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mardi 26 juin 2018

Saintes : Le sauvetage de l’arc romain de Germanicus ne fut pas un long fleuve tranquille !

La Charente, qui l’a vu "naître" en l’an 18 de notre ère, pourrait en témoigner : sa survie, au XIXe siècle, relève de l’exploit. Dans une conférence organisée salle Saintonge vendredi dernier, Didier Catineau a détaillé cette époque délicate où s’éveillaient les esprits à la protection du patrimoine. Parmi eux, l’écrivain Victor Hugo et Prosper Mérimée, inspecteur général des Monuments Historiques, successeur de Ludovic Vitet. 
Grâce à eux, cher arc monumental, tu as échappé au pire, un conseiller municipal voulant envoyer « quelques gaillards pour assurer à grands coups de pic la parfaite impossibilité de te réparer ». Le premier magistrat, quant à lui, voulait te déplacer vers l’emplacement de l’ex Banque de France. Les inscriptions figurant sur tes pierres auraient alors été modifiées…

Didier Catineau, affiche réalisée par Alain Paillou
Que d’histoires à raconter sur le sauvetage de cet arc dont la ville va célébrer les 2000 ans ! Dédié à l’empereur Tibère, ses fils Drusus et Germanicus, il a vu passer habitants et voyageurs entrant dans Mediolanum. Financé par le grand Caius Julius Rufus dont la famille, d’origine gauloise, avait pris le parti de César à l’époque de la guerre des Gaules et acquis la citoyenneté romaine, il a été le témoin des siècles s’écoulant. A une époque, en raison des alluvions de la Charente, il n’était plus situé à l’entrée du pont, d’où la réalisation d’arches supplémentaires pour atteindre la berge.
Par manque d’entretien et sans doute pour des raisons de commodité, les édiles décidèrent au XIXème siècle de détruire le pont. Il fut démonté, de même que l’arc. Ce dernier aurait pu disparaître sans la réaction d’éminentes personnalités…

• Prosper Mérimée, inspecteur général des Monuments historiques, écrit à son ami et président de la Commission, Ludovic Vitet, une lettre datée du 28 juillet 1840 :

« J'ai trouvé ici l'arc romain horriblement déjeté. Il s'est affaissé d'une façon notable depuis mon passage à Saintes, et je crains fort qu'il ne tombe dans la Charente lorsqu'on détruira le vieux pont qui sert d'arc butant. Un architecte qu'on n'a pu me nommer a offert au Conseil municipal de restaurer et de redresser l'arc au moyen d'un procédé analogue à celui dont on s'est servi au Conservatoire des Arts et Métiers, avec une armature en fer appliquée au rouge et solidement fixée, laquelle en se refroidissant doit serrer les pierres disjointes. Je verrai demain ce projet que je ne comprends guère et que le sous-préfet ne m'a pas trop clairement expliqué ».

Lorsqu’il repasse à Saintes en septembre 1844, Mérimée y est attendu « comme un proconsul dans une province romaine ». Il écrit une nouvelle lettre à Ludovic Vitet pour lui exposer les tenants et les aboutissants de ce problème d'arc et de pont qui tient la ville de Saintes en haleine depuis plusieurs années. Même si la relation de Mérimée est parfois un peu embrouillée, on finit par comprendre le nœud du problème, qui est en fait de nature commerciale.


L'ancien pont dessert le faubourg de Saint-Palaye (actuel Saint-Palais). La route qui passe sur le pont (et donc sous l'arc, qui lui-même se dresse sur le pont) se prolonge dans le faubourg en ligne droite. Au fil des siècles, cette voie de passage a créé une véritable artère commerciale où tous les corps de métiers ont installé leurs échoppes et où de belles bâtisses ont été construites pour les bourgeois de la ville. Détruire le pont jusqu'à la partie qui soutient l'arc et en reconstruire un autre cent mètres plus loin (distance donnée par Mérimée lui-même), c'est mettre à bas tout cet édifice commercial et social fondé sur... la ligne droite. C'est ruiner le commerce et la vie des habitants du quartier ! C'est vouloir la mort du bourg de Saint-Palaye ! Sur pression insistante de tous les artisans de Saint-Palaye regroupés en véritable "lobby", la municipalité propose de construire une passerelle devant l'arc pour remplacer l'ancien pont. Fureur et refus indigné de Prosper Mérimée pour qui cette passerelle, avec ses hauts piliers et ses éléments métalliques, constituera une véritable insulte au monument antique !

Coupe du pont disparu de Saintes (Archives Nationales). En plus de l'arc romain, on y remarque plusieurs constructions qui se sont ajoutées au fil des siècles dont un tour...
La Commission campe donc sur sa position : l'ancien pont sera détruit, sauf la partie près de la berge qui soutient l'arc, et un autre pont sera construit. Rappelons que, pendant ce temps-là, des travaux d'ingénierie - aux frais de la Commission - sont en cours pour démonter l'arc, pierre par pierre, et le remonter tout près sur la terre ferme.
Dans une réunion animée avec Prosper Mérimée, le maire de Saintes défend l'intérêt de ses concitoyens. Il veut une passerelle car il refuse toute dérivation de la route. Les arguments de l'écrivain sur un transfert possible du commerce d'une zone dans une autre n'arrivent pas à le fléchir : « (...) il me répondait : « la ligne droite ! la ligne droite ! ». Excédé, le maire finit par mettre sa démission dans la balance.

Enfin, Mérimée rencontre l'ingénieur de la ville, un certain Forestier, auteur du projet de la passerelle.
Celui-ci propose de changer l'arc de place ou de, seulement, opérer sa conversion, c'est-à-dire que l'arc se trouverait sur l'axe de ladite passerelle. Mérimée s'y oppose en évoquant des considérations archéologiques. L'arc portant l'inscription latine : « Ad Confluentem », on se devait de l'installer tout près du fleuve. De même, les générations futures jugeraient du travail accompli, des choix pris ; on ne pouvait donc pas faire n'importe quoi.

Un nombreux public 

Bras de fer entre le maire de Saintes et Prosper Mérimée

Mérimée poursuit : « Entre l'existence de l'arc et celle de la passerelle, il y a pour moi une différence d'intérêt immense. Périsse plutôt la passerelle que l'arc ! Nous avons soutenu chacun notre dire avec assez de vivacité, et, comme vous le pensez bien, je suis resté inébranlable comme un roc. Il m'a dépeint avec beaucoup de poésie, toute une ville en alarmes, l'indignation qui retomberait sur moi, les colères de la presse, c'est le grand cheval de bataille aujourd'hui ».

On comprend dans la suite du texte que le Ministère, sur proposition de Mérimée, a désigné un endroit précis pour reconstruire l'arc (en fait non loin de son endroit d'origine) et qu'un ingénieur est chargé de le faire démonter pierre par pierre.
Un peu plus loin, Mérimée écrit : « Si nous nous soumettons à déloger pour le plus grand plaisir des épiciers du faubourg de St Palaye, nous proclamons que les monuments historiques doivent baisser pavillon devant le moindre établissement d'utilité publique ou soi disant telle. Tranchons le mot, nous confessons la vanité de notre mission et nous ne méritons plus que les chambres s'occupent de nous.
À ces causes, mon cher Président, je remets entre vos mains celle de l'arc de Saintes.
Représentez à Monsieur le Ministre qu'il vaut mieux qu'une douzaine de marchands de sabots se déplacent qu'un beau monument romain ; que dans un an d'ici personne ne pensera plus à la passerelle ; et que le maire donnât-il sa démission, la ville de Saintes n'en mourra pas.

J'oubliais de vous dire qu'on a fait quelques menaces contre les pierres de l'arc romain. Un conseiller municipal a dit que s'il était maire, il chargerait quatre gaillards d'assurer à grands coups de pic la parfaite impossibilité de réparer le monument, qui privera la ville d'une passerelle. La menace est un mouvement de rhétorique, mais je ne serais pas surpris qu'on essayât de l'exécuter. Je ne le serais guère non plus d'attraper une bonne raclée demain en traversant le faubourg pour retourner à Niort. »

Le pont disparu de Saintes
Le soir même, une députation d'une vingtaine de commerçants du faubourg de Saint-Palaye vint trouver Mérimée dans sa chambre d'hôtel pour réclamer la passerelle. Manœuvres d'intimidation à l'appui. Tous se plaignent qu'ils ont déjà perdu gros et prétendent que, sans la passerelle, le quartier est ruiné. « J'ai perdu 30.000 francs! et 20 autres voix répondaient : Et moi donc ! ». À cet endroit du récit, on en déduit que les travaux sur l'ancien pont ont fait fermer toute circulation et que l'artère commerciale du faubourg a commencé à pâtir de la disparition de la fameuse ligne droite.

Prosper Mérimée rapporte : « Acculé dans mon coin, j'ai commencé par leur dire que je n'avais pas mission pour les écouter, et que je n'étais à Saintes que pour une question d'art, sur laquelle je serais enchanté d'avoir leur avis, mais que je faisais profession de conserver les vieux monuments et non d'en faire de neufs. Puis, je leur ai fait une belle parabole pour leur prouver que tous les quartiers de Saintes ne pouvaient prospérer à la fois. Ils l'ont comprise, mais en déclarant qu'ils voudraient que ce fût le quartier de St-Palaye qui prospérât. Un teinturier que j'ai reconnu à ses mains glauques, s'est alors emporté contre l'arc, mais ses collègues l'ont fait taire aussitôt, et ont protesté qu'ils vénéraient les monuments historiques (...) ». La discussion dura une heure.

Finalement, la députation s'en alla, sans heurts. Pendant ce temps, Eugène Viollet le Duc et l'architecte chargé des travaux sur l'arc « étaient dans une chambre à côté à rire comme des fous ».
Le bouquet surgit à la fin de la lettre. Mérimée termine sur l'affaire de Saintes à l'adresse de Ludovic Vitet : « Hier, j'ai oublié de vous conter un mot sublime du maire. Son projet était de placer l'arc sur une hauteur, à l'extrémité du Cours Royal, à l'embranchement de la route de Bordeaux et de celle de la Rochelle ».
- Mais, lui dis-je, Monsieur, l'inscription, qu'en ferez-vous ? Elle mentionne que le monument a été construit au bord de la Charente.
- L'inscription ? Monsieur, nous la changerons ».


Quel dommage d'avoir détruit ce pont ...

Au XIXe siècle, ceux qui avaient senti toute la valeur du patrimoine eurent à batailler pendant des décennies pour faire évoluer les mentalités...
Prosper Mérimée, qui doutait de la sincérité de l'équipe municipale, est donc revenu à Saintes en 1844 pour faire le point avec les élus et surtout préserver cet arc qui agonise en morceaux sur la place Bassompierre. Installé sur les berges de la Charente, il retrouve son apparence en 1851. L'arc de Germanicus est classé aux Monuments Historiques en juillet 1905 et devient propriété de la ville.
Détruit, le vieux pont fait place à un pont suspendu placé à 100 mètres en aval qui reste en usage de 1842 à 1876. Suit la construction, de 1876 à 1879, de l'actuel pont Palissy. L'actuel Cours National est tracé sur l'emplacement des fossés longeant les anciens remparts de la ville.

Les monuments saintais à travers le folklore (collection Rouffy)
• La tristesse de Victor Hugo assistant aux travaux de démolition de l'arc de Germanicus : 
« Opération barbare et dérisoire »

« Le vieux pont de Saintes a perdu tout son caractère. Châtré et rejointoyé. On démolit en ce moment l’arc de triomphe pour le transporter ailleurs, dit-on. Opération barbare et dérisoire. Le pont est encombré des débris de l’arc mis en poussière. J’ai vu emporter la pierre numérotée C-S ; un cahot a failli faire verser la charrette ; un peu plus, la pierre tombait sur le pavé et s’en allait en miettes, comme les deux tiers du monument. Il ne reste plus que les deux arches d’en bas. Les ouvriers dessus, la charpente dessus et autour, la grue en haut. Les vieilles pierres vermiculées par l’âge et la pluie s’écrasent sous la pression des échelles. Là, à l’angle à droite, une colonne engagée, cannelée en porte-à-faux, sera évidemment refaite ou manquera. On appelle cela sauver un monument. Le pont, à ce qu’il paraît, gênait la navigation. A l’époque où il fut construit, la mer, comme me disait un vieux marin, « se faisait sentir » à Saintes plus qu’à présent. Maintenant le pilotis est trop élevé de trois ou quatre pieds. On a essayé de le couper sous une arche. Mais c’est une charpente si savamment nouée que tout s’y tient. On n’eût pu l’entamer sur un point sans que tout le reste ne s’infiltrât. De là cette démolition si regrettable ».
Victor Hugo – (France et Belgique. Alpes et Pyrénées – 1843)

• Source : « La naissance des Monuments historiques, la correspondance de Prosper Mérimée avec Ludovic Vitet (1840-1848) », Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, Ministère de l'Éducation nationale.

L'arc dessiné par Alain Paillou et peint par Dominique Brochard
• Des chocolats Arc de Germanicus 

Bonne idée de Marjorie Réaud, chocolatière à Saintes (avenue Jules Dufaure) présentée après la conférence, la création de chocolats dédiés à l'arc. A découvrir dans son magasin !

Sympa !
Marjorie Réaud et Didier Catineau
Et si on se laissait tenter ?

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