Pages

jeudi 26 mars 2020

Le témoignage de Marie Delaunay, confinée à Rome : « En Italie, les personnels hospitaliers sont traités en héros »

Guide touristique, Marie Delaunauy vit à Rome depuis une dizaine d'années. L'Italie étant durement frappée par le coronavirus, le confinement y est en vigueur depuis le 8 mars. Dans ces conditions, plus question de conduire des groupes à la découverte de la ville éternelle, l'une des plus belles au monde. En l'attente de jours meilleurs, Marie nous livre des confidences sur son quotidien et sur la façon dont les Italiens vivent cette situation exceptionnelle.

Photo de la belle époque où ne sévissait pas le coronavirus. Ici, un groupe guidé par Marie Delaunay au Vatican. Trilingue (français, italien, anglais), elle étude actuellement le chinois.
Après la Chine, l'Italie est le deuxième pays au monde le plus touché par l'épidémie de Covid-19 et le nombre de morts y est important. Comment les Italiens vivent-ils cette situation exceptionnelle et quelles sont les consignes mises en place par le Gouvernement ?

Marie Delaunay : Les Italiens vivent cette situation avec gravité et responsabilité. Surtout dans les premiers jours, on a senti une cohésion, une conscience du danger. Quelques personnes ont mis un peu de temps à comprendre, d'autres continuent à enfreindre les règles, mais la très grande majorité observe ces règles très dures consciencieusement. Les consignes sont de ne pas sortir, sauf pour trois raisons qu'il faut certifier par un document à remettre aux forces de police en cas de contrôle : aller faire ses courses, se rendre au travail et pour raisons de santé (parents fragiles, urgence médicale). Respecter toujours la distance sociale d'au moins un mètre. Donc pas de dîner chez les amis, pas de déplacement en dehors de sa ville, etc. Comme de nombreuses personnes ont perdu leur emploi ou travaillent à la maison, cela a beaucoup réduit la circulation (tout est fermé sauf supermarchés, pharmacies, postes, quelques usines essentielles et toute la filière agroalimentaire évidemment).

• Comme en France, certains hôpitaux sont saturés et les appels à l'aide de professionnels de santé, diffusés à la télévision, sont bouleversants. Le mécontentement des personnels hospitaliers va-t-il croissant ?

Les personnels hospitaliers sont traités en héros. Des renforts arrivent de l'étranger et le Gouvernement a fait un appel pour le recrutement de 700 médecins (auquel ont répondu plus de 7000 personnes). Toutefois, les dispositifs de protection ne sont pas suffisants, surtout pour les médecins généralistes de famille qui prennent des risques en allant visiter les malades chez eux. C'est un problème, mais il semblerait que le marché mondial des fournitures sanitaires soit saturé.
En Italie comme en France ces dernières années, des coupes budgétaires ont été faites sur la santé publique et les médecins italiens souffrent actuellement du manque de protections, masques combinaisons, etc. Ils le disent et le Gouvernement, je crois, essaie de faire le maximum. Sans manifestation de révolte ou de colère, le monde médical fait son devoir dans des conditions plus que difficiles et une trentaine de professionnels sont déjà morts du virus. Il y a dans tout le pays un élan moral en leur soutien.

• Certains Italiens critiquent-ils la façon dont est gérée la crise comme c'est le cas en France où des médecins accusent le Gouvernement de n'avoir pas pris des mesures suffisamment tôt pour endiguer l'épidémie ?

Non, surtout dans les premiers jours, il y a eu un consensus autour du Gouvernement. Les interventions de Conte ont eu, je pense, la juste gravité et empathie pour faire accepter à tout le monde la situation (les groupes Facebook et Instagram de groupies de Giuseppe Conte se multiplient). A maintenant plus de deux semaines du début du confinement, alors que les résultats commencent à se faire sentir (le pourcentage de nouvelles contagions baisse chaque jour ainsi que les chiffres absolus), le consensus est le même avec cependant le début de petits remous du côté de la politique. Ce week-end, le Gouvernement a rencontré les chefs de l'opposition parlementaire qui demandaient plus de dialogue et la réouverture du Parlement justement.
Un autre problème politique est apparu pendant la crise sans aboutir à un conflit ouvert étant donné l'urgence de la situation, mais il pourrait se représenter : le rapport entre le Gouvernement central et les Régions. Le président de la Lombardie, en première ligne dans cette épidémie, a fait comprendre le besoin d'un dialogue plus important, et la nécessité d'éviter les superpositions normatives (décret de la Région contre décret du Président du Conseil des ministres, etc). Le problème vient du fait que les Régions sont compétentes en matière de santé. Ce même gouverneur de Région a aussi critiqué le Gouvernement pour quelques lenteurs dans l'application de normes qu'il demandait depuis longtemps (la fermeture des usines par exemple).

• Vous êtes confinée à Rome. Quel est votre quotidien ? Le temps semble-t-il s'être arrêté dans la ville éternelle ? Pourquoi n'avez-vous pas choisi de revenir en France où résident vos parents ?

Ayant perdu mon travail (le tourisme est totalement arrêté évidemment), je fais comme beaucoup de personnes qui se sont retrouvées à l'arrêt du jour au lendemain : j'essaye de mettre à profit cette "pause" pour faire toutes ces choses qu'on a jamais le temps de faire : s'occuper de soi, finir tous les livres lus à moitié et jamais terminés (surtout pour mon travail), commencer à prendre le soleil (car heureusement le printemps pointe son nez), mettre de l'ordre dans documents papiers et digitaux.
Je n'ai pas voulu prendre un vol pour Bordeaux, d'une part car je trouvais ce geste irresponsable : jusqu'à la veille du confinement j'étais au travail, dans des lieux touristiques très fréquentés, avec un groupe par ailleurs provenant d'une zone foyer en France... Il aurait été irresponsable de ma part de me déplacer et créer une éventuelle possibilité de contagion. D'autre part, ne sachant pas comment la situation évoluera et combien de temps elle va durer, je ne voulais pas me retrouver coincée en France, dans la perspective d'un reprise d'activité par ailleurs possible dans d'autres domaines (enseignement à distance, etc) pour lesquels je pourrais avoir besoin de mon environnement quotidien.


Marie Delaunay a fait ses études au lycée Louis le Grand à Paris avant de rejoindre le programme Erasmus et l'université la Sapienza de Rome. Diplômée en histoire de l'art, elle est la fille d'Evelyne et François Delaunyay, respectivement députée suppléante et maire de Chenac Saint-Seurin d'Uzet.
• La vie économique du pays, qui présente d'importants contrastes entre le Nord et le Sud, est-elle à l'arrêt ?

Oui, la vie économique est très fortement perturbée, voire totalement à zéro dans certains secteurs (tourisme, petit commerce). Un élément de débat a été, dans les premiers jours du confinement, de savoir s'il fallait fermer les usines ou non. Il y a eu des protestations, voire des grèves d'ouvriers qui refusaient de travailler dans des conditions qui ne permettaient pas le respect des normes de distanciation sociale. Ainsi un grand nombre d'entre elles ont été mises à l'arrêt, mais certaines tournent encore.

• L'Italie, c'est aussi le Vatican. Quel message le Pape a-t-il délivré face à cette crise planétaire ?

Il a adressé des messages de compassion et de prière pour la fin de ce fléau. Il a aussi fait un geste qui nous a fait sourire, nous guides touristiques de Rome. Il est allé prier dans deux églises de Rome : Sainte-Marie Majeure et San Marcello. Dans la première, est conservée une icône très ancienne appelée "Salus populi romani", considérée miraculeuse car le pape Grégoire 1er l'avait utilisée en procession en 590 pour arrêter une peste dévastatrice. Cette légende est liée à celle du château Saint-Ange. Ce retour d'une forme de dévotion un peu antique est curieux !

• Quel regard "général" portez-vous sur cette crise sanitaire ? Quelles sont les leçons à en tirer pour l'avenir  ?

Je ne sais pas... Je ne voudrais pas faire des considérations trop globales alors que nous n'en sommes encore qu'au début. Très sûrement, le fait que le smart working se soit si bien développé, ainsi que l'enseignement à distance à l'école est un fait positif pour faire changer de direction notre économie. La pollution s'est drastiquement réduite sur la Lombardie très polluée d'ordinaire. Il y aura de nouvelles habitudes prises pendant ces mois qu'il pourrait être très profitable de continuer !...

Merci Marie et prenez soin de vous (nous profitons de cette interview pour saluer nos amis italiens et leur souhaiter bon courage).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire