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jeudi 29 mars 2018

Saintes : Cécile, Michelle, l’amphithéâtre et les gradins...

Au départ, il y a Cécile, guide conférencière qui s’interroge sur la volonté de Jean-Philippe Machon, maire de Saintes, de doter l’amphithéâtre de nouveaux gradins. L’objectif est d’y accueillir des spectateurs en plus grand nombre. N’y a-t-il pas un danger pour le monument vieux de deux millénaires ? Ainsi naît Médiactions. Puis arrive Michelle, présidente de la Société d’archéologie et d’histoire de la Charente-Maritime. Elle partage ses inquiétudes. Vendredi dernier, aux côtés des membres des deux associations, elles ont signé une charte consensuelle autour de la valorisation, la restauration et les usages de l’amphithéâtre antique de Saintes.

Inauguré sous le règne de Claude, vers 40 après Jésus-Christ, le début de la construction de l’amphithéâtre de Mediolanum (Saintes) a vraisemblablement eu lieu à la même période que celle de l’édification de l’Arc routier dit de Germanicus, appelé communément Arc de triomphe, dans les années 20 après J.C. L'amphithéâtre est une "structure mixte", conjugaison audacieuse à la fois pleine pour la partie de la cavea s’appuyant sur les versants du vallon et creuse pour les parties entièrement construites (© photo Solstice). 

Depuis que la pétition de l’association Médiactions, lancée par Cécile Trébuchet en 2017, a recueilli près de 7500 signatures, l’affaire des gradins prévus dans l’amphithéâtre n’est plus une histoire anecdotique qui viendrait pimenter la vie de la capitale saintongeaise. Cécile Trébuchet (spécialiste de la période romaine) et les membres de Médiactions expriment tout simplement leurs inquiétudes quant au bouleversement qui pourrait toucher les "arènes", si chères aux habitants. Une voix qui s’élève publiquement et s’exprime quand d’autres n’osent pas s’exposer aux feux de l’actualité. « Il s’agit de sensibiliser la mairie à ce qu’est réellement l’amphithéâtre qui doit conserver son authenticité. Y implanter des gradins en bois serait une erreur et y organiser des concerts, déferlant des vagues de décibels, l’altéreraient gravement » souligne Cécile Trébuchet. Cette « agression » explique d’ailleurs pourquoi les spectacles, qui fleurissaient à une époque entre les pierres séculaires, y ont été interdits : ils abîmaient cette honorable structure...

Pour sa part, la mairie de Saintes, au sein d’un comité de pilotage où siège le directeur de la DRAC de Nouvelle-Aquitaine, assure qu’elle ne fera pas n’importe quoi, la décision finale étant collégiale. 
« Que nenni ! » rétorque Médiactions. Elle déplore le manque de transparence du projet du vallon et craint que les arènes ne deviennent une grande salle de spectacle à ciel ouvert de 5000 personnes. Elle ne s’oppose pas pour autant à la valorisation des nombreux vestiges qu’abrite la ville, capitale gallo-romaine aux premiers siècles de notre ère. 

Dans son combat, Médiactions a été rejointe par la société d’archéologie et d’histoire de la Charente-Maritime que préside Michelle le Brozec. Les deux entités ont élaboré une charte, présentée vendredi dernier avant d’être remise au maire. Elle comporte des signatures renommées dont celles de José Gomez de Sotto, directeur de recherches au CNRS, Jacques Bouineau, professeur d’histoire du droit, Louis Maurin, archéologue et historien universitaire, Marc Fardet, délégué de Sites et Monuments pour la Charente-Maritime, Philippe Ravon, président de musées de Saintes, Alain Michaud ou encore Bernard Mounier, membres de l’Académie de Saintonge. 

1er rang de gauche à droite : Alain Michaud, Cécile Trébuchet et Michelle le Brozec
Second rang : Guy Puyastier, Daniel Tognetti, Romain Charrier, Didier Catineau et Brigitte Puyastier

Une action « groupée »

Cécile Trébuchet se réjouit que des personnalités aient cautionné cette charte dont voici les principaux éléments ainsi que les points réunissant Médiactions et la Société d’archéologie et d’histoire :

• Nous nous posons des questions sur le projet évoqué par la municipalité concernant l'amphithéâtre et le vallon des arènes et nous nous inquiétons des informations qui sont transmises aux citoyens par voie de presse qui montrent à l'évidence que le souci premier de ce projet n'est pas la préservation et la restauration de l'amphithéâtre mais plus la création d'une grande "salle" de spectacle à ciel ouvert. 


• Nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'un projet porteur pour valoriser l'ensemble du patrimoine de Saintes qui en a besoin car laissé à l'abandon depuis des décennies. Cependant la première phase annoncée du projet, à savoir la création de gradins dans l'amphithéâtre pour la réalisation de spectacles avec plus de 5000 spectateurs dès 2019, montre que l'objectif est très éloigné de la valorisation du patrimoine. Un nombre si élevé de spectateurs se déplaçant dans l'amphithéâtre ne peut être que préjudiciable à ses structures. On ne peut pas non plus considérer comme sérieuse une restauration permettant l'installation de gradins en à peine un an. A titre de comparaison, il a fallu six années pour restaurer six travées de l'amphithéâtre de Nîmes. 

• L’amphithéâtre est le site le plus visité par les touristes qui trouvent là un témoignage authentique du passé gallo-romain de notre cité conservé dans un écrin calme de verdure. L'installation de gradins aurait des conséquences irréversibles sur l'esthétique du site, un enlaidissement certain et, pour qui est un tant soit peu intéressé à l'archéologie, une altération évidente de la lecture historique du monument. L'argument de gradins "réversibles" n'est qu'un leurre et est inapproprié : en matière de patrimoine, rien n'est jamais réversible. 


• L’amphithéâtre a été pensé par les Romains pour des combats de gladiateurs et n'a donc pas les caractéristiques acoustiques d'un théâtre. Si on veut en faire une salle de spectacles, il sera nécessaire de monter une sonorisation en conséquence. Or il est reconnu qu'une sonorisation d'autant plus puissante que le nombre de spectateurs est important a des effets dévastateurs qui entraîneront une détérioration des pierres et du bâti déjà fragilisés. 


• La transformation de l'amphithéâtre en salle de spectacles à ciel ouvert pour 5000 personnes implique obligatoirement des infrastructures conséquentes. Outre les inconvénients de la sonorisation et la dégradation du site, la gestion du flux des spectateurs au niveau de l'accessibilité (à pied, en voiture, en bus), de la circulation dans le site, du confort, des commodités, de la sécurité etc. devra être pensée pour l'évènement d'un soir et aura obligatoirement des conséquences sur l’environnement du site. 


• Notre inquiétude porte également sur l'aspect financier d'une telle opération. Des réalisations comparables montrent que le succès surtout sur un site en plein air soumis aux aléas climatiques est très hasardeux. Le coût in fine pour les citoyens pourrait vite devenir très important. 
Nous souhaitons vivement que ces quelques éléments de bon sens soient entendus et que la municipalité sache raison garder. Il y aurait des actions prioritaires, plus raisonnables et moins onéreuses à mettre en œuvre en urgence pour la valorisation du vallon des arènes et du monument. 


Les propositions qui sont  faites :

• La restauration et le renforcement de la structure de l'ensemble de l'amphithéâtre par tranches successives, et non pas seulement là où les gradins seraient prévus. 


• Un accueil d'excellence pensé pour les visiteurs et guides toute l'année (et non pas pour des manifestations deux ou trois fois dans l'année). L'accueil actuel n'est digne ni du site ni des ambitions touristiques affichées. Une salle de conférence, des équipements modernes aux normes handicap, un centre d’interprétation enrichi d’outils numériques seraient à créer. Cet investissement permettrait une économie du tourisme bien plus prometteuse et durable que quelques grands spectacles estivaux à la rentabilité discutable. 


• La prise en compte du tourisme du futur pour la revalorisation du vallon, est aujourd'hui une nécessité. Le tourisme est en pleine évolution et doit répondre aux nouvelles attentes des visiteurs avec le respect des environnements naturels et le respect de l'authenticité des lieux. L'UNESCO a d'ailleurs récemment publié des recommandations qui vont dans ce sens (cf. Gestion du Tourisme- Janvier 2018). 


Des spectacles pourraient être envisagés s'ils conservent une dimension raisonnable, locale ou régionale où les spectateurs pourraient être assis sur les premiers rangs du podium et éventuellement sur des sièges supplémentaires installés sur l’arène même et démontables après chaque représentation. Un cahier des charges pourra aussi être défini pour les organisateurs fixant les conditions des représentations, comme le nombre de spectateurs, le niveau des décibels à ne pas dépasser, les emplacements du matériel scénique et sonore, etc. Il nous semble particulièrement important que le type de spectacle soit en cohérence avec le site et son environnement. Nous suggérons qu'une instance indépendante, telle qu'une association culturelle, puisse avoir un regard consultatif et historique sur le type de représentation. L'enjeu de tels spectacles à échelle raisonnable serait non seulement beaucoup moins risqué financièrement, mais également en phase avec la conservation du site archéologique. 

Saintes se veut « Ville d'Art et d'Histoire » ! Il y a des richesses partout dans nos musées et pourtant, ils sont aujourd'hui quasiment tous fermés ! Il y a des thermes romains et pourtant ils sont oubliés ! Il y a à Saintes une histoire riche tant par ses monuments que par ses hommes : gallo-romaine, médiévale, renaissance, révolutionnaire, cheminote, contemporaine et pourtant aucun musée retraçant l’ensemble de ces époques, aucune reconstitution historique en 3D reprenant toute l'évolution de notre cité ! 

Tellement de choses à faire et à valoriser avant de transformer l'amphithéâtre en salle de spectacles avec des gradins ! Une ville labellisée « Ville d’Art et d’Histoire » s’oblige à des devoirs. 
Le monument emblématique de notre histoire doit, au fil des générations, continuer à faire seul son spectacle, sans qu’une quelconque génération n’intervienne en le mettant en danger. Comme à toute époque de destruction, c’est lorsqu’un patrimoine est en danger que les citoyens se rassemblent. C’est ce que nous faisons aujourd’hui par la signature de cette charte, voulant acter avec enthousiasme et rigueur, tant nos souhaits de restauration que le refus d’une accessoirisation de notre amphithéâtre.

Deux restaurations, Grand et Fréjus, qui inquiétent Médiactions et la Société d'archéologie
Au terme de la rencontre, les deux associations ont validé le document. Leurs préoccupations concernent également les thermes de Saint-Saloine et l’aménagement du site Saint-Louis. 
zCécile Trébuchet n’oublie pas l’accueil des touristes à l’amphithéâtre qui reste rudimentaire : « je propose au maire de me suivre lors d’une visite. Il se fera lui-même une idée des difficultés que nous rencontrons »… Le rendez-vous sera-t-il retenu par le premier magistrat ? A suivre !

L'amphithéâtre de Saintes (© photo Solstice)
• La typicité de la construction tient compte de la topographie du site contrairement aux autres amphithéâtres datant de la fin du 1er siècle après J.C. (Nîmes, Arles) qui ne sont qu’une structure creuse. Sur la colline de Mediolanum, reposent donc directement les vomitoires (ensemble des dégagements par les escaliers) et les gradins. Le fait que gradins et escaliers n’aient pas de renforcement, ni de soutènement souterrain, explique la fragilité de la construction, très sensible aux vibrations lorsque le niveau sonore d’une manifestation fait trembler les pierres. 
Pourtant, l’amphithéâtre de Mediolanum est encore l’un des mieux conservés de toutes les Gaules. La magie de la construction reste ce formidable jeu d’escaliers, au nombre de 90, qui permet en très peu de temps d’installer toute une société soucieuse de la distinction de ses classes sociales. 

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