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mardi 12 juin 2018

Baptisées Sargasses, des algues mettent en péril le tourisme en Guadeloupe

Une plage envahie par les algues brunes (© Nicole Bertin)
Que sentent-elles, ces algues ? L’odeur est difficile à décrire. Entre œuf pourri et végétation en décomposition. Venant du Brésil, elles ont envahi les îles de la mer des Caraïbes dont certaines plages de Guadeloupe. Une plaie pour le tourisme qui a provoqué la réaction du Gouvernement. En effet, Nicolas Hulot, ministre de l’Environnement, vient d’annoncer un plan de 10 millions d'euros contre ces algues brunes nauséabondes qui envahissent les rivages. L'Etat prendra en charge près de 50% du financement du dispositif prévu sur deux ans. L'autre moitié sera financée par l'Union Européenne et les collectivités.


Jeudi matin à Sainte-Anne. Le soleil est déjà haut à l’horizon et les nombreuses boutiques qui bordent la rue principale affichent ambiance et teintes colorées. Un jour ordinaire au paradis ? Pas tout à fait puisque dans le secteur, les plages sont assaillies - c’est le mot - par des algues brunes qui arriveraient de la mer des Sargasses. Elles sentent franchement mauvais d’autant que la chaleur contribue largement à leurs effluves nauséabondes. Sur place, certains habitants ne comprennent pas ce qui se passe et une femme est allée consulter son médecin qui s’est montré totalement impuissant face à l’événement. Porter un masque ? Peu habituel dans cette partie du monde !

D’où viennent ces intruses ? « Elles sont depuis toujours présentes dans l’océan nord atlantique et la région des Caraïbes, avec un système de circulation bien connu entre le golfe du Mexique et la mer des Sargasses et la présence d’algues éparses dans le reste de la région. En revanche, les échouages massifs de sargasses pélagiques, qui affectent depuis 2011 la mer des Caraïbes, semblent trouver leur origine dans une nouvelle zone : la région de recirculation nord équatoriale, un courant marin circulaire situé entre les côtes du Brésil (nord de l’embouchure de l’Amazone) et le golfe de Guinée. Les sargasses sont des algues brunes marines de la famille des Sargassaceae, comprenant un grand nombre d’espèces à travers le monde. Les algues du genre Sargasse sont communément fixées sur les fonds marins côtiers hormis deux espèces qui se développent à la surface de l’océan et dérivent librement au gré de courants marins sous forme de nappes : ce sont les sargasses pélagiques Sargassum fluitans et Sargassum natans » expliquent les scientifiques.

Le ramassage est quotidien

A ce jour, la complexité des courants, l’étendue de la zone concernée et les données disponibles ne permettent pas de définir l’évolution du phénomène sur le long terme. Réalité sur le terrain, certaines plages de sable blond sont envahies par une couverture brunâtre qui contrarie la baignade et l'environnement. L’économie locale s’en trouve compromise, à commencer par le tourisme. S'y ajoute la qualité de vie de la population. C’est pourquoi le Gouvernement vient de débloquer 10 millions d’euros. « L'Etat répondra présent pour organiser la collecte des sargasses dans chaque territoire et prendra toutes les précautions en matière de santé. Il faut également poursuivre la coopération régionale dans la Caraïbe » a souligné Nicolas Hulot en déplacement en Guadeloupe. Il est favorable à un nettoyage immédiat.
Le plan comprend le déploiement de 22 capteurs, en Guadeloupe et en Martinique, qui permettront d'améliorer la surveillance. L’ensemble des données sera mis en ligne afin de fournir des informations précises et régulières. Une mission, dirigée par le sénateur Dominique Théophile, se rendra dans la région avec pour objectif la recherche de solutions quant au ramassage et la valorisation.

Gaz toxique et métaux lourds

Voilà bien le problème de la valorisation de ces algues. Outre leurs gaz toxiques, elles contiennent des métaux lourds (arsenic) et leur transformation en aliments est déconseillée. Déjà, certains Martiniquais les employaient comme engrais pour leur jardin. Après études, elles se révèlent dangereuses. Bilan, leur toxicité est trop importante pour envisager une méthanisation (production électrique ou reconversion en engrais) sans risque d’altérer définitivement les sols.

La situation devient donc alarmante. Sur le net, les messages sont révélateurs : « Je suis actuellement à Saint-François. Beaucoup de sargasses au Moule, à Capesterre. A Saint-François, c'est supportable. A Sainte-Anne, rien sauf la plage qui précède La Caravelle littéralement envahie. L'odeur est parfois insupportable et nuit aux hôtels et restaurants. D'après les agences, moins de réservations depuis les reportages TV. Ce qui est curieux, c’est qu'on ne voit aucune action concrète pour améliorer les choses » ; « Même si vous ne le voyez pas, il y a des actions concrètes... par exemple le nettoyage des plages à Sainte-Anne et Saint-François. Pour prendre un exemple précis, la partie de plage avant d’arriver à la Caravelle et dont vous dites qu’elle est envahie l’a déjà été à plusieurs reprises et nettoyée aussi à plusieurs reprises. Nous avons quitté la Guadeloupe le 9 mai et je peux vous assurer que ce jour-là, elle était très propre, ce qui veut dire qu’elle venait d’être nettoyée car quelques jours avant, elle était envahie par les Sargasses avec l’odeur qui va avec. En revanche, Saint-François était impraticable ! Donc, des choses sont faites mais c’est à refaire jour après jour. C’est bien le problème avec les sargasses. Elles arrivent avec les courants marins et les vents et jusqu’à maintenant, personne n’a trouvé le moyen de les empêcher d'échouer ! » ;  « C’est un désastre pour toute la population antillaise en premier lieu ... même si les touristes s’en trouvent gênés également bien sûr » ; « Sargasses à partir de la plage Bois Jolain à Sainte-Anne, Saint-François, la Pointe des Châteaux - la Grande Vigie - la Porte d'enfer, c'est une horreur, écœurant même depuis la route, Capbesterre, des bancs au large de Bouillante. Sont épargnées les plages de Anse Bertand, Saint-Louis, Sainte-Anne, Deshaies. J’ai adoré celle du Souffleur à Saint-Louis et Grande Anse à Deshaies ».

Maintenant, on croise les doigts pour que les choses s’améliorent. Selon les observations faites, il semblerait que ces algues, dépendantes des nutriments contenus dans l’eau, profiteraient des minéraux charriés par les fleuves avant de rejoindre la mer. Il n'y a aucune certitude pour l’instant quant à l'origine de leur prolifération...



• De nombreuses îles des Antilles sont affectées par le phénomène, mais également les côtes mésoaméricaines.

• L’odeur caractéristique d’œuf pourri est celle de l’hydrogène sulfuré. Ce gaz provient de la décomposition naturelle des algues sargasses en absence d’oxygène, notamment lorsque des algues (comme toutes les matières organiques biodégradables) reposent en forte épaisseur sur une plage ou des rochers.

• Les algues sargasses ne proviennent pas de la mer des Sargasses au large de la côte-est américaine mais de la petite mer des Sargasses, au large du Brésil. En toile de fond, le dérèglement climatique.

La Pointe des Châteaux
Lisière d'algues brunes sur cette plage
 © Nicole Bertin

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