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dimanche 19 août 2018

Chantier Solidarités Jeunesses/Vallet : la renaissance de la crypte de l'église Saint-Babylas, témoignage de l'art roman

Grâce à la nouvelle équipe de Solidarités Jeunesses, la crypte de l'église de Vallet peut traverser les épreuves du temps. Finie l'époque où ses murs verdissaient sous l'empreinte de l'humidité ! Elle peut à nouveau s'insérer dans un circuit touristique dédié au patrimoine. Et pour cause, les cryptes remontant au début de l’art roman ne sont pas si nombreuses dans la région, la plus célèbre étant Saint-Eutrope à Saintes ! Vendredi, aux côtés de Benoît Valade, les jeunes ont présenté le travail qu'ils ont réalisé ces dernières semaines


« Les volontaires qui n’ont pas peur de se salir les mains et souhaitent mettre leur force de travail à disposition des populations qui en ont besoin peuvent choisir une mission de volontariat en construction. Si vous êtes partant pour fabriquer des briques, monter des murs, assembler la charpente, peindre et rénover des bâtiments, nos partenaires locaux vous attendent sur les chantiers à travers le monde. Nul besoin pour autant d’être spécialiste des métiers du bâtiment, le courage pour des travaux physique d’extérieur et la motivation d’aider les artisans locaux suffisent pour pouvoir faire cette mission » : le message de Solidarités Jeunesses est explicite. Si vous souhaitez collaborer à un chantier avec des jeunes de votre âge venant des quatre coins de la planète, rien de plus simple. Il suffit d'être motivé, volontaire, de manifester l'envie d'apprendre, de partager et d'accroître ses connaissances. A Vallet, cet esprit animait le groupe qui a travaillé à la renaissance de la crypte Saint-Babylas.
Accueillis par le maire Ludovic Poujade et leur "tuteur" Benoit Valade, ils ont répondu chaque jour présent pour que cet ancien lieu de procession retrouve un aspect qui donne envie de s'y arrêter.

Finitions vendredi matin. Magdalena passe une couche de cire sur la niche située au dessus de l'autel. Une statue y serait la bienvenue...
Mission accomplie !

L'an dernier, les badigeons avaient été enlevés afin de révéler la structure originelle. Laquelle présentait des fissures inquiétantes en son plafond et l'un des murs (n’oublions pas qu’une partie du chœur repose sur elle). Pendant plusieurs semaines, des jeunes s'étaient succédé, favorisant l'avancement du chantier. Soit quelque 80 intervenants et 600 heures d’un travail minutieux car il n’était pas question de bouleverser cet honorable lieu de pèlerinage remontant au XIe siècle.
En 2018, la nouvelle campagne de travaux comportait la remise en état des deux voûtes en berceau (reconsolidation), le jointoiement des murs et les finitions.
Sur place au mois d'août, un nouveau groupe a apporté sa pierre à l'édifice, selon l'expression. Etudiants en majorité, nombreux n'avaient jamais manié la truelle ou réalisé des travaux de maçonnerie. Benoit Valade a guidé leurs gestes. « Nous avons travaillé à la chaux. C'était un gros chantier technique qui a nécessité un maximum de compétences. J'ai demandé des conseils à Titou Tugas et au club Marpen qui poursuit, comme nous, des activités de restauration ». Les détails architecturaux de la crypte ont été ainsi valorisés (dont les escaliers y permettant l'accès) ainsi que les fragments de décor mis au jour.
En 1936, l’abbé Guiraud notait au sujet de ce lieu : « la crypte devait avoir jadis de plus vastes dimensions et constituer un sanctuaire remarquable. Certains indices me feraient supposer qu’elle a appartenu à une époque reculée à un ordre religieux établi dans la région avoisinante. Je ne serais pas surpris que les Chevaliers du Temple aient eu là un couvent de leur grand ordre militaire, car ils furent pendant longtemps très répandus au pays de Saintonge et de Guienne ». On aimerait bien connaître les indices qu'il sous-entend ! Quant à la présence des Templiers, pourquoi pas puisque la petite église de Lugéras (ancienne paroisse sur la commune de Bussac-Forêt) dépendait de l'ordre des Hospitaliers, successeurs des Templiers. Avis aux amateurs d'histoire pour des recherches approfondies !
Bref, la crypte est maintenant restaurée et se prête aux visites et aux expositions, ses voûtes ne présentant plus aucun danger. Rendez-vous pour les Journées du Patrimoine les 15 et 16 septembre prochains.

Le groupe et leur "tuteur" Benoit Valade
La crypte de Vallet à la fin des travaux en 2017...
Et maintenant !


Contribuer à une œuvre commune et s'ouvrir sur le monde

Les jeunes, quelles que soient leurs religions, font remarquer que la crypte est un lieu "fédérateur" qui a créé entre eux « une connexion ». Ensemble, ils ont participé à une œuvre commune dont ils sont fiers. Tous ont apprécié ces échanges qui permettent de valoriser le patrimoine par la restauration d'un monument et de se faire de nouveaux ami(e)s. Ils sont allés à la rencontre des habitants de leur commune d'accueil, ont découvert des sites de Charente-Maritime (des excursions découvertes ont été organisées) et peaufiné leur français. Une véritable ouverture sur le monde !


• De la République Tchèque, Magdalena est étudiante en psychologie ; Lycéen, Amjed vient d'Afghanistan, c'est la seconde fois qu'il participe à un chantier Solidarités Jeunesses en partenariat avec Terre d'Asile ; la souriante Ashvini vit en Inde à Pondichéry ; Etudiant en Sciences Politiques à Istanbul, Hakan fait son service volontaire européen en France à la Maison des Bateleurs de Montendre (il en profite pour améliorer son français qu'il parle déjà très bien) ; Egalement turque, Nisa est lycéenne et c'est la première fois qu'elle travaille sur un chantier ; Originaire du Costa Rica, Alexandra est venue apporter son aide ; Agé de 18 ans, lycéen, Enrico habite la région de Venise ; Oleb est russe et se destine au métier de maître-chien. A Vallet, il a appris la maçonnerie ; Alessandra vient de Serbie, elle a apprécié ce chantier au cœur de Vallet, village "grand dans son cœur, petit et joli" ; Ane arrive du Pays Basque espagnol, elle a aimé travaillé dans la crypte avec laquelle elle a été en communion spirituelle, "j'y reviendrai avec ma famille" dit-elle .

L’église de Vallet, une histoire mouvementée

Sa simplicité actuelle, qui se réduit à quatre murs sobres, résulte des guerres de religion. Quelle était sa structure initiale ? On l'ignore, mais on peut toujours imaginer un clocher, des sculptures et des piliers à chapiteaux !
Il y a quelques années, lors d’une conférence, l’historien Marc Seguin a relaté « les malheurs » que connurent certaines églises du canton de Montendre au XVIe siècle… dont Vallet qui était alors une paroisse à part entière. Entre 1570 et 1580, les Saintongeais auraient subi la décennie la plus douloureuse de leur histoire depuis la Guerre de Cent ans… 

Avant d’énumérer leurs malheurs, il est bon de rappeler dans quelle situation se trouve alors le pays. La Réforme, grande révolution religieuse du XVIe siècle, divise l’Europe chrétienne en deux camps distincts, les Catholiques et les Protestants. La puissante congrégation des Jésuites ne parvient pas à « contrecarrer » la percée calviniste. Cette division donne naissance à des guerres sanglantes dont l’épisode le plus connu est la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572. Aux croyances des uns et des autres, se mêlent passions et convoitises “terrestres” avec, en filigrane, le sacro-saint pouvoir.
La Saintonge n’est pas épargnée. Particularité, la sénéchaussée de Saintonge compte deux sièges, Saint-Jean d’Angely, au Nord et Saintes au Sud. En véritable capitale locale, cette dernière dispose d’un présidial et d’un sénéchal. Les affaires sont traitées au Parlement de Bordeaux qui se réunit au Palais de l’Ombrière, représentant de l’autorité. Le territoire est composé de châtellenies. Elles sont approximativement de la taille des anciens cantons, à part Ozillac et Fontaines d’Ozillac qui n’appartiennent pas à Jonzac.
Dans les zones occupées par les Protestants, la messe n’est plus célébrée depuis dix ans et les églises sont gravement endommagées.

Journées du Patrimoine 2017 : exposition dans la crypte (ici, une grille d'origine égyptienne).
Durant des siècles, les fidèles descendaient dans cette crypte, apportant leur aumône 
pour être guéris du mal de tête par l’intercession de saint Babylas.
Malmenée par les frères La Rochefoucauld

La région de Montendre n’échappe pas aux règlements de compte. A cette époque, Vallet, dans la Châtellenie de Montendre, dépend du baron Louis de la Rochefoucauld, seigneur huguenot également propriétaire de la châtellenie de Montguyon où est rendue la haute justice. Il vit dans le château de Montendre dont subsiste la fameuse Tour carrée.
La châtellenie de Montendre réunit de 24 paroisses. Elle déborde sur "le Vitrezay" qui comprend, entre autres, Reignac, Marcillac et Donnezac, communes qui se trouvent actuellement en Gironde.
« Les fils la Rochefoucauld sont de sacrés lascars » dit-on. Ils répondent aux prénoms de Louis, François et Gaston. Aux alentours de 1562, ne doutant de rien, ils font, au nom de Dieu, main basse sur les églises du coin, en chassent les curés et s'empressent d'empocher leurs revenus. Leurs exactions sont nombreuses. Charles, par exemple, prend possession du presbytère de Chardes tandis que celui de Vallet est rasé.
La période où ils sévissent le plus se situe vers 1568, 1569. Les églises sont carrément démolies selon une méthode invariable : les assaillants détruisent d'abord la façade, puis ils remontent jusqu'au chœur. Sont ainsi pillées Reignac, Donnezac, Souméras (où existe un édifice consacré à Saint Blaise), Montendre, Corignac, Jussas, Chardes, Coux, Chartuzac, Expiremont, Pommiers, Moulons, Chaunac, Vibrac, Messac, le Pin, Chatenet (moins malmenée par rapport aux autres) et celle qui nous intéresse, Vallet.
Dans cette dernière, ne subsistent de l’architecture primitive que l'abside et la crypte.
Au Moyen âge, cette crypte était réputée pour soigner les maux de tête et les paroissiens y venaient en procession.
Victime des actes de vandalisme commis par les frères La Rochefoucauld, elle aurait été consolidée en son milieu par deux gros piliers. Cependant, une autre hypothèse est envisageable : si le plafond présentait des faiblesses dès sa construction, ces appuis devenaient nécessaires pour protéger les fidèles d’un effondrement, tout simplement.

Condamnés à mort par contumace

Après la signature de l'Edit de Nantes, la liberté de culte apporte un certain apaisement dans la région. Les Catholiques du secteur de Montendre rebâtissent leurs vaisseaux spirituels et peuvent à nouveau pratiquer leur culte en toute tranquillité.
En 1565, les tensions étant moins fortes entre les deux camps, le roi Charles IX et Catherine de Médicis entreprennent un Tour de France en province. Parmi les objectifs poursuivis, ils pourront constater « de visu » si les Protestants ont restitué les églises aux prêtres. Dans la majorité des cas, les choses sont rentrées dans l'ordre, sauf à Montendre où les trois frères agissent comme au temps d’avant.
Un commissaire du Parlement, M. de Bellot, est mandaté sur les lieux. Un frère La Rochefoucauld récalcitrant est arrêté et écope d'une amende. Courageux mais pas téméraires, les deux autres préfèrent prendre la fuite. Ils sont condamnés à mort par contumace.
Lorsque les hostilités reprennent, on les voit bien sûr réapparaître jusqu'à la signature, en 1598,  du fameux Edit qui met un terme aux agitations.

Dans la région, plusieurs édifices religieux eurent la chance d'être épargnés pour des raisons diverses et variées : Rouffignac appartenait au Roi de France avec Nancras, Saujon et Champagne. Comme Chevanceaux, la paroisse de Mérignac appartenait à l'Angoumois, territoire commandé par le célèbre Duc de Montausier, cousin de Léon de Sainte-Maure qui possédait le château de Jonzac. Tugéras avait un seigneur qui rendait la haute justice (il pouvait donc prononcer une sentence de mort). Bussac et Lugéras (alors paroisse) dépendaient de l'ordre des Hospitaliers, successeurs des Templiers ; Polignac était sous l’autorité d’un avocat bordelais, protestant mais loyaliste. Quant à Sousmoulins, elle fut épargnée. On peut s'interroger à son sujet car elle ne semblait pas figurer dans la châtellenie de Montendre...
Aujourd’hui l’église de Vallet, restaurée une première fois dans sa partie haute dans le cadre des Chantiers Solidarités Jeunesses par Philippe Lalande, alors maire, est trop souvent fermée. Les offices y sont rares et les seuls rassemblements y sont les enterrements.
Les Journées du Patrimoine permettent de la valoriser par des expositions et des concerts, animations qui tiennent à cœur du maire Ludovic Poujade.

Fragments de décoration au dessus de l'ouverture qui donnait sur l'ancien cimetière.
Durant les étés 1998 et 1999, la restauration de l'église a permis de mettre au jour 
les vestiges de l’ancien clocher, entièrement disparu, 
ainsi qu’un escalier qui conduisait autrefois à la crypte.
L'intérieur de l'église
 Restaurée à la fin des années 1990

Malmenée lors des guerres de religion, l'église a été reconstruite au XVIIe siècle et restaurée à la fin des années 1990.
L’édifice est de forme rectangulaire, une nef avec chevet droit soutenu par de faibles contreforts, placés sur les angles ; quatre fenêtres côté sud, dont une seule est antique. Sur le chevet, une fenêtre du XVe siècle était murée. Aujourd’hui restaurée et parée de vitraux, elle illumine l’intérieur. Côté nord, une seule fenêtre qui était également murée donne dans la sacristie.
Vers 1860, la façade fut entièrement remaniée, un campanile élevé pour la cloche, et le clocher disparut. Le mur du midi était aussi endommagé, mais il a suffi pour le consolider d’établir deux contreforts. Pour ces travaux, on a utilisé de la pierre de taille de Saint-Germain, des moellons des meilleures carrières de la contrée et du sable des sablières de la commune de Chardes.
Lors de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, en 1905, un inventaire des objets et meubles affectés au culte dans l’église fut dressé. Elle était très pauvre : un vieux confessionnal en bois blanc, une chaire en bois sans sculpture, 50 chaises et quelques bancs…
La cloche de bronze, classée monument historique en 1911, fut offerte en 1660 par François de Fisson, seigneur de Bessac. Fixée dans le campanile depuis 1860 environ, elle porte l’inscription suivante : « JESU MARIA IE SUIS POUR LEGLISE DE SAINCT BABYLE DE VALET PARIN FRANCOIS FISSON M. ESCUYER DE BESSAT MARINE MARIE ANTOINETTE D’ANIERES DAMOYSELLE DE LA CHANTERIE. CHARLES BELIN CVRE 1660 ».

Un grand merci de la part de tous les habitants de Vallet pour le travail réalisé... malgré quelques ampoules aux mains !

© Nicole Bertin

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