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jeudi 11 juin 2020

Brouage/Samuel Champlain ou l’Eldorado poilu : Quand le castor rendait “toqué“ !

Hommage à Christian Morissonneau

En juin 2008, l'universitaire québécois Christian Morissoneau présentait à Brouage une conférence sur Champlain, fondateur de la ville de Québec. Ce rendez-vous, proposé dans le cadre des cérémonies du 400ème anniversaire, avait attiré un nombreux public, curieux de mieux connaître le parcours de ce géographe né en Saintonge. Le compte-rendu de cette réunion est d’autant plus émouvant que Christian Morissonneau nous a quittés en novembre 2019. Rendons hommage à ce professeur brillant dont les conférences étaient passionnantes. Une chance de l’avoir croisé en Charente-Maritime où il venait de temps en temps y rencontrer Jean Glénisson et quelques autres historiens. 


De gauche à droite, Christian Morissonneau, l'historien Jean Glénisson, Michel Servit (ancien conseiller général de Royan)
Christian Morissonneau pourrait faire sienne la devise de la Haute Saintonge. Comme ce territoire, il est haut en couleurs tant par sa verve que ses connaissances historiques et géographiques. Qu’il soit face à des étudiants ou un public soucieux de se « déniaiser », il enseigne avec le même humour ! Samedi dernier, il était l’invité de la CDC du bassin de Marennes-Oléron qui organisait une journée d’animation à Brouage en l’honneur de Champlain.
À cette occasion, la citadelle prisonnière des terres, gardée fidèlement par ses échauguettes, a révélé son passé avec fierté.
Il fut un temps où cette ville prospère attirait moult nationalités et faisait des envieux. On y armait les bateaux partant pêcher la morue à Terre Neuve. Grâce à l’or salant, son gouverneur, le cardinal de Richelieu en fit un port de commerce renommé ainsi qu’un lieu stratégique capable de contrer la rebelle Rochelle. Mais le destin s’en mêla. Après ses riches heures, l’eau, qui léchait ses remparts, l’abandonna et Brouage devint un repère fantôme, engoncé dans le marais.
Quand on découvre ce lieu fortifié par Vauban et restauré par le Conseil Général au siècle dernier, on a du mal à imaginer l’activité qui régnait entre ses murs quand il portait le joli nom de Jacopolis (de son créateur, Jacques de Pons qui le fonda en 1555). Le gros bourg entouré de fortifications est devenu une étape touristique, fière de son escalier que descendit l’amour de Louis XIV, la jeune nièce de Mazarin, Marie Mancini.

Reconstitution historique à Brouage devant le grand escalier
Diplomate et courageux

Dans les rues de Brouage, Christian Morissonneau se sent comme chez lui. Il vient parler de Champlain à qui il a consacré un bel ouvrage.

Il n'existe aucun portrait officiel de Champlain
Champlain, qui serait né à Brouage vers 1575, est son éminence grise. Mieux, il “occupe“ son esprit : « Il est bien présent dans ma tête. J’imagine la façon dont il vivait et les lieux tels qu’ils devaient être à l’époque où il est arrivé en Nouvelle France » avoue-t-il avec un sourire malicieux. Québec, la capitale, n’était pas son premier choix. Il aurait préféré Les Trois Rivières, un endroit propice au commerce des fourrures puisque l’enjeu de la présence française gravitait autour de ces échanges. À cette époque, en effet, les gentilshommes arboraient fièrement des chapeaux en castor. C’était chic ! Or, pour être élégant à la Cour, il fallait acheminer en France les pelages de ces animaux qui n’y vivaient pas.
En s’embarquant pour ces terres inconnues (ou presque), Samuel Champlain (ne pas dire « de Champlain » car il n’a jamais été anobli) a deux objectifs : les affaires et, qui sait, découvrir une route vers la Chine. Outre la fabuleuse épopée de Marco Polo, gravée dans les mémoires, le souvenir de Jacques Cartier, découvreur du Canada, est récent.
En 1603, année de son premier séjour en Nouvelle-France, Champlain est envoyé comme observateur par le gouverneur de Dieppe à la tête d’une association de marchands, avec l’assentiment du roi Henri IV. Il ne part pas au hasard, étant proche de Dugua de Mons (qui fut gouverneur de Pons de 1610 à 1618). Ce dernier a obtenu du Roi le monopole du commerce des fourrures en Amérique septentrionale. Ensemble, ils participent à une expédition dans le Sud-Est du Canada en 1604.
Cette même année, une première habitation voit le jour en Acadie, sur l’île de Sainte-Croix (aujourd’hui dans le Maine), avant Port-Royal.


Sur place, la vie n’est guère réjouissante : il fait froid et la première année, vingt personnes trouvent la mort. On comprend pourquoi Gilles Vignaud chante « mon pays, c’est l’hiver ! ». Dugua lui-même tombe malade à Tadoussac et à sa mort, en 1628 au château d’Ardennes (commune de Fléac sur Seugne), il ne sera jamais revenu en ce lieu inhospitalier. Pour point d’ancrage, il boude Québec, dont le climat est trop rude, et préférerait des cieux plus cléments.

Champlain est donc un cartographe avisé, doublé d’un homme de terrain et d’action. Partir à l’aventure, marcher sur de longues distances, faire du bateau, chasser, entrer en contact avec les peuples autochtones, créer des alliances, tout cela ne lui fait pas peur. Le but est de créer une colonie qui fera souche, mission qu’il remplira.
Il marche dans les pas maritimes de son oncle, Guillaume Allène, baptisé le “corsaire provençal“. Avec lui, il a rapatrié les Espagnols dans leur pays après la paix de Vervins, signée entre Henri IV et Philippe II d’Espagne. « Son oncle a été successivement catholique et protestant, sans état d’âme » souligne Christian Morissonneau qui voit en ce comportement une souplesse liée aux circonstances.


Champlain a sans doute admiré cet homme qui l’épaule, mais en possède-t-il l’audace ? Il aime la navigation puisqu’il est allé au Mexique et aux Antilles. Braver la « peau du diable » (l’expression donnée par les marins à l’océan) ne l’inquiète pas. Il ne cherche pas non plus à se donner bonne conscience en invoquant le prétexte religieux de l’évangélisation.
Si l’esprit d’entreprise de Champlain rappelle celui de Cortès, on ne trouve en lui aucune violence, mais stratégie et diplomatie. N’oublions pas que Cortès, qui s’empara de l’empire aztèque pour le compte de Charles Quint, roi de Castille et Empereur romain germanique, détruisit purement et simplement cette civilisation. Pizarro en fit autant au Pérou avec les Incas. Dans sa grande mansuétude, la religion catholique était compréhensive !
Champlain, quant à lui, n’est pas une brute. Nullement empreint de bigoterie hypocrite, il préfère composer avec les Indiens pour organiser la fameuse traite des fourrures qui succède à un autre commerce prospère : « Au début, il y a la morue » clame l’orateur en riant !
Après ce poisson qui peut être conservé grâce au sel de Brouage, entre en scène le castor, « eldorado poilu » qui fait le bonheur et la coquetterie des Européens. S’y ajoutent le lynx et la loutre.
S’organise alors une véritable filière : les Indiens ont des peaux, du maïs (blé d’Inde), du tabac ; les Blancs possèdent des marmites et des tas d’objets qui simplifient leur quotidien. Ils sont faits pour se rencontrer !

Il rêve de la Chine

Le lieu propice au commerce des peaux est Tadoussac. Une alliance se crée d’ailleurs avec les Montagnais, grands fournisseurs de fourrures. L’accord est de défendre Montagnais, Hurons et Algonquins contre les Iroquois, avec la bénédiction du Roi, s’entend. Champlain respecte les alliances avec les Amérindiens. Durant de nombreuses années, il fait des allers et retours entre la France et la Nouvelle France, 23 au total. La traversée dure deux mois environ. La plupart du temps, il part de Dieppe, Honfleur, le Havre ou Saint Malo.

Gravure de St Malo, l’un des ports d’où partit Champlain vers la Nouvelle France.
Mariant l’histoire à la géographie, Christian Morissonneau a rappelé que Champlain avait toute sa place à côté de Jacques Cartier, le fameux marin de Saint-Malo qui remonta la Grande Rivière du Saint-Laurent dans la première moitié du XVIe siècle. Champlain a laissé moult notes, cartes et croquis.
La Rochelle ne le voit qu’une seule fois. De retour à son nouveau “domicile“, il se livre à des repérages, explore les fleuves, fait des relevés. Il ignore la réalité des grands lacs et se met à rêver d’un passage vers la Chine et ses trésors...
Au fil du temps, le site de Québec « signature des Français dans la vallée du Saint Laurent » finit par s’imposer. Les textes sont révélateurs : « Cependant Champlain, après avoir soigneusement examiné en quel lieu l’on pouvait fixer l’établissement que la Cour désirait sur le Fleuve, se détermina pour celui où l’on a bâti la Ville de Québec ; nom formé ou corrompu de celui de Quebeio, ou Quelibec, que les Sauvages donnaient déjà au même canton, qui signifie dans leur langue, rétrécissement, parce que le Fleuve s’y rétrécit jusqu’à n’avoir plus qu’un mille de large ; quoique dix lieues au dessous, il reprenne encore quatre ou cinq lieues de largeur. On compte, de là, vingt lieues jusqu’à la mer. Champlain y étant arrivé le 3 Juillet 1608, y construisit quelques baraques et s’attacha aussitôt à faire défricher les terres. Ainsi, c’est à cette année qu’on peut rapporter la première fondation de Québec ».

Champlain y pousse son dernier soupir en 1635, sans avoir trouvé de réponses à ses questions. Les habitants n’y sont pas bien nombreux, moins de 300, dit-on. Quelques années auparavant, en 1629, Québec a été prise par des corsaires anglais avant de revenir dans le giron français...

Un public soucieux de se "déniaiser" !
Christian Morissonneau avec Xavier de Roux, alors conseiller général 
et maire de Chaniers
• 30 % de Saintongeais


Au XVIIe siècle, la colonisation de la vallée du Saint Laurent fut lente. Parmi les 7000 Français immigrés, les Saintongeais partis de La Rochelle sont les plus nombreux. Ils représentant près de 30 % de la totalité, suivis des Normands, 25 %, et des colons provenant de l’Ile-de-France, de la Normandie et du Perche (un peu plus de 15 %). La majorité était des paysans ou artisans. Dans son ouvrage intitulé « La population du Canada en 1663 », l’historien Marcel Trudel (1973) explique que le clergé formait à peine 2,5 % de la population, la noblesse 3,2 % et le tiers-état 94,3%.
Dans ce dernier ordre, la bourgeoisie comptait pour 26,3 % de l’effectif avec un taux d’analphabétisme aux environs de 20%, tandis que les "petites gens" constituaient 60 % du même effectif avec un taux d’analphabétisme de presque 53 %. « Voici donc une population où 30 % sont des ruraux analphabètes et 56 % sont dialectophones » ajoute le professeur Gauthier.

• 600 mots du patois saintongeais survivent au Québec

Christian Morissoneau évoque des mots du vocabulaire québécois issus tout droit du patois : “voyagerie“ pour décrire l’état de voyage, la “découverture“ pour parler de découverte en incluant l’action.
A-t-on déjà comparé les mots du parler québécois actuel et ceux de notre patois ? Nous avons posé la question à James Poirier , spécialiste du parler saintongeais : « Les Saintongeais n’ont pas été les seuls à peupler le Canada français mais, majoritaires parmi les émigrants de l’Ouest de la France, ils ont laissé un héritage aisément reconnaissable que l’on retrouve aussi bien dans la phonologie, les intonations et l’esprit gaulois pince-sans-rire des Québécois que dans leur vocabulaire ordinaire, à commencer par notre emblématique «chéti», exactement conservé dans le sens que nous lui connaissons. On pourrait aussi bien citer des mots comme «asteure, dret, fret, âchet, mouiller, siler « toujours utilisés par nos cousins d’outre-Atlantique pour dire «maintenant, droit, froid, ver de terre, pleuvoir, bourdonner». La seule étude systématique de comparaison linguistique que je connaisse est celle du Professeur Gauthier qui, en 1994, estimait à 600 le nombre de mots saintongeais conservés dans les parlers québécois et acadiens. Ol est pas reun ! Rappelons enfin que le «jh» bien de chez nous, signature indiscutable de l’origine proprement saintongeaise, est toujours vivant dans le parler acadien de Nouvelle-Ecosse ».

• Mais où se trouve la tombe de Champlain ?

À Québec, elle n’est toujours pas localisée. Certains “accros“ ont passé plus de quarante ans à chercher celui qui mourut le jour de Noël, le 25 décembre 1635. Sa naissance, quant à elle, a sûrement eu lieu à Brouage où cet homme de la mer venait prier, peut-on lire dans l’église du village.

Gravure de l'habitation de Québec
• Christian Morissonneau vouait une grande admiration à Samuel Champlain 

L’universitaire québécois a fait de minutieuses recherches afin d’offrir des détails inédits sur la vie de ce soldat aventurier, né à Brouage aux alentours de 1570. Pour l’auteur, il est aux antipodes de Jacques Cartier qui incarne l’échec de la France. Pire, la braderie s’est terminée en 1803 quand Napoléon a vendu ses territoires américains (Louisiane) aux États-Unis pour 15  millions de dollars.
Et d’ajouter : « Si la France avait compris l’importance géopolitique des régions d’Amérique, ce n’est pas l’anglais qu’on parlerait aujourd’hui dans le monde, mais la langue de Molière !».

• Unir Amérindiens et Français

Champlain croyait en ces terres nouvelles. Il arrive à Tadoussac en 1603. Avec Dugua de Mons qui a le soutien des Grands du royaume, il organise le commerce des fourrures (l’eldorado poilu !) et crée les premières habitations. Les arrivants sont surtout des volontaires.
Champlain effectue 23 traversées au total et malgré sa présence sur le terrain, il se contente d’être « le représentant de », sans jamais obtenir le titre de gouverneur. «  Champlain est l’employé de Dugua de Mons qui a la chance d’être noble. Les hommes qui succéderont à Champlain le seront tous et, en conséquence, seront gouverneurs  » explique Christian Morissonneau. On voit bien apparaître un “de“ entre Samuel et Champlain, mais il est plutôt de circonstance.
Champlain poursuit de nombreux desseins dont celui de se rendre en Chine. Le malheureux ignore qu’il est fort mal placé pour s’y rendre !
L’un de ses atouts est d’être géographe et dessinateur. Attentif au monde qui l’entoure, il réalise cinq volumes, 33 cartes et consigne tout ce qu’il voit. Il est courageux (il parcourt 35 000  km) et humaniste puisqu’il ne considère jamais les Amérindiens comme l’ont fait les Espagnols qui ont pillé et méprisé les autochtones. Au contraire, il rêve d’une communauté réunissant les deux populations. « Alors, nos garçons se marieront avec vos filles et nous ne serons plus qu’un peuple » dit-il lors d’un rassemblement en 1633 à Québec.

Cette “nation métisse“, où la société nouvelle sera faite de petits propriétaires terriens, libres et égaux, s’arrête le 25  décembre 1635, jour de sa mort…

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