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jeudi 2 août 2018

Saintes : « Allons-nous laisser Bouygues bétonner le site Saint-Louis avec l’accord de la mairie ? » s’interroge Jean-Michel Méchain

Défenseur du patrimoine, Jean-Michel Méchain, président d’ACMSantonum, fait entendre la voix de son association pour dénoncer la vente du site Saint-Louis à un groupe privé. Lequel doit y faire des aménagements, dont un hôtel de standing. 
« Va-t-on laisser bétonner cette partie haute de la ville qui correspond à l'ancien capitole de Mediolanum à l’époque romaine ? La mairie veut-elle déposséder les Saintais de cet endroit exceptionnel, lieu de gouvernance durant les siècles ? Il faut nous mobiliser car demain, il sera trop tard » souligne-t-il. D’où les courriers qu’il vient d’adresser aux élus charentais-maritimes, à Arnaud Littardi, directeur de la DRAC, sans oublier Stéphane Bern et la ministre de la Culture, Françoise Nyssen. Sera-t-il entendu ?

Du site Saint-Louis, le vue sur la ville est imprenable, 
la cathédrale Saint-Pierre puis le fleuve Charente
Pour les municipalités, le devenir du site Saint-Louis, où se trouvent les structures de l’ancien hôpital, est une préoccupation. A l’époque où Jean Rouger était maire, un premier projet avait vu le jour. Le site libéré devait permettre la création d'un nouveau quartier en plein centre ville sur une superficie de 4 hectares. Comprenant logements et commerces, il aurait intégré le logis du Gouverneur (XVIIème) et l'église Saint-Louis (XIXème), un grand mail piétonnier permettant de faire la jonction avec le cours Reverseaux.

Elue en 2014, l’équipe de Philippe Machon a choisi de confier ces aménagements à une société privée, chargée de concrétiser un programme comportant un hôtel de standing, une résidence pour personnes âgées (Ehpad), l'installation de commerces de proximité et restauration. Sans oublier une soixantaine de logements sociaux réalisés par la Semis.
Le dossier est entre les mains de Christian Schmitt. Trois sociétés ont répondu à l’offre, Linkcity, Foncière Duval et Nexity. Le lauréat sera officiellement désigné lors du conseil municipal qui se déroulera à la rentrée. Linkcity (qui regroupe les filiales de développement immobilier de Bouygues Construction) est la mieux placée pour remporter le marché.
En juin dernier, une conseillère de l’opposition, Josette Groleau, s’était insurgée contre cette perspective : « ce n’est pas un projet, c‘est une vente à la découpe. Si tout est privatisé, les habitants en seront-ils réduits à admirer les seules pelouses et à prendre l’ascenseur qui offrira un accès plus aisé au belvédère ? »...

Projet d'aménagement présenté à l'époque de Jean Rouger
L’association ACMSantonum partage le même sentiment. Son président, Jean-Michel Méchain, prône la citoyenneté locale, c’est pourquoi il s’engage publiquement pour que soit protégé le site Saint-Louis. Pourquoi ? Parce qu’il correspond à l’emplacement du forum de Mediolanum et qu’il y verrait bien le futur musée archéologique que Jean-Philippe Machon souhaite implanter près de l’amphithéâtre. « Si un lieu emblématique peut accueillir cette construction, c’est bien l’ancien Capitole d’où viennent en majorité les sculptures, frises et éléments architecturaux monumentaux que nous avons longtemps admirés au musée archéologique, place Bassompierre. Trésors entassés dans l’ancien bâtiment de la Trocante  » dit-il.
En effet, le cœur de Mediolanum (nom de Saintes aux premiers siècles de notre ère) se situait sur ce promontoire rocheux qui surplombait les habitations et descendait vers le fleuve. Comme le montrent les cartes de Jean-Claude Golvin ou d’Alain Paillou qui ont tenté de reconstituer la ville antique, ce périmètre comportait d’importants édifices dont le sous-sol a conservé les traces.

Carte d'Alain Paillou. Quelles que soient les hypothèses concernant les bâtiments, le Capitole, centre politique, économique et culturel de Mediolanum, comportait des édifices monumentaux
Cette large esplanade correspond au forum (place publique) bordée de bâtiments administratifs et de temples. Le pont, gardé par l'arc dédié à Tibère, ses fils Drusus et Germanicus, enjambait le fleuve. L'axe dénommé Decumanus Maximus (actuelle rue Victor Hugo) remontait jusqu'au Capitole. Jean-Claude Golvin a symbolisé un théâtre en demi-lune dans ce périmètre. 
Selon les archéologues, « ces vestiges sont les témoins de la plus belle histoire de l’urbanisme de la ville, capitale d’Aquitania. Elle était située à l’extrémité ouest de la voie antique dite d’Agrippa. Le polygone Poitiers, Limoges, Périgueux, Bordeaux garde de nombreux vestiges de cette période. Saintes a conservé deux édifices antiques majeurs, l’arc de Germanicus et l’amphithéâtre ».

Jean-Michel Méchain : « Ce patrimoine nécessite des interventions de sauvegarde, de protection et de mise en valeur »

J.M. Méchain : « Notre patrimoine est un bien trop précieux 
pour être un enjeu de politique politicienne »
Le président ACMSantonum s’interroge sur la bipolarité de la mairie :  « d’un côté, elle a initié un programme partiel de valorisation de la ville, en partenariat avec l’Unesco, l’Etat, la Région Nouvelle-Aquitaine, le Département et l’université Montaigne de Bordeaux quant au vallon des arènes, l’église Saint-Eutrope et l’amphithéâtre ; de l’autre, elle fait peser des menaces sur le site Saint-Louis dont elle va confier l’aménagement à un privé. Est-ce ainsi qu’on valorise le patrimoine en cédant à des investisseurs ce qui fait la richesse de notre passé ? ». En effet, une fois les actes signés, la ville ne sera plus propriétaire. Impossible pour elle d’y entreprendre quoi que ce soit, à l’exception des rares parties qu’elle aura conservées. Envolée l’idée de transformer le logis du Gouverneur en musée, il deviendra un hôtel quatre ou cinq étoiles !

Jean-Michel Méchain comprend mal l’attitude de la mairie : « Des sondages préalables et exploratoires ont été effectués par le service archéologique du Département en 2016. On nous dit que la richesse révélée serait "essentiellement médiévale" alors que le responsable de l’opération soulignait la présence de maçonnerie romaine, fragments de colonnes, tessons de poteries, monnaies, pavages, silos et bien sûr le mur d'enceinte construit dès la fin du IIe siècle. A l'heure des bilans, on se demandait si la DRAC encouragerait la ville à faire des fouilles approfondies. Dans un tel cas, l'ensemble aurait été protégé. L'idée séduisait Eric Normand qui déclarait : "les réserves archéologiques ne sont pas si nombreuses en France puisqu'une fois le diagnostic établi, on rebouche. L'histoire de Saintes retiendrait alors l'attention". Manifestement, elles n’ont pas eu lieu »…  

La mairie n’a pas donné suite à cette ouverture puisqu’elle a lancé un appel à projets, plaçant la balle dans le camp d’investisseurs… ce que regrette ACMSantonum : « la disponibilité d’une partie de ce site majeur de l’antique cité est une opportunité historique pour la  ville. Nous sommes à un moment crucial en matière de protection du patrimoine archéologique. Si la contrainte financière ne peut être ignorée, elle doit rester subordonnée à l’intérêt général. Nous avons rencontré le maire à ce sujet, mais il n’a pas retenu notre proposition de projet alternatif ». 



Non à la spéculation immobilière sur le site Saint-Louis !
Le logis du Gouverneur, témoignage historique du site Saint-Louis
L’association attire l’attention sur l’intérêt que présente la mise en valeur du patrimoine gallo-romain. C’est pourquoi elle a adressé différents courriers : « ce que nous souhaitons, c’est que chaque élu du conseil municipal, quelle que soit son appartenance politique, ait conscience de sa décision personnelle dans cette affaire. Qu’il se dise : mon nom va être associé à la transformation du site Saint-Louis, vendu à une société privée dans le but de faire de la spéculation immobilière. C’est là que réside la vraie question : est-ce que je contribue à l’enterrement définitif de l’ancien capitole de Mediolanum ? Les conseillers municipaux ont des obligations vis-à-vis des générations futures et s’ils estiment que le site Saint-Louis mérite mieux, ils doivent le dire tout haut ! ». 
Ont ainsi reçu une lettre de sensibilisation les membres du conseil municipal de Saintes, les conseillers départementaux, Michel Doublet, président de l’association des Maires, Jean-Claude Classique, président de la CDA, Jean-Philippe Ardouin, député, Dominique Bussereau, président du Conseil Départemental, Alain Rousset, président de la Nouvelle-Aquitaine, Stéphan Bern et Françoise Nyssen, ministre de la Culture. « Si on ne fait rien, l’ancien oppidum sera urbanisé et les citoyens seront placés devant le fait accompli. Dans son plan d’aménagement, Bouygues aurait prévu pour ce projet un rapport financier de 10%, soit deux millions d’euros ».

Jean-Michel Méchain est favorable à un vrai projet de territoire régional, valorisant le patrimoine antique et ouvert sur l’Europe. Baptisé Anticosope Aquitania, il réunirait quatre pôles principaux : le Futuroscope de Poitiers, l’Anticoscope Aquitania de Mediolanum Santonum, la région de Cognac et la cité du vin de Bordeaux, « affirmation d’un trait d’union entre les différentes ex-Régions qui composent la Nouvelle-Aquitaine ».
A l’intérieur, Saintes a incontestablement un rôle à jouer. Encore doit-elle préserver ses atouts ! A l’exception de la côte atlantique et des zones viticoles, la Charente-Maritime de l’intérieur se porte moyennement : « c’est pourquoi nous devons réagir. La mise en réseau des sites gallo-romains est une piste à explorer » conclut Jean-Michel Méchain qui incite les citoyens à s’exprimer : « leur rôle ne s’arrête pas à un bulletin déposé dans l’urne. Ils sont appelés à participer à la vie de la cité, à formuler leurs points de vue. C’est ce que fait notre association ».

Sondages réalisés sur le site Saint-Louis en 2016
Jean-Philippe Machon, maire, et Christian Schmitt en 2016 lors des sondages exploratoires : « Sur le site Saint-Louis, il n’est pas question de tout bouleverser, mais de donner une nouvelle destination à ce lieu emblématique » expliquait l'élu. Actuellement, nombreux regrettent le peu d'informations fournies au public.

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