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vendredi 19 avril 2019

Le château de Mortagne, un balcon sur l'estuaire où flotte le souvenir d'Yvain de Galles

Mercredi à la mairie, alors que l'office de tourisme communautaire de la CARA présentait les grandes lignes de la communication qui sera faite sur Mortagne et les communes alentours en 2019 (thèmes forts : Mortagne couleurs Toscane, belles animations en juillet, etc), l'idée d'y organiser des fêtes galloises en 2020 - initiative du regretté Michel Suire voici quelques années - a été évoquée. Ce village en bordure d'estuaire possède une riche histoire, au moment de la guerre de Cent ans en particulier. Le nom d'Yvain de Galles, le dernier héritier de la famille royale galloise baptisé "le chevalier à la main rouge", est associé à ce passé qui opposa troupes françaises et anglaises...

 •  Yvain de Galles, tué à Mortagne 
en 1378,  est resté dans les mémoires

Mortagne garde la mémoire d’Yvain de Galles qui vivait au XIVe siècle. Quel rapport ce valeureux guerrier a-t-il avec cette commune du bord de l’estuaire ? L’histoire mérite d’être contée... 

Grâce au travail des historiens, on en sait un peu plus sur le dernier héritier de la famille royale galloise, mort au XIVe siècle. Celui qui aurait pu devenir roi s’appelle Owain Lawgoch - traduire Yvain de Galles - et le hasard fait qu’il a vécu en France. La vie d’Yvain, né en 1330, n’a pas été un long fleuve tranquille ! Pour mieux comprendre, un petit retour en arrière s’avère nécessaire.

Edouard 1er ayant annexé le pays de Galles (avant d’être totalement incorporé à la couronne anglaise par Henri VIII au XVIe siècle), le garçonnet, qui figure sur la ligne successorale, est en danger. Pour le sauver d’une fin certaine, sa famille l’aurait envoyé en France où il aurait côtoyé le futur souverain, Charles V. Il aurait alors appris le maniement des armes et les bonnes manières avant d’être fait chevalier.
Au moment de la Guerre de Cent ans, quand les Anglais occupent moult places, il combat naturellement aux côtés des Français. En mai 1372, Yvain, qui se trouve à Paris, annonce qu'il a l'intention de réclamer le trône du pays de Galles. Il s'embarque à Harfleur avec de l'argent emprunté à Charles V en vue d'attaquer Guernesey. L'expédition est abandonnée quand Charles le réclame en tant que soldat à La Rochelle. Le 23 août de la même année, il fait prisonnier Jean de Grailly, captal de Buch, à Soubise. Le captal de Buch n’est autre que l’ancêtre de l’actuel marquis Jean de Grailly, propriétaire du château de Panloy (près de Saintes).
Auprès du fameux Bertrand du Guesclin, Yvain participe activement à la reconquête du royaume. Imposante barbe et chevelure d’or, celui qu’on a baptisé « le chevalier à la main rouge » ne passe pas inaperçu.

Après un long périple et de féroces combats, il arrive en Saintonge sur ordre du duc d’Anjou. « Il avait cinq cents hommes sous ses ordres et il a avancé dans la Saintonge vers Saint-Jean-d’Angély. Anjou et le reste de l’armée sont retournés à Toulouse. Mortagne était une forteresse importante qui dominait la Gironde et les approches de Bordeaux ; une flotte avait été envoyée de l’Angleterre pour la délivrer. Yvain a avancé jusqu’à Saintes et puis à Mortagne et s’est préparé pour un long siège ; le château était une forteresse bien défendue avec une abondance de provisions et un commandant déterminé. Pour maintenir le siège, il a construit quatre fortins. Un, sous son commandement personnel, donnait sur la mer ; le second pour contrôler une poterne dans le château ; le troisième de l’autre côté du château et le quatrième à l’église de Saint-Léger » précisent les chroniqueurs. Le siège commence et s'éternise... mais Yvain est patient. Malheureusement, il ignore que dans son entourage immédiat, un certain John Lamb, un félon à la solde de l’ennemi, a pour mission de l'éliminer (toujours pour éviter qu'il ne règne). Le « contrat » est rempli en juillet 1378. La riposte est sanglante.

Les Gallois sont en deuil : le dernier descendant masculin de la maison royale de Gwynedd est définitivement "écarté" du trône. Au fil du temps, Yvain de Galles est devenu « un héros populaire, courageux, l’archéotype du redresseur de torts national, tué pour des raisons politiques ».
Un livre, écrit par Bryan Davies, lui a été consacré et le bulletin municipal de Mortagne, à une époque, a conté ses exploits sous forme de feuilleton.

Gravure : siège du château de Mortagne (XVe) - Conquise par les Anglais, la place-forte de Mortagne revient aux Français en 1407 après une bataille remportée par François de Montbron. Au XVIe siècle, au moment des guerres de religion, Mortagne est pillée par les troupes d’Agrippa d'Aubigné…

• Description du château de Mortagne faite par l’ingénieur géographe de Louis XIV, Claude Masse (1701) :

« Le château est grand et vaste à présent, presque sans défense quoiqu'il soit fermé de murs du côté de la rivière par un rocher escarpé de 40 à 50 pieds de haut. Les logements intérieurs sont en très mauvais état, la plupart n'ont pas été achevés et d'autres brûlés en 1651. Il y a une grande chapelle. Tout l'intérieur du château est d'un terrain brut où il ne demeure qu'un pauvre paysan. Il est couvert du côté de terre par un sillon et une seconde enveloppe fort élevée, enceint d'un fossé fort profond, taillé dans le roc. Le château a été autrefois fort estimé et de difficile accès aux machines militaires qui étaient en usage avant le canon. Pour la partie où ce château n'était pas fossoyé ou de rochers escarpés, contre lesquels flottait la Garonne, l'escarpe était très raide et difficile à monter. La tradition assure qu'il a soutenu divers sièges, entre autres un contre les Anglais qui a été fameux. D'autres veulent que Mortagne n'était pas en cet endroit en ce temps-la, mais qu'il était plus au nord ouest, sur une petite plaine haute que l'on appelle Vieille Mortagne où il ne reste aucun vestige. Celui-ci à titre de principauté et de châtellenie d'où dépendent sept paroisses ».

Mortagne et ses falaises crayeuses, une situation exceptionnelle !

• Le creusement du bassin à flot de Mortagne a commencé au XVIIIe siècle. Le port était à la fois militaire, de commerce et de pêche. À cette époque, la ville se divisait en deux quartiers principaux : la Ville-Haute, siège des notables, et la Ville-Basse qui devint le poumon économique de la cité avec ses activités portuaires, ses nombreuses minoteries et ses entrepôts.

La guerre sans batailles : l’exemple 
du “siège” de Mortagne en novembre 1574, 
décrit par l'historien Marc Seguin
membre de l'Académie de Saintonge

A la fin de 1574, et depuis la mort de Jeanne Lhermite, veuve d’Antoine de Montbron, on ne sait trop qui est propriétaire de la principauté de Mortagne. L’Ombrière veille sur cette forteresse mal entretenue mais encore impressionnante, une des clés de la Gironde... 

En cet automne, elle est tenue par une garnison royale renforcée de plusieurs gentilshommes du voisinage et de quelques prêtres. Qualifier celle-ci de catholique serait exagéré puisque son chef, Pierre de Combes, ne l’est pas. Toutefois, il paraît, comme d’autres, avoir définitivement opté pour le camp du souverain. Le château ne subit pas un véritable siège, mais les événements qui s’y déroulent ont certainement eu leur pendant ailleurs. On y met en avant les relations familiales ou de voisinage, l’amitié, le souci de l’honneur, avec le respect des rites de la guerre.

Le 9 novembre au matin, l’écuyer Louis de la Rochefoucauld, seigneur de la Bergerie, soi-disant responsable de l’artillerie du chef huguenot Jean de Pons, baron de Plassac, se présente à la poterne et demande à s’entretenir avec son cousin Pierre de Combes. Celui-ci manifeste sa joie ; les aléas politiques n’entravent pas les solidarités familiales. Le visiteur expose aimablement sa requête : il vient de la part de Jean de Pons et de François de la Rochefoucauld, baron de Montguyon, le sommer de leur livrer la place qu’ils estiment leur être indispensable.
A cause des “usages de la guerre”, il est exclu que Pierre de Combes envisage de résister devant un canon et quatre couleuvrines, sans compter quatorze compagnies de gens de pied et quatre cornettes de cavalerie ; il n’a qu’à envoyer des soldats dans le bourg pour s’en assurer pendant que son cousin fera office d’otage. On sait qu’il ne dispose que de quelques hommes dans une place délabrée.
Le sieur de la Bergerie lui conseille de capituler, pour l’amitié qu’il lui porte, parce qu’il “luy estoit bien proche parent, qu’il seroit bien marry que tel desastre luy advint et à ses soldats”.
Le déshonneur ? Nul n’y pensera à cause des canons, car on sait partout qu’ils ont pris des places plus fortes que la sienne. Il sera ensuite bien traité, ayant affaire à des gentilshommes. On se quitte en bonne amitié. La femme de Pierre de Combes est malade ? Louis de la Rochefoucauld offre de l’emmener au château de Saint-Seurin d’Uzet.

Les huguenots commencent alors à creuser leurs tranchées. A midi, le sieur de la Bergerie revient, prie son cousin de ne pas s’entêter, l’assurant que l’artillerie tirera dès demain. Pierre de Combes prononce les paroles qui s’imposent : “qu’il estoit resolleu vivre et mourir pour tenir la plasse pour le servisse du roy”. Le lendemain matin, il n’y a pas encore de canons, mais des voisins comme le chevalier de Longchamp venu tout exprès de Talmont, qui se présentent en amis. Tous se congratulent, y compris les soldats.
Les choses sérieuses s’amorcent en milieu d’après-midi : le trompette du baron de Plassac se présente à la barrière de bois pour sommer Pierre de Combes, mais un moment après, les visiteurs ordinaires viennent reprendre leur conversation. Les soldats se retrouvent aussi, “pesles-mesles, venant et jouant ensemble”; quatre défenseurs du château en profitent pour déserter et rejoindre les huguenots, manifestement plus forts.

A la nuit tombante, chacun regagne ses quartiers. Pierre de Combes, qui a investi son argent dans l’équipement de la place, rassemble ses hommes dans la grande salle, les prie de faire bonne garde mais de ne pas tirer avant le terme de l’ultimatum fixé à 8 heures du matin, vu que son ami Jean de Pons s’est déplacé en personne. Il est déterminé à mourir pour le service du Roi et veut s’assurer que ses subordonnés partagent cette louable intention. Or, il ne semble pas que ceux-ci soient des héros. Interrogés pour savoir “s’ils avoient bon cueur et se sentoient assez forts pour resister au canon” qu’ils n’ont peut-être jamais entendu, ils prient leur capitaine de négocier une bonne capitulation : ils ont tellement peur que plusieurs sont prêts à s’enfuir.
Pierre de Combe s’humilie, se met à genoux devant eux, la tête nue, les priant “affectueusement de se remectre et d’avoir bon cueur et faire bonne guarde pour la nuyt, et si, le cas advenoict que l’ennemy rompist la tresve et qu’il presentast une escalade, que le cueur ne leur faillist et qu’ils ne se fissent massacrer en poltrons”. Considérant la disproportion des forces, demain à dix heures, il acceptera les offres de l’adversaire.
Les soldats reprennent courage, jurent de combattre jusqu’à la mort, pourvu que leur chef obtienne une sortie avec “bagues saulves”, c’est à dire avec la garantie qu’ils emporteront le produit de leurs rapines. Les uns se retirent sur les remparts, les autres à leur souper. Sur les dix heures, un coup d’arquebuse met la garnison en émoi. Les gens du baron de Plassac ? Non. C’est une sentinelle qui a cru entrevoir une ombre.
Sur les trois heures du matin, le sieur de la Bergerie fait réveiller Pierre de Combes pour savoir sa décision. Celui-ci ment sans vergogne - du moins, il le dit - affirmant que quand il a évoqué une capitulation, ses hommes ont “menassé de le jetter par dessus les murailles”.

Coup de théâtre : à l’aube, les défenseurs de Mortagne constatent avec soulagement que l’ennemi a décampé. Chacun se réjouit, sauf Monsieur de la Chapelle-Lauzière que ce récit laisse perplexe. Après ce séjour à Mortagne, par lettres patentes du 3 septembre 1576 et commission du sieur de Biron, Pierre de Combes est nommé capitaine de Talmont, à charge “d’avoir l’œil à ce que chose ne se face et entrepreigne contre le service du roy en lad. ville et chasteau de Tallemont, maintenir et conserver en repos et tranquillité les subjectz dud. seigneur et les faire jouyr du contenu en l’edict de pacification”. Les habitants de la châtellenie lui verseront des gages annuels de 300 livres. Ce n’est pas si simple car cette nomination entraîne un procès contre les seigneurs de Boiscoulaud et de Rétaud (René de Prahec) qui se disent aussi capitaines de Talmont où ils ne résident point...

• Le château actuel

Construit sur un plateau, ce château qui surplombe l’estuaire était l’un des verrous de la Gironde au Moyen Age avec Blaye et Talmont. Il subit plusieurs sièges au moment de la Guerre de Cent ans. Sa dernière propriétaire était Jeanne Lhermite mariée à Antoine de Montbron. Au fil du temps, sa position présentant moins d'intérêt, la place-forte fut supplantée par celle de Saint-Seurin d’Uzet.
Du château-fort, ne restent que les entrées de souterrain. Le logis qui se trouve à la place de la forteresse a été remanié maintes fois et les bâtiments construits au XXe siècle, dédiés à une colonie de vacances (Clermont-Ferrand), sont aujourd’hui désaffectés.

Le logis actuel (© Nicole Bertin)
Le site (propriété de Norbert Fradin) est enchanteur et surtout il offre une vue imprenable sur le port et l’horizon. Une mise en valeur de ce lieu exceptionnel interviendra un jour ou l’autre.

L'entrée des souterrains
Mortagne, une commune au riche passé

© Nicole Bertin

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