Saint-Seurin d’Uzet), « homme plein de naturel et de simplicité » et Mme d’Anguitard, l’épouse de Jean Poussard, seigneur de Moings, « un peu extravagante, mais fort appréciée ». Ces gens se retrouvent et parlent politique, morale, religion. La culture est humaniste. 

Portrait de l’honnête homme

« Un père doit faire éclore ses enfants comme une tortue ses œufs »

Fortin de la Hoguette est catholique. Il est opposé au désordre et se rallie à l’absolutisme. Il ne conteste pas Richelieu et incarne ce qu’il convient d’appeler « l’honnête homme ». En voici les qualités : « cultivé sans être pédant, distingué sans être précieux, réfléchi, mesuré, discret, galant sans fadeur, brave sans forfanterie, l’honnête homme se caractérise  par une élégance à la fois extérieure et morale qui ne se conçoit que dans une société civilisée et disciplinée ». L’homme doit être le meilleur possible. La barre est placée haut, comme vous pouvez le constater ! 

Fortin de la Hoguette écrit plusieurs livres dont le plus célèbre est son « Testament ou conseils fidèles d’un bon père à ses enfants » (il en existe vingt éditions). Le testament ne représente pas les dernières volontés de Fortin, mais le fruit de son expérience, ce que la vie lui a appris et qu’il entend léguer aux générations qui lui succéderont.

Les écrits de Fortin représentent un traité de morale destiné à la jeune noblesse qui gravite près de la monarchie. Plus tard, des personnalités telles que Richelieu, Mazarin, Louvois ou Vauban utiliseront ce principe pour retracer leurs carrières respectives. 

Pour Fortin, « un père doit faire éclore ses enfants comme une tortue ses œufs ». Le père guide son fils, l’apprend à être un homme d’honneur, le responsabilise tout en pratiquant la religion d’Etat, catholique, apostolique et romaine. 

La Hoguette s’interroge sur l’homme dans ses dimensions intérieures et extérieures. Il revient aux questions fondamentales : Qui est l’homme ? Où va-t-il ? En matière d’éducation, il tente d’exorciser les passions nuisibles à l’épanouissement. Pour les "maîtriser", il conseille d’en abuser et de les transformer en vertus thérapeutiques. A son sens, la débauche engendre forcément le dégoût : « Si tu bois trop, tu seras malade et prendras l’alcool en aversion. Regarde où conduisent la mauvaise conduite et la cupidité de certains hommes. Si tu ne sais pas être généreux, quel exemple seras-tu pour ton entourage ? »… 

Un lien durable avec les frères Dupuy

Eloigné de la rigueur et de l’austérité janséniste, Fortin estime que l’observation d’autrui permet de tirer les leçons, en toute conscience et liberté. Sa rencontre avec les frères Dupuy a lieu en 1622. Il est accueilli avec « une sympathie extraordinaire ». Un lien durable va se créer. Durant de nombreuses années, ils échangent leurs impressions sur le monde qui les entoure, en privilégiant les faits marquants. Erudits, Jacques et Pierre Dupuy ont regroupé autour d’eux écrivains et gens bien pensants. Pierre est d’ailleurs un savant « antiquaire » à qui Richelieu a confié des missions politiques. Leur comité a pris le nom d’Académie Putéane. On y discute de tous les sujets, sans inquisition aucune. 

Fortin est enthousiasmé par ces personnalités qui portent un regard nouveau sur la littérature, la science, la psychologie, l’histoire. « La correspondance des frères Dupuy est l’un des principaux réseaux de la République des lettres » estiment les archivistes. Figure majeure de la fin de la Renaissance, Claude, le père des frères Dupuy, était magistrat. Il avait épousé Mademoiselle de Thou. Sa bibliothèque abritait une collection de livres rares dont le premier manuscrit de Tite-Live ! 

Giuliano Ferretti, actuellement professeur à l’université de Grenoble, a consacré sa thèse à la correspondance avec les frères Dupuy, soit quelque 800 lettres. Les tomes 51 et 52 ont été co-publiés par la Société des Archives Historiques de Saintonge et d’Aunis de Charente-Maritime.

Informer !

En héritant du cabinet, ses deux frères lui donnent une orientation nouvelle : information est le maître-mot. Jacques et Pierre veulent être les premiers à savoir. Une sorte d’Agence France Presse avant l’heure ! Et ils le sont. Pour cela, ils s’entourent de puissants relais, dont le Nonce de Rome. Devenir correspondant des frères Dupuy est une marque d’honorabilité.

A ce jour, l’inventaire fait apparaître 6200 lettres écrites ou reçues. Les frères opèrent une sélection. Ils ne gardent que celles qui intéressent la postérité. Elles proviennent de France, des Pays-Bas (université de Leyde), d’Italie, de Belgique, d’Allemagne dans la majorité des cas. Les relations avec l’Angleterre s’avèrent délicates. La langue est un obstacle et ils n’écrivent pas en latin... Pour les Dupuy, cet échec est la faute des insulaires « gens prétentieux et peu enclins à la curiosité ». Le ton est donné !

En France, les principaux correspondants habitent Toulouse, Sens, Angers, Fontenay, Aix-en-Provence où vit Peiresc, parlementaire et protecteur de gens de lettres. A Chamouillac, habite l’ami Fortin. Les plus assidus écrivent une trentaine de lettres par an. 

Isolé en Saintonge, Fortin attend avec impatience les missives qui rompent son isolement. Ces écrits du « simple quotidien » constituent un éclairage tant sur les affaires nationales qu’européennes. 

Voltaire avait pressenti la grande richesse de la vie intellectuelle française du XVIIe siècle : « Ce temps ne se retrouvera plus où un duc de la Rochefoucauld, l’auteur des Maximes, au sortir de la conversation d’un Pascal ou d’un Arnauld, allait au théâtre avec Corneille »...

Colloque consacré à Fortin de la Hoguette en 1997 : Jean Glénisson aux côtés de Bruno Neveu et Tullio Gregory (universitaire italien qui nous a quittés en 2019)

Ce colloque a incontestablement marqué la vie intellectuelle saintongeaise. Durant plusieurs jours, les conférences avaient succédé aux conférences. Outre les communications de Jean Mesnard, Marta Fattori, le Père Jean Robert Armogathe, Pascal Even, Pierre Botineau, Marc Seguin avait présenté la noblesse saintongeaise au XVIIe siècle tandis que Jean Glénisson avait dressé un portrait de M. de Pontiac, premier président au Parlement de Bordeaux. 

Au terme des échanges, Tullio Grégory, professeur de l’histoire de la philosophie à l’Université la Sapienza de Rome, avait commenté ces rencontres fructueuses : « Protégés par la petite communauté citadine qu’est Jonzac, nous avons travaillé dans une ambiance scientifique et amicale ! ». 

• Giuliano Ferretti, actuellement professeur à l’université de Grenoble, a consacré sa thèse à la correspondance avec les frères Dupuy, soit quelque 800 lettres. Imprimé par Léo Olschki de Florence, ce travail entre dans la collection «correspondenze pilisofiche scientifiche e erudite» de l’Université romaine la Sapienza. Les tomes 51 et 52 ont été co-publiés par la Société des Archives Historiques de Saintonge et d’Aunis de Charente-Maritime.

Archives 2008 : Jean Glénisson a reçu le livre de Mélanges que lui ont offert ses amis historiens. Il en comptait beaucoup, pas seulement en Saintonge mais aussi à Paris, Grenoble, en Italie, Allemagne et dans le lointain ailleurs, le souriant Brésil par exemple ! Claude Belot, maire de Jonzac, avait salué cet historien qui avait présidé durant de nombreuses années l’Université francophone d’été. Jean Glénisson nous a quittés en octobre 2010. La Société des Archives Historiques de l'Aunis et de la Saintonge lui rendra un hommage particulier en 2021, année où il aurait fêté ses 100 ans.

Remise des "Mélanges" à Jonzac (annexe des Archives départementales)

Fortin de la Hoguette : Il a fait réédifier l'église de Chamouillac

Né le 5 septembre 1585, Philippe Fortin de la Hoguette est le fils de Pierre Fortin, président en l'élection de Falaise en Normandie, anobli sous Henri IV. Jeune, il rêve d'être marin. C'est l'époque où l'or des Indes exalte les esprits. En 1612, il embarque sur une flotte qui part pour la Gambie. Le vaisseau fait une escale à Brouage où il reste immobilisé à la suite d'une querelle de "chefs". Il se rend dans la capitale pour tenter d'arranger les choses avec les autorités. Idée bien hasardeuse : à son retour, le bateau a déjà pris le large. Ainsi s'achève sa première et dernière expédition maritime ! Il se tourne alors vers le métier des armes. 

• L'église de Chamouillac (près de Montendre) a été réédifiée au XVIIe siècle par Philippe Fortin de la Hoguette et son épouse Louise de Péréfixe. Elle a été consacrée par Jacques Raoul, évêque de Saintes en 1644. Les bustes et armoiries des fondateurs figurent de chaque côté de la porte principale. 

Litre funéraire (église de Chamouillac)

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