Eric Sionneau s'est installé à Jonzac fin 2019 |
« La révolte des gilets jaunes a bousculé les lignes. Vieux militant de « ce rêve qui bouge », j’ai, comme d’autres, été surpris par son ampleur et sa détermination. Sur une prudente réserve à son début, devant ce qui me semblait être une nouvelle révolte de type poujadiste, j’ai, comme le mouvement, évolué. Il est vrai que les premiers échos faisaient état d’un fatras où se retrouvaient petits patrons, artisans, travailleurs précaires, etc. Nous étions loin d’une lutte sociale « traditionnelle » et, durant quelques semaines, je ne m’y investis pas. Je m’éloignai même de ma ville pour aller trouver retraite en Charente-Maritime. Cela me valut d’ailleurs un parcours dantesque en voiture vers mon lieu de villégiature. Six heures et demie de trajet au travers de routes coupées, ronds-points filtrants et multiples barrages dressés par ces fameux gilets jaunes protestant contre « les taxes ». Mais aussi sorties d’autoroutes fermées, routes nationales barrées par la gendarmerie, blocage d'une vingtaine de kilomètres aux abords d’Angoulême, cheminement chaotique entre champs et rares villages, GPS en surchauffe... Au final, ce fut pour moi un véritable marathon occasionné par cette foutue « jacquerie » du 17 novembre 2018.
Cependant, dès les premiers jours, des compagnons vinrent s’y coltiner. Ils encaissèrent les quolibets des militants d’ultra-droite tentant d’occuper ce terrain qu’ils pensaient potentiellement fertile à leurs idées. Assez rapidement, le mouvement se transforma, les revendications devinrent de plus en plus sociales, des remises en question radicales de nos modes de fonctionnement apparurent, on se mit à parler d’écologie, d’anticapitalisme, etc.
Dès la mi-décembre, je le ralliai pour ne plus le quitter. J’y rencontrai des personnes, nombreuses, aux profils très différents les uns des autres. Cela changeait de mon petit train-train militant provincial.
Carrefour d'idéologies diverses, ce mouvement était porté par un besoin vital de fraternisation et de « faire ensemble » renvoyant l’individualisme de la société libérale aux poubelles de l’histoire. Il essayait de remettre au goût du jour les devises d’un rêve républicain remisé dans les poubelles de l’histoire par la bourgeoisie.
Le mouvement perdura et s’organisa, petit à petit, autour d’assemblées générales hebdomadaires. Il continua son bonhomme de chemin, refusant l’illusion électorale et la présence en son sein d’un quelconque leader.
Si l’insurrection n’a pas eu lieu, force est de constater qu'il a suffi de quelques mois aux gilets jaunes pour obtenir plus de revalorisations sociales que n'en ont négociées les grandes machines rouillées que sont devenues les organisations syndicales.
Au milieu de cet été aux lourdes chaleurs, je me remémore les multiples manifestations et rassemblements auxquels j’ai participé.
Force est de constater qu'en dehors d’attitudes qui se voulaient guerrières et du look viriliste dont certains se paraient, nous étions loin de toute tentative insurrectionnelle dans notre ville. Aucun député de la majorité n’avait été invectivé, chahuté, brocardé. Leurs permanences étaient restées bien propres, bien lisses comme leurs idées... Le siège du MEDEF, devant lequel nous étions passés des dizaines de fois, n’avait pas été saccagé, la préfecture avait toujours ses murs immaculés, la mairie n’avait pas été prise d’assaut dans un fier essai de proclamer une nouvelle commune insurrectionnelle !
Nous étions restés tranquilles, fidèles à cette réputation de nonchalance que nous avons, gens de ce pays, entre Loire, Cher et Indre, aux paysages dominés par de multiples châteaux, aux coteaux de tuffeaux creusés pour bâtir les villes, aux lointaines, très lointaines et oubliées fureurs rabelaisiennes...
Les pages de mon livre "Jaunes" abordent cette période en deux approches. D’une part, le récit au fil de l’eau des événements qui ont rythmé ces derniers mois et, d’autre part, une tentative d’analyse de ses principales caractéristiques locales ».
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