La fanfare de l'Ecole des Arts |
Cérémonie aux carrières d'Heurtebise (station thermale actuelle) où une plaque commémorative honore les deux héros |
Le dépôt de gerbes par les Anciens Combattants |
Un moment d'émotion pour les descendants de la famille de Claude Gatineau |
La famille Gatineau habitait la grande ferme située en bas du château de Jonzac. Elle abritait de vastes écuries, réquisitionnées dans les années 1940 par les Allemands pour leurs chevaux. « Il y avait une quinzaine de bêtes qui servaient à tracter le gros matériel et les chargements. Comme l'adduction d’eau n’était pas installée, mon frère, Claude, prenait l'eau à la pompe pour leur donner à boire et, ensuite, il devait recommencer pour nos propres animaux. Ça le mettait en colère. Je crois que c'est à ce moment-là qu'il a commencé à en vouloir aux occupants. Mon père, ancien combattant de 14-18, ne les aimait pas non plus » se souvient Carmen Lachamp.
Durant cette
période, ils n’étaient pas "foncièrement" désagréables avec les
habitants. D’ailleurs, ces derniers étaient peu informés de la situation outre
Rhin : « nous savions qu'il y avait des déportations. Dans leurs lettres, les
STO écrivaient qu'ils avaient faim et espéraient l'envoi de nourriture ».
Personne ne
parlait encore de Dachau ou de Buchenval...
À Jonzac, la
vie ressemblait à celle des populations soumises à une autorité étrangère.
Certains s’en « accommodaient », d'autres pas. L'heure était au rationnement
avec des cartes de pain, de viande, de beurre : « A la ferme, nous avions la
chance d'avoir des légumes. Les citadins venaient y chercher du ravitaillement
».
Malgré les
vicissitudes, la jeunesse essayait de se distraire : « Il nous arrivait de
sortir après le couvre-feu et je revois Marthe Robert nous dire : soyez
prudents, vous finirez par vous faire attraper ». Des bals clandestins étaient
organisés que des esprits chagrins s'empressaient de dénoncer : « Un jour,
alors que nous dansions à Chadenac, nous avons été obligés de nous enfuir en
toute hâte parce que les Allemands arrivaient. On vivait, malgré tout... » raconte Carmen Lachamp qui s'appelait alors Mademoiselle Gatineau.
Le quotidien
changea quand Claude Gatineau reçut sa feuille de S.T.O qui « l'invitait » à
partir en Allemagne. Soucieux, son père fit des démarches afin qu'il reste en
France. Il avait appris que la « Kriegsmarine », vaste dépôt de munitions
installé à d'Heurtebise, employait de la main d'œuvre. Il se rendit alors chez
le maire, René Gautret. Les démarches aboutirent et Claude y fut embauché : «
Ma mère était contente. Il était question de plus en plus du débarquement et
nous espérions sincèrement que la guerre allait se terminer ».
Faire sauter
le dépôt de munitions
Claude Gatineau et Pierre Ruibet |
Claude Gatineau avait rencontré Pierre Ruibet à Jonzac alors qu'il travaillait pour les PTT. En fait, cette société, qui posait des câbles et parcourait la France, servait à cacher des résistants, militaires pour la plupart, et des réfractaires au S.T.O. Quand le réseau fut découvert par l’ennemi, le groupe se trouvait vers Mont-d- Marsan et quelques-uns parvinrent à s'enfuir... Jean-Louis Lachamp, qui en faisait partie, revint en Saintonge où il devint gardien de voies de communication, tandis que Pierre Ruibet entra comme travailleur civil à la «Kriegsmarine» avec une idée derrière la tête.
Très vite,
Pierre Ruibet entra en relation avec Alerte, groupe de sabotage et d'action de
l'OCM, dont le quartier général était à Bordeaux. Ensemble, ces forces de
l'ombre décidèrent de détruire le dépôt qui était le plus important pour
l'Atlantique et la Mer du Nord. L'enjeu était de taille. Il fallait
s'organiser, trouver le matériel, explosifs, détonateurs et les installer dans
les galeries sans que personne ne s'en aperçoive...
Toute
attaque extérieure, par terre et par air, était difficile : le site était
protégé (mitrailleuses, lance-flammes, canons antichars, champs de mines) et un
bombardement aérien aurait été funeste pour la ville...
Alors que
Pierre Ruibet commençait à mettre en place son dispositif, Claude Gatineau (qui
était "assez curieux" reconnaît sa sœur) lui tomba sur le dos.
- «
Tais-toi... Tu vas me dénoncer ? » lui lança Pierre Ruibet.
- « Au
contraire, je vais t'aider » répondit Claude.
Désormais,
les deux hommes étaient liés par ce terrible secret : pendant que Pierre Ruibet
"travaillait", Claude faisait le guet. Les choses n'allèrent pas
aussi bien qu'ils l'avaient espéré et, par deux fois, I'entreprise échoua en
raison de l'humidité.
Le 29 juin, Pierre Ruibet joua le tout pour le tout. Il
se fit enfermer dans la carrière et durant la nuit, il étudia la meilleure
façon d'arriver à ses fins. Le big-bang était prévu le lendemain, entre midi et
deux heures. Il pressentait déjà le pire et rédigeait, à l'intention de sa
mère, ces lignes devenues célèbres : « … Ma lettre va vous faire de la peine. J'ai été désigné
pour faire sauter les carrières. J'avais posé des mines, mais elles n'ont pas
fonctionné. Il est de mon devoir de tout détruire et je vais y mettre le feu.
Mais il y a beaucoup de chances pour que j'y reste. Je tenais à la vie, mais je
fais passer la France avant mon bonheur personnel »...
Le 30 juin,
il apercevait les rayons du soleil pour la dernière fois.
« Sabotage »
« Sabotage »
Claude avait
quitté la maison anormalement tôt, sa mère s'en était inquiétée. Que
mijotait-il ? Ses intuitions n'étaient pas fausses.
Malheureusement
pour les deux garçons, ils furent repérés dans une galerie tôt le matin.
Un
sous-officier, A. Hingler, apostropha Claude : « Toi, qu'est-ce que tu fais là
? ». Il balbutia : « j'étais allé pisser »...
L'homme
n'était pas convaincu et, l'écartant, il s'avança et reconnut la silhouette de Pierre Ruibet.
Alors, tout alla vite, très vite, chacun comprenant la réalité : Hingler, qu'il
se tramait quelque chose, Pierre Ruibet, qu'il était découvert. C'était une
question de vitesse. N'ayant pas d'autre choix et se sentant acculé, Pierre
Ruibet, qui portait un pistolet, tira. Blessé, l'Allemand rebroussa chemin en
hurlant « sabotage, Ruibet et Gatineau ».
Faisant
preuve d'un sang froid remarquable, Pierre Ruibet alluma les mèches et le feu
d'artifice commença. Il n'était guère plus de 8 h 30. Claude Gatineau hurla à
ses camarades de quitter les lieux : « Sortez, sortez ». Suivit une série
d'explosions dont les anciens Jonzacais se souviennent encore car elle dura
deux jours et deux nuits.
Employé des
carrières, M. Balout (le père de Christian) a apporté son témoignage : «
L'alerte générale fut donnée. Coups de sifflets partout à la fois, les
Allemands sortant de tous les coins. Puis un groupe organisé de soldats a
pénétré à l’intérieur des carrières pour rechercher les saboteurs. Gatineau
était ressorti. Les explosions, devenues violentes, projetaient des débris à
l'extérieur et cela nous incita à nous diriger à l'opposé de la sortie afin
d'échapper au danger. Gatineau, qui avait l'air pressé, se vit barrer le
passage par une sentinelle. Il fit demi-tour pour venir se joindre à notre
groupe qui prit la direction de Bellevue. Là, nous fûmes obligés de traverser
un champ de mines et l'un de nos camarades sauta sur l'une d'elles. Nous avons
réussi à le sortir de là. Il souffrait énormément. Sur notre route, nous avons
eu la chance de trouver le directeur de la laiterie de Beauregard, M. Fehler.
Il le chargea dans sa camionnette et le conduisit à la clinique Sainte-Anne ».
« Mains et
pieds ligotés »
Carmen et sa
mère se trouvaient dans leur jardin au moment du drame : « Nous allions
cueillir des petits pois, puis nous comptions nous rendre au marché. Je devais
me marier avec Jean-Louis Lachamp, huit jours plus tard. En entendant les
déflagrations, ma mère s'est écriée : c'est la carrière... mon fils... mon
Claude. Nous étions angoissées, craignant que la voûte ne s’effondre en
ensevelissant les ouvriers. À un moment, des gens sont passés. Ils nous ont dit
de ne pas nous inquiéter, que Claude s'en était sorti ». Il arriva enfin avec
des camarades et raconta les dernières nouvelles. Sa mère le soigna car il
était légèrement blessé. M. Gatineau leur offrit l'apéritif : « Vous
l'avez bien mérité, mes enfants ».
Néanmoins,
Claude était bouleversé et, endossant sa tenue de sapeur-pompier, il prit la
direction de la caserne (à cette époque, elle était située non loin de la
maison Guillotte).
Un quart
d'heure plus tard, les soldats débarquaient à la ferme, mitraillettes au poing
: « C'est horrible d'avoir une arme pointée sur le ventre. Ils ont cru que
Jean-Louis était Claude et nous avons été obligés de montrer ses papiers
d'identité. Nous avons préféré dire la vérité en indiquant que mon frère devait
être à la caserne ».
C'est là
qu'il est appréhendé, puis conduit au poste allemand installé dans l’ancienne
Sagesse. La Kommandantur, quant à elle, était dans les locaux de l'institut
médico-social, rue Charles de Gaulle.
« Mon frère,
en se livrant, a cherché à protéger sa famille. Auparavant, les Allemands
avaient arrêté le père d’un résistant qui s'était enfui. Je crois que Claude ne
voulait pas que papa soit torturé à sa place. Le lendemain, j'ai décidé de lui
rendre visite et j'ai préparé un panier à son intention. Je n’avais pas peur,
j'étais pleine de courage comme on l’est dans les moments extrêmes. J'ai sonné,
ils m’ont laissé entrer. J'ai déclaré que je venais voir mon frère, ils ont
ouvert le paquet. Claude était dans le bureau, mains et pieds liés. Il avait
soif, personne ne lui avait donné à boire. Je leur ai demandé si je pouvais lui
verser de l'eau. Ils m'ont répondu positivement, puis m’ont désigné la porte.
Revenue à la maison, ma mère m'a interrogée. Je lui ai dit qu'il était assis
dans le bureau avec seulement les mains attachées. Je ne voulais pas
l'inquiéter davantage. Nous pensions qu'il serait déporté » avoue Carmen
Lachamp.
Ils avaient
exigé des otages
Le
sort en
avait décidé autrement : le jour même, tous les ouvriers des carrières
durent
se constituer prisonniers et furent parqués dans la cour Clerjaud, à
l'entrée.
Le lendemain, certains d'entre eux dégagèrent les gravats et une potence
fut
mise en place. En ville, les habitants n'en menaient pas large. En
représailles, les Allemands avaient exigé plus de quarante otages et
demandé à René Gautret de les désigner. Les cercueils étaient déjà
commandés. Le maire
avait déclaré qu'il serait le premier sur la liste…
Claude
Gatineau, défendu par un avocat bordelais, fut jugé d'une manière très
partiale.
Monseigneur Chauvin (archives) |
Présent,
Monseigneur Chauvin, I'archiprêtre de Jonzac, offrit généreusement sa vie
contre celle de Claude. Mais les autorités ne changèrent pas leur décision :
Claude serait, non pas pendu, mais fusillé. Là, serait la seule clémence.
Après avoir
reçu les derniers sacrements, il fut conduit et attaché devant la grille, où se
trouve l'actuelle plaque commémorative.
Il ne voulut
pas qu'on lui bande les yeux : « Je veux voir la mort en face », dit-il avec
courage. Il était 21 h 30...
Ainsi disparut
un jeune homme de 21 ans dont personne n'oubliera la bravoure et l'abnégation.
Sans l’acte héroïque de Pierre Ruibet et de Claude Gatineau, les Allemands
auraient pu disposer d’une masse importante d’armes. D’autre part, si le dépôt
avait toujours existé, les Alliés auraient sûrement bombardé la région...
La famille
de Claude n'apprit la triste vérité que plus tard : « Des amies étaient venues
voir maman, Mme Laporte et Mme Masson. Nous avions bavardé. Elles venaient
souvent et leur visite paraissait naturelle. Nous étions préoccupées, la
lumière commençait à se faire sur les camps de la mort. Monseigneur Chauvin est
arrivé chez nous le lendemain, vers 6 heures du matin. Il a remis la lettre que
Claude avait écrite à maman. Moi, je suis allée chercher mon père. Nous étions
effondrés ».
A Jonzac, un monument a été érigé en 1948 en mémoire de Pierre Ruibet et Claude Gatineau (archives) |
Chaque année, les anciens combattants se souviennent (derrière eux, la grille devant laquelle Claude Gatineau a été exécuté) |
Finalement,
les Allemands ne mirent pas à exécution leur terrible dessein et ne prirent
aucun otage. Sans doute se savaient-ils en position difficile. Avec l'arrivée
des Alliés, l'histoire prenait un nouveau tournant. Il n'en reste pas moins
qu'un Oradour-sur-Glane aurait pu se produire à Jonzac si les responsables
avaient été saisis d'une folie meurtrière.
La ville fut
libérée début septembre. Cette période fut délicate, elle aussi, et riche en
règlements de compte personnels.
« Après la
mort de Claude, nous en voulions aux Allemands. Notre existence a été
complètement bouleversée. Avec le temps, nous avons fini par nous rendre à
l'évidence, la guerre fait des victimes et l'une d'elles fut mon frère.
J'apprécie les témoignages rendus par les anciens combattants. Parfois, il
m’arrive de penser que ces cérémonies ne devraient pas avoir lieu tant elles
ravivent en moi de souvenirs pénibles »...
Carmen
Lachamp, dont la petite-fille, Barbara, est conseillère municipale, s’est éteinte
il y a quelques années. Elle est allée retrouver Claude dans cette éternité qui,
espérons-le, est faite de liberté et de fraternité. Sur Terre, l'humanité a
besoin d'exemples tragiques pour la faire réfléchir...`
Nicole Bertin
• Souvenirs : A leur départ de Jonzac, les Allemands avaient apposé un écriteau sur la porte de la Kommandantur : « fermeture provisoire ».
Lorsque le
maquis de la Bruyère est arrivé dans les locaux, il a trouvé une lettre où un
fonctionnaire français félicitait les Allemands pour leur victoire à
Stalingrad. Sans commentaires…
Archives : Cérémonie à Jonzac en l'honneur de Claude Gatineau |
L'hommage du maire de l'époque, René Gautret, et de toute la population |
• Voici la
lettre très émouvante que Claude Gatineau a écrite à ses parents avant sa
disparition brutale. Il s’agit de la copie exacte que nous avait remise
aimablement Carmen Lachamp
« Mes
chers Parents, Pardonnez-moi pour ce que je vous apprends, je vais être fusillé
dans quelques instants. Monsieur le curé est venu et m’a donné la communion ;
je meurs en bon français et je vous embrasse tous, je suis donc celui qui a été
désigné. J’ai voulu partir au service de l’Allemagne, mais ils m’ont refusé,
j’avais un avocat qui m’a bien défendu. C’est malheureux de mourir si jeune à
la veille de ses 21 ans, à la veille du mariage de ma sœur. Ils se marieront
quand même, il n’y aura pas le même plaisir, vous ne danserez pas, je crois
bien que vous serez vexés quand vous apprendrez cela. Vous ne m’en voudrez pas,
je vous espère en bonne santé. Votre fils qui vous aime ».
Bonjour excellent article, les carrières étaient la plus grosse réserve de munitions allemandes d'Europe occidentale, il existe un film disponible à l'achat sur le site de l'INA , "alerte à Jonzac " avec tsilla chelton et un livre qui était disponible à l'Office du tourisme," quelques mois de la vie d'un héros de 18 ans "
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