Des vestiges de la puissante Mediolanum sont encore visibles. Si vous aimez les balades, un parcours s’offre à vous, des arènes jusqu’aux thermes de Saint-Saloine. Suivez les guides, en l’occurrence Isabelle Oberson, directrice des affaires culturelles, et Murielle Perrin, animatrice en architecture et patrimoine. Seul témoignage fermé au public, le mystérieux souterrain de la maison Audiat (près des arènes) pour lequel les érudits émettent des hypothèses…
Frise d'un monument romain (musée lapidaire) |
Murielle Perrin anime de nombreuses conférences |
• Que serait Saintes sans ses arènes ?
Sous des remblais durant une longue période, l’amphithéâtre de Saintes a été protégé... |
Quelle que soit la suite des événements, entrer dans l’amphithéâtre, c’est remonter l’horloge du temps de 2000 ans. Inauguré sous le règne de l’empereur Claude, vers 40 après Jésus-Christ, le début de sa construction a vraisemblablement eu lieu à la même période que celle de l’édification de l’Arc votif de Tibère, appelé communément Arc de triomphe, dans les années 20 après J.C. La précocité de ces constructions de pierre, par rapport à la plupart des autres colonies romaines, s’explique par l’alliance instaurée à l’époque césarienne entre les troupes militaires romaines et les Santons, menacés d’être envahis par le peuple des Helvètes. C’est en relisant « la Guerre des Gaules » de Jules César, ouvrage cher aux latinistes, que l’on comprend combien cette architecture, dans un pays sans triomphe militaire, deviendra plus tard et au-delà du passage de la République à l’Empire, la représentation d’une gouvernance politique puissante. Miroir de la Grande Rome, les constructions de ses bâtiments, publics et de détente, font de la cité de « Mediolanum » un grand exemple de romanisation.
De cet important monument qui pouvait accueillir 15000 spectateurs, comptait 35 rangées de gradins et moult accès, ne reste que l’ossature. Toutefois, il conserve son côté "habité", de nombreux visiteurs percevant l’émotion que ressentaient les gladiateurs entrant dans l’arène, entre les portes des vivants et des morts. Cet espace symbolisait à la fois les goûts de l’époque (avec les réserves qu’on peut émettre aujourd’hui sur le contenu de certains spectacles) et un aspect spirituel gravitant autour de la fragilité de l’existence, entre lumière et ténèbres…
Le vallon des arènes |
• Mediolanum se « recroqueville »,
victime des invasions
Vestiges des remparts |
Le forum de Mediolanum se trouvait où est l’actuelle Providence. Cet emplacement de Saintes (belvédère du Site Saint-Louis) a toujours été un lieu stratégique où étaient situés les centres de gouvernance.
Les remparts ont été détruits à la fin du XVIIIe siècle. Sur les quais, sont apparus de superbes hôtels particuliers. Les fossés ont été comblés et le cours National est devenu, par la suite, la nouvelle grande artère de Saintes.
Derrière ces murs (actuelle Providence), se trouvait le forum de Mediolanum |
Place des Récollets |
Les remparts entouraient ce périmètre (carte de Jean-Claude Golvin) |
• Extrait du livre Charente-Maritime, d’Aunis et la Saintonge, des origines à nos jours :
Après la splendeur de Médiolanum aux premiers siècles de notre ère, suivent les invasions "barbares " dont les Alamans, Vandales et Alains. Plus tard, les Vikings sévissent dans la région durant l’été 844. En 845, ils lancent un raid au cours duquel périt Seguin, comte de Bordeaux, cependant que Saintes est détruite et pillée. Adémar de Chabannes décrit l’événement un siècle plus tard : « Seguin, comte de Bordeaux et de Saintes est capturé par les Normands et massacré. Saintes est incendiée et ses précieux trésors sont emportés ». Dès lors, l’Aquitaine est périodiquement attaquée.
L’expédition viking de 863 est particulièrement importante et meurtrière. Turpion, comte d’Angoulême, est tué en aval de Saintes. En 865, les annales de Saint-Bertin rapportent un combat victorieux livré par les Aquitains contre les Normands « établis sur la Charente ». L’historien André Debord a formulé l’hypothèse, interessante, que la base navale stable des Vikings dans la région était située à Taillebourg, dont la forme primitive serait «Trelleborg».
Le lieu présente des conditions idéales pour établir un port, à savoir une plage où l’on peut faire échouer les bateaux et rembarquer en profitant de la marée du jusant. Aux IXe et Xe siècles, le site était protégé par des marais côtiers et les masses forestières des deux rives de la Charente.
Les Vikings auraient quitté les lieux au Xe siècle. Cependant, on les vit reparaître sporadiquement dans l’ancienne Aquitaine jusqu’au début du XIe siècle.
A noter : Au IXe siècle, Saintes a été victime d'un tremblement de terre assez important, semble-t-il. En 1652, elle a connu une grave épidémie de peste.
• Souterrain mystérieux de la Maison Audiat (près des arènes)
La maison Audiat |
Maçonneries intactes |
Aujourd’hui, le mystère n’a pas vraiment été éclairci (sauf que la maçonnerie romaine a traversé le temps, comme le montrent les photos). De nouvelles fouilles apporteraient-elles une réponse ?
Cheminées "fermées" |
Un puits ? |
De nombreuses interrogations et des époques successives... |
D’après la biographie saintongeaise de l’abbé Pierre-Damien Rainguet, on apprend qu’il est né à Saintes, en 1752, d’une famille d’artisans, s’appliquant dès sa jeunesse à l’étude des antiquités, que favorisait si bien sa ville natale par les nombreux monuments gallo-romains qu’elle possédait alors.
Bourignon ne tarda pas cependant à comprendre que, dépourvu de fortune, il lui importait de chercher un emploi plus lucratif que celui d’antiquaire.
Il se rendit à Paris pour y étudier la chirurgie. L’amour de la poésie l’emporta, et il s’appliqua, de concert avec quelques vaudevillistes, à la composition de petites pièces de théâtre qui lui assurèrent des triomphes faciles, mais sans beaucoup de profit.
Bientôt il rentra dans sa patrie sans avoir pris le temps de cultiver l’art de guérir, et se livra de nouveau à des recherches sur les antiquités de Saintes et des lieux environnants. Il établit, dans sa ville, un petit journal hebdomadaire intitulé : Affiches de Saintonge et d’Angoumois, qu’il sut rendre intéressant en y mêlant des articles scientifiques et littéraires. Plusieurs abonnés répondirent à son appel. La Révolution française étant survenue, Bourignon en embrassa les principes avec chaleur. Il fut nommé lieutenant-colonel de la garde nationale ; son journal devint dès lors l’écho des plus violentes déclamations républicaines.
Emporté par une ardeur peu commune, il parcourut les campagnes pour y prêcher les doctrines révolutionnaires, et il compromit, dans ces exercices forcés, sa frêle santé d’homme de lettres. On assure, de plus, que les mauvais traitements qu’il éprouva dans une commune, de la part de personnes opposantes et attachées à l’ancien ordre de choses, ne contribuèrent pas peu à son état maladif. Bourignon mourut au commencement de l’année 1793, victime de son enthousiasme démocratique.
Qu’aurait dit Bourignon, s’il eût prévu qu’un demi-siècle après ses importants travaux sur les antiquités saintongeaises, son pays eût détruit ou laissé détruire l’arc de triomphe de Germanicus, qu’il avait étudié avec tant de soin et dont il nous a conservé la double inscription dans son ouvrage ? Quels blâmes sévères n’eût-il point infligé aux projets barbares de ses concitoyens, et dont le plus inexplicable consiste à relever, au XIXe siècle, avec d’anciennes et de nouvelles pierres, un monument du Ier siècle ? Comme si l’on pouvait improviser des antiquités ! Vrais jalons de l’histoire, les monuments ne doivent-ils pas, pour parler à l’esprit des hommes, être contemporains des faits historiques qu’ils rappellent ? »…
• Source : Biographie saintongeaise - Pierre-Damien Rainguet - Paris - 1831
Quel dommage que ce pont, dont l'arc marquait l'entrée, n'ait pas été conservé... |
Il fut, entre autres, professeur de rhétorique et bibliothécaire-archiviste de Saintes. Valorisant la revue de l’Aunis et de la Saintonge, on lui doit de nombreuses recherches sur l’histoire de la ville. « Audiat était un grand bonhomme, bel historien et animateur hors pair d’une revue, dans une époque où partout régnait le ton de la polémique ; même si la fin de son parcours est incontestablement marquée par des excès en ce domaine (et que ses dérives de l’âge doivent interpeller ses héritiers que nous sommes tous), son œuvre reste. C’est là l’essentiel : il a créé une légende régionale et son personnage de grand érudit ombrageux en fait partie à part entière » écrit à son sujet l’ancien directeur de l’Académie de Saintonge, François Julien Labruyère.
• L’arc de Germanicus
offert par Caius Julius Rufus
Classé au titre des Monuments Historiques en juillet 1905, l’Arc de Germanicus a été érigé en l'an 18 ou 19 pour l'empereur Tibère, son fils Drusus et son neveu et fils adoptif Germanicus. Sa construction a été financée par un riche citoyen, C. Julius Rufus.
« Il s'agit d'un arc routier à deux baies initialement bâti à l’arrivée de la voie romaine Lyon-Saintes (Lugdunum – Mediolanum), au niveau du pont romain sur la Charente (appelée Carentonus selon le poète Ausone au IVe siècle). Il fut restauré en 1666 puis, sur proposition de Prosper Mérimée en 1843, l'arc fut déplacé à quinze mètres de son emplacement pour des travaux sur les quais de la Charente. Il a été restauré en 1851 » expliquent les historiens.
Tel qu'il était avant d'être détruit au XIXe siècle |
Sous la dédicace, l’inscription sur l’entablement donne le nom du donateur C. Iulius Rufus, ainsi que son ascendance. Elle est répétée sur chaque face de l’arc. Ce qui se traduit par Caius Julius Rufus, fils de Caius Julius Catuaneunius, petit-fils de Caius Julius Agedomopas, arrière-petit-fils d’Epotsoviridius, inscrit dans la tribu Voltinia, prêtre de Rome et d’Auguste à l’autel qui se trouve au Confluent, préfet des ouvriers, a fait à ses frais cet arc.
• Sauvé par Victor et Prosper !
Une première restauration au XVIIe siècle... |
Bref, il est reconstruit, mais de façon peu minutieuse. Les pierres, déposées en vrac sur les bords du fleuve, n’ont pas été remontées telles qu’elles étaient assemblées initialement et de nouvelles ont été ajoutées. Il s’agissait, à l’époque, d’une installation temporaire. En 2018, l’arc est toujours là et il n’est pas question de déplacer cet honorable monument.
Seul reproche (personnel), un nettoyage un peu trop radical de l’ensemble a été effectué voici quelques années, lui donnant un aspect « Monsieur propre » qui n’est pas indiqué. La prochaine fois, il serait judicieux d’éviter ce genre de décapage, ne serait-ce que par respect pour les pierres vieilles de 2000 ans…
• Les thermes de Saint-Saloine
Lorsque les premières invasions contraignirent la population à se retrancher derrière une enceinte défensive, des quartiers entiers furent abandonnés. La plupart des bâtiments publics furent alors réaffectés. Les thermes devinrent une église, destination inattendue qui les sauvèrent en partie de la destruction…
Le site des thermes de Saint-Saloine est classé monument historique depuis le mai 1904.
Vestiges du caldarium : Du bâtiment d'origine, ne subsistent que quelques pans de mur présentant des niches de soutènement, vestiges du caldarium (partie des thermes où l'on pouvait prendre des bains chauds). Quelques pierres témoignent de l'église Saint-Saloine établie ultérieurement. Endommagé au XVIe siècle, ce sanctuaire a été abandonné et détruit.
Des fouilles ont permis de retrouver de nombreux sarcophages antiques et médiévaux dans le périmètre entourant l'ancienne église, prouvant la transformation du site en nécropole durant l'antiquité tardive et le haut Moyen Âge.
• Au XIXe siècle, un couple de commerçants (propriétaires du terrain), les Maraud-Bertaud, ont réutilisé d'anciens sarcophages pour leurs propres funérailles. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme !
Un sarcophage réutilisé ! |
• L'Aqueduc
(à découvrir lors des journées du patrimoine)
Outre les parties souterraines, des vestiges sont visibles au golf de Saintes |
Maquette des thermes de Barzan |
© PHOTOS NICOLE BERTIN
Saintes, ville patrimoniale ou dynamique ?
RépondreSupprimerQuel beau voyage à travers le temps et l'espace. Si besoin était, voilà qui plaide en faveur de la création d'un parcours touristique à Saintes aux antipodes de cette idée complètement anachronique d'installer de misérables "gradins" dans l'amphithéâtre, l'un des sanctuaires les plus symboliques de notre cité.
Tout le monde est unanime pour dire que ce monument est en lui-même LE spectacle. Le dénaturer, voire le détruire, serait un drame, une malédiction digne du plus bel opéra. À l'instar d'un Louis Audiat à l'esprit bien plus ouvert qu'un presque usurier insipide, je dirais qu'il serait criminel de persister dans une entreprise aussi stupide. L'analogie avec la mairie et les marchands du XIXè siècle qui ne voulaient plus de l'Arc de Germanicus, est frappante. Si un empire chasse l'autre, le pouvoir et la spéculation demeureront toujours comme larrons en foire. La preuve, ils sont en train d'entreposer nos vieilles pierres dans une ancienne... brocante ;-)
Aujourd'hui, le "soft power" essaye de nous embrouiller avec sa "réalité virtuelle" (oxymores). C'est dire si le niveau baisse. Comme l'a fort bien souligné la Présidente de l'Office du Tourisme, les émotions que tout un chacun peut ressentir dans un lieu comme les arènes, ne peuvent appartenir qu'au vécu. Il se trouve que Saintes la bien nommée possède plusieurs endroits comme celui-ci chargés de mémoire à la croisée de chemins empruntés autrefois par des pèlerins, mais aussi des envahisseurs.
Peut-on considérer que les visiteurs de l'amphithéâtre, le deuxième lieu le plus visité du département (45000 par an), sont des "envahisseurs" ? Peut-on les cantonner en ce seul lieu ? Le mot tourisme étant tiré de tour, ne ferait-on pas mieux de leur faire suivre ce parcours dans le temps et dans l'espace en leur racontant non pas des histoires, mais l'Histoire de notre ville et de ses environs sur 2000 ans et plus ? Nous pourrions même convoquer les historiens pour qu'ils se mettent d'accord sur le cas des Helvètes, par exemple, sachant qu'on n'est pas obligés de prendre la version de l'ennemi pour argent comptant.
Bref, de quoi alimenter bien des conversations, à condition cependant de s'ouvrir aux autres et d'apprendre ce que signifie le mot accueil. Mais ça, c'est une autre... histoire.
Merci.