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jeudi 17 janvier 2019

« Lâches », certains Saintais durant la Seconde Guerre mondiale ? Réflexions autour de l’ouvrage "Le silence de la mer"

Dans sa nouvelle, « Le silence de la mer », Vercors (alias Jean Bruller) commente l'attitude des Saintais en 1940 accusés de « lâcheté » via son personnage principal, un officier allemand.
Une omerta sur ces événements tragiques règne depuis 80 ans. Lucien Normandin, membre de la Plume des Fadets
préside Michèle Peyssonneaux, organisait récemment une causerie sur le sujet avec, pour toile de fond, la Seconde Guerre mondiale en Saintonge.

Parler d'une période sur laquelle repose une chape...
Publiée clandestinement aux Éditions de Minuit en février 1942 (à 350 exemplaires en raison de la pénurie de papier), cette nouvelle de 40 pages, qui deviendra un succès, met en scène l’Occupation à travers trois personnages, un officier allemand Werner Von Ebrennec, André, un vieil homme habitant Saintes et sa nièce Jeanne. Une période sur laquelle repose une chape, même de nos jours.
Dans le cadre des conférences qu’organise La plume des Fadets, Lucien Normandin a cherché à lever le voile en présentant cet ouvrage et les "appréciations" que porte l’auteur sur certains habitants de Saintes.

Lucien Normandin
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il insère ses observations dans le contexte de l’époque : les accords de Munich en 1938 qui veulent sacrifier la Tchécoslovaquie, l’invasion de la Pologne, la déclaration de la guerre en 1939. Et l’invasion des troupes allemandes sur le territoire.

C’est là que commence l’histoire contée par Vercors. En 1941, un jeune soldat allemand, Werner Von Ebrennac, vient s’installer à Saintes dans l’immeuble qui deviendra plus tard l’hôtel des Messageries. Hitler cherche à mettre en place un modèle européen, une Europe fédérale unifiée. Au cœur de ce vaste plan, la France, pourtant vaincue et humiliée, conserve une image positive : « ici, c’est l’esprit, la pensée subtile et poétique ». Est-ce une raison pour imaginer la France et l’Allemagne « comme mari et femme » ? L’histoire montrera qu’une résistance acharnée et courageuse s’opposera à de tels projets.

Quand Werner rejoint la cité santone, ce jeune homme poli incarne le peuple conquérant. Que dit-il à son arrivée ? « Quand nous sommes entrés à Saintes, j’étais heureux que la population nous recevait bien. J’étais très heureux. Je pensais « ce sera facile ». Et puis j’ai vu que ce n’était pas cela du tout, que c’était de la lâcheté. Je méprise ces gens et je crains pour la France ». De tels propos suscitent des interrogations, mais ils ne sont pas étonnants : en toute population soumise, une vaste frange plie l’échine et s’adapte tandis que l’autre, souvent réduite, prend des risques au nom de la liberté.

Pour heure, l’homme qui l’héberge n’a pas vraiment le choix puisque sa maison est réquisitionnée. Werner croit en la suprématie de l’Allemagne. Peu à peu, son enthousiasme s’étiole face à l’attitude des nazis. D’où son départ volontaire sur le front de l’Est : « je me mettrai en route pour l’enfer vers l’Orient ».

La nouvelle gravite autour des liens que créent les circonstances entre le grand-père, sa nièce et l’officier : « les relations de l’Allemagne et la France est son sujet le plus fréquent. Il parle d’art, de littérature et de musique, étant lui-même en France pour pouvoir y apporter quelque chose, mais aussi pour pouvoir y prendre en échange ». Par la suite, après ce fameux déplacement dans la capitale, il réalise qu’il ne partage pas les desseins poursuivis par Hitler et les SS. Lesquels souhaitent anéantir la France…

Pour en revenir au comportement des Saintais, Lucien Normandin remarque que l’auteur, qui était maquisard, devait savoir de quoi il parlait. Toutefois, il estime hasardeux de faire, des décennies plus tard, « le procès aux enfants pour les fautes politiques de leurs pères ». Dans l’un de ses ouvrages, l’historien Jean Combes rappelle que Saintes possédait dans son club de coopération franco-allemand quelque 600 adhérents. Et ce alors que les alliés s’apprêtaient à débarquer…

Autres temps, autres préoccupations… jusqu’à la venue du Général de Gaulle en septembre 1944 à Cognac et Saintes pour rencontrer le colonel Adeline et les officiers des unités FFI. Tout le long de l'avenue Gambetta et du cours National, des détachements de troupes FFI de Bir'Hacheim, Brigade Rac, Bernard, alignés, lui avaient rendu les honneurs militaires…

• Photos d’André Léonard, le photographe de la brigade Rac transmises par le fils de René de la Tousche (la mission Alexander). Extrait du blog : resistancefrancaise.blogspot.com

De nombreux témoignages
La conférence se poursuit par des témoignages sur ces moments particuliers de l’histoire. Une personne, née en 1934, se souvient de l’arrivée des Allemands dans Saintes « sur leurs motos, arrogants avec leurs gants blancs ». Elle revoit aussi des dames qui applaudissaient quai de la République « des prostituées ? ». Il est également question de la réquisition des immeubles « dont les propriétaires n’étaient pas pour autant des collaborateurs », de la Kommandantur, des STO, des écoles, de la honte et la colère d’être en zone occupée, des femmes tondues à la fin de la guerre, de la paix, du renouveau avec le jumelage Saintes-Xanten, des échanges scolaires.

Annie Libaud se souvient
Qu’ajouter de plus sinon l’intérêt de cette conférence et surtout l’éclairage porté aux écrits de Vercors, à découvrir si vous ne les connaissez pas encore !

L'info en plus

• Le récit, une nouvelle destinée à l’origine à une publication dans la revue communiste La Pensée Libre (revue fondée par des intellectuels résistants communistes, dont Jacques Decour et Georges Politzer), est signé Vercors. Vercors, du nom du maquisard Jean Bruller (1902-1991), graveur et dessinateur.

Le Silence de la mer, imprimé clandestinement dans un atelier du boulevard de l’Hôpital, à Paris, est la première publication des Éditions de Minuit, cofondées par Jean Bruller et Pierre de Lescure en octobre 1941. L’ouvrage, dont l’idée est venue à Vercors après la lecture de Jardins et routes de l’officier et écrivain allemand Ernst Jünger, est dédié à la mémoire de Saint-Pol Roux, « poète assassiné » le 18 octobre 1940.

Après la guerre, malgré les réticences de Vercors, Le silence de la mer a fait l’objet d’une adaptation cinématographique réalisée par Jean-Pierre Melville. Le film est tourné entre août et décembre 1947, pour partie dans la maison de campagne de Vercors, à Villiers-sur-Morin en Seine-et-Marne. La sortie sur les écrans parisiens n’a lieu qu'en avril 1949. Un autre film est réalisé par Pierre Boutron en 2008 avec Thomas Jouannet, Michel Galabru et Julie Delarme.


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