Pages

mardi 20 octobre 2020

Disparition de Roland Fauconnier, un très grand esprit charentais

Didier Catineau, historien, évoque la mémoire de Roland Fauconnier disparu la semaine dernière. Bien connu à Barbezieux où sa famille a laissé une empreinte indélébile, Roland Fauconnier n’hésitait pas à ouvrir la maison de Musset, lieu d’inspiration et d’évasion où avait vécu son père Henri, un homme attachant, auteur de Malaisie, prix Goncourt 1930. Il lui avait rendu hommage en publiant "Henri Fauconnier, conquêtes et renoncement". 

Roland Fauconnier et Didier Catineau : deux livres en l'honneur d'Henri Fauconnier

« Je viens d’apprendre la disparition de Roland à l’âge de 96 ans et je suis très triste. Comme toute disparition, bien sûr, on a de la peine mais en l’occurrence ma peine est bien plus grande car je connaissais bien Roland et nous avions une estime réciproque qui ne s’est jamais démentie.

C’est en 1996 que je l’ai rencontré la première fois. Les éditions du Pacifique venaient de republier l’ouvrage célèbre de son père Henri Fauconnier « Malaisie » qui remporta le prix Goncourt en 1930. A cette époque (1996), j’exerçais le difficile métier de libraire d’ancien et d’éditeur régionaliste à Rochefort (« La Malle aux Livres »). Des connaissances communes nous ont fait nous rencontrer pour la première fois et nous avons échafaudé une rencontre à Rochefort avec vente de cet ouvrage tout frais sorti des presses. Je revois encore son grand bonheur à évoquer l’histoire de son père devant un auditoire conquis et la séance de dédicace qui suivit fut un beau succès et dura fort longtemps. On avait envie de rester encore.

Henri Fauconnier (1879 – 1973)

Pour le lecteur qui découvre ce nom pour la première fois, une petite révision s’impose. Henri (le père de Roland) vivait à Barbezieux (16) et ce charentais entreprit un grand voyage en Malaisie où il devint planteur d’hévéa (l’arbre à caoutchouc). Être aventurier ne s’improvise pas et les difficultés s’accumulèrent, mais l’entreprise réussit à prendre son essor dans cette France de l’entre-deux guerres, fière de ses « colonies » lointaines.

A Barbezieux, la maison familiale des Fauconnier a pour nom « Musset » et il fut une époque où l’essentiel de la vie littéraire et intellectuelle se partageait entre un bel hôtel particulier de la ville et cette charmante grande maison. Cela a son importance car de ces rencontres fructueuses entre écrivains et auteurs, jaillit d’idée du Groupe de Barbezieux.

Le Groupe de Barbezieux

Trois familles s’y illustrèrent de manière exceptionnelle :

• Famille Boutelleau : Germaine Boutelleau (1876 -1956), qui épousa Jacques Delamain, traductrice entre autres de Rudyard Kipling ; Jacques Boutelleau (1884 -1968), qui prit plus tard le nom de plume de Jacques Chardonne, auteur et codirecteur des Éditions Stock de 1921 à 1959

• Famille Delamain : Jacques Delamain, poète et scientifique ornithologue, prix Montyon 1929 de l'Académie Française pour Pourquoi les oiseaux chantent ? ; Robert Delamain, historien de la Charente, auteur de L'Histoire du Cognac ; Maurice Delamain, auteur et codirecteur des Éditions Stock de 1921 à 1959, Prix Saintour 1969 de l'Académie Française pour Plaidoyer pour les mots

• Famille Fauconnier

Henri Fauconnier, prix Goncourt 1930 pour le roman Malaisie ; Geneviève Fauconnier (1886 – 1969) (la sœur de Henri), prix Fémina 1933 pour le roman Claude ; François Fontaine, gendre d’Henri Fauconnier.

Henri entreprit de raconter sa Malaisie et comme parmi ses amis du Groupe de Barbezieux, deux d’entre eux se partageaient la responsabilité des éditions Stock, le livre fut publié et il connut un succès énorme.

« Rien n’a vieilli dans Malaisie. Ni la langue, pure, ductile, mêlant avec élégance tous les registres, ni la forme, libre, qu’on dirait “moderne”. Carnet de voyage, autobiographie, essai ethnologique, philosophique, fiction, poème : Malaisie est tout cela » (J.M. Planes, Sud-Ouest Dimanche, janvier 1999.)

« Malaisie, à sa parution, connut un immense succès. C’est un livre qui n’a pas une ride et auprès duquel La voie royale, de Malraux, ressemble à du toc » (Raphaël Sorin, Le Matin, 27 janvier 1987.)

« Malaisie » emporta un engouement considérable qui ne s’est jamais démenti au regard des très nombreuses rééditions qui s’échelonnèrent pendant plus de 60 ans.

Roland Fauconnier

Mais revenons à Roland qui, par amour filial, suivit de très près et tout au long de sa vie la trajectoire du livre de son père. Après beaucoup d’épisodes qu’il serait inutile d’évoquer, une nouvelle édition de Malaisie paraît en 1996 et c’est précisément à cette époque que nos itinéraires respectifs se rencontrent.

La maison de Musset à Barbezieux

Hommage d’un fils à son père

Encouragé par ce nouvel intérêt pour ce succès de librairie, Roland entreprendra pendant plus de dix ans, de dépouiller plus de 4000 courriers de son père. Le résultat est formidable puisque les éditions du Pacifique publièrent en 2014, « Henri Fauconnier - conquêtes et renoncement ». Roland a réussi à restituer l’essentiel de la personnalité de son père en un ouvrage touchant qui fut d’ailleurs récompensé par l’Académie de Saintonge en 2015.

Je suis allé souvent à « Musset » dans cette belle demeure située à la sortie de Barbezieux. Comme il était émouvant de connaître cette riche histoire, visiter la chambre d’Henri, se promener dans le jardin où un espace de bambous devait lui rappeler cette Malaisie qu’il aima beaucoup. Roland s’amusait d’ailleurs de nos émerveillements face à certains détails dans la maison !

Infatigable, Roland entreprit de faire connaître un style littéraire très connu en Malaisie : le pantoun.

Au XIXe siècle, on connaissait ce style poétique et des écrivains célèbres s’en emparèrent : Théodore de Banville, Leconte de Lisle, Baudelaire, Verlaine et aussi Victor Hugo.

Pantoun malais copié et mis en forme par Victor Hugo :

C'est dans la note XI des Orientales que Victor Hugo donne le poème malais reproduit ci-dessous. Il écrit :

« (…) Nous terminons ces extraits par un pantoum [sic] ou chant malai [sic], d'une délicieuse originalité :

Pantoum malai.

Les papillons jouent à l'entour sur leurs ailes ;

Ils volent vers la mer, près de la chaîne des rochers.

Mon cœur s'est senti malade dans ma poitrine,

Depuis mes premiers jours jusqu'à l'heure présente.


Ils volent vers la mer, près de la chaîne de rochers…

Le vautour dirige son essor vers Bandam.

Depuis mes premiers jours jusqu'à l'heure présente,

J'ai admiré bien des jeunes gens ;


Le vautour dirige son essor vers Bandam,…

Et laisse tomber de ses plumes à Patani.

J'ai admiré bien des jeunes gens ;

Mais nul n'est à comparer à l'objet de mon choix.


Il laisse tomber de ses plumes à Patani…

Voici deux jeunes pigeons !

Aucun jeune homme ne peut se comparer à celui de mon choix,

Habile comme il l'est à toucher le cœur.


En juillet 2015, Roland organisa à Barbezieux des « Actes de rencontres de Barbezieux », sur les traces d’Henri Fauconnier et du pantoun malais.

En mai 2016, il fut invité à Kuala Selangor en Malaisie pour un colloque consacré à Henri Fauconnier et la Malaisie.

Comme on peut le constater, l’esprit charentais brille de mille feux avec de tels écrivains et auteurs !

Mais tout voyage a son épilogue. Roland vient de nous quitter à l’âge de 96 ans et ses obsèques auront lieu vendredi 23 octobre à Paris en l’église Saint François-Xavier.

Merci Roland pour cette belle amitié et je tiens à partager ma peine avec ta famille ».

© Didier Catineau – 18 octobre 2020

• Illustrations photographiques : elles viennent de plusieurs visites à « Musset ». On pourra y reconnaître cette belle demeure, foyer intellectuel de notre Charente et qui nous touche par ses visiteurs prestigieux et ambassadeurs de notre province ainsi que les couvertures des deux livres auxquels Roland a participé avec ferveur, fougue, intelligence, rendant ainsi un hommage remarquable à son père. Lisez ou relisez « Malaisie » : vous serez sous le charme !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire