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jeudi 25 janvier 2018

« Echanger de temps à autre l'épée contre la plume » : Point de vue du Colonel (er) Jean-Jacques Noirot

Le chef d'état-major des armées s'est exprimé dans Le Figaro du 18 janvier sur le thème « Oser écrire ». Il s'adresse, non pas d'une façon générale, aux militaires, mais essentiellement aux acteurs de la Défense et aux civils qu'elle inspire


 S'apitoyant sur une écriture délaissée par une armée d'active confortablement installée dans un devoir de réserve qui lui conviendrait, le général Lecointre entend stimuler les neurones en uniforme, leur rappelant l'existence  d'un droit d'expression qu'il juge insuffisamment utilisé. Le silence des plumes régimentaires ou divisionnaires l'inquiète. Alors, il y met du sien, et s'y colle. Il nous invite à nous procurer le livre « Le soldat » co-écrit avec les auteurs d'articles parus dans la revue Inflexions, publication, aussi connue et lue que la Satire Ménippée ou le Décaméron, pour élite pensante dont j'ai eu l'heur d'entendre parler par une autre voie, elle aussi prestigieuse, je le reconnais, mais tout aussi confidentielle.

Quand le CEMA fait la leçon à ses troupes sur la nécessité de mettre l'écriture au service d'une pensée féconde pour édifier au mieux la pyramide du commandement, appelant leur attention sur les risques du silence des esprits, de la paralysie des cerveaux et soulignant par de glorieux exemples le lien indéfectible entre la pensée et l'action, il fait probablement souffler dans les bivouacs comme une bouffée d'air frais. 

Le choix du Figaro n'est pas un hasard. Le général Lecointre sait qu'il a davantage de chance d'être lu par un grand nombre de troupiers concernés qu'en ayant sollicité les colonnes de quotidiens plus diversement appréciés par les uniformes galonnés qui souvent ont fait les frais de leurs éditoriaux. Bien joué. Mais au delà du contenu de son article, dont nul ne pourra contester le bien-fondé, ni la qualité des idées fortes qu'il énonce, que faut-il retenir ?

Le CEMA propose à ses troupes d'échanger de temps à autre l'épée contre la plume. Celle ci serait absente dans les rangs harassés de nos armées. L'épée brandie du levant qatarien au couchant Sahélien, de la brousse africaine aux beaux quartiers parisiens, ne devrait plus suffire au quotidien des soldats à qui incomberait aussi l'écriture d'une géostratégie aujourd'hui lente à trouver la bonne direction où tourner ses canons. Cela pourrait se nommer la stratégie participative. 
Dès lors, il faudrait qu'après avoir porté pendant des heures une musette de misère sur des étendues infinies à bord d'engins expirants, ou battu le pavé de nos sites sensibles avec un enthousiasme débordant, nos vaillantes troupes mettent en marche, pour bâtir un avenir radieux à la patrie, leur esprit déjà malheureusement saturé par les insolubles soucis du lendemain. Mais pourquoi pas ? D'autres l'ont fait ! J'ai le souvenir d'un brillant officier me confiant que chaque soir, en manœuvre ou en opération, après un brin de lecture puisée dans un livre emporté à dessein, il faisait des fiches. Beau précédent ! 
Cette directive, car c'en est une, témoigne d'un changement radical dans la volonté du haut commandement. Il serait temps. Certains pourraient croire qu'en évoquant dès l'introduction de son article les "valeurs" pérennes du soldat, le CEMA fixe les limites du champ d'investigation où devrait s'exercer les talents épistolaires aujourd'hui refrénés de notre élite militaire. Il n'en est rien. 
Si bientôt devaient surgir les de Gaulle ou Lyautey du "nouveau monde", ces esprits ne connaîtront pas de digue. Ils seront probablement amenés à s'interroger sans détour sur la difficulté qu'il y aura à asseoir le courage des soldats sur celui dont a fait preuve le gouvernement face aux zadistes de Notre Dame des Landes. De même, il leur faudra ruminer sur notre attitude passée face au "tyran" syrien qui aujourd'hui nous fait des pieds de nez méprisants. Ou bien encore se demander quel sens peut avoir la défiance maladive, réelle ou supposée, dont nous faisons preuve à l'égard de Moscou. Nous allons nous amuser ! Il y aura du remue-méninges dans les popotes ! Iront-ils jusqu'à dénoncer les errements funestes d'une condition militaire au plus mal en raison de la gouvernance civile qui lui est imposée ? Espérons-le !

Ce qu'il faut déplorer dans cet article dénonçant, d'une certaine façon, moins la paresse intellectuelle des gradés que les craintes que leur inspire une expression libre de la pensée en raison des risques pour eux-mêmes qu'elle pourrait comporter, c'est un appel à la contribution des civils tout en ignorant l'apport potentiel des Anciens. Parodiant un très ancien CEMAT, j'oserais rappeler « qu'un militaire reste militaire quand il n'est plus militaire ». Mon illustre référence parlait du "chef". Certes, cela n'est pas toujours vrai. Mais ça l'est dans la majorité des cas. Or, de telles plumes, surtout quand elles se sentent ignorées, s'aiguisent à la pierre de la pugnacité et du défi. Elles peuvent alors devenir cinglantes. Il est maladroit de les tenir à l'écart des débats alors qu'elles se sentent concernées, parfois au premier chef. Cela mériterait au moins reconnaissance.  

Le général CEMA a certainement déjà trouvé dans les colonnes de L'ASAF la preuve de riches et très intéressantes contributions, toutes respectueuses de la déontologie militaire, mais fermes et engagées pour la défense des soldats, exprimant sans détour ce qu'elles pensent du monde comme il va. Citons pour l'exemple le Plaidoyer pour nos soldats du général Soyard, dont l'un des mérites réside dans les solutions qu'il propose. D'autres plumes y cernent avec brio les enjeux de demain. L'expression des anciens s'est toujours faite dans la dignité et le respect de la hiérarchie militaire, à qui elle n'a jamais disputé la primauté de son autorité. Est-il raisonnable de la laisser pour compte, alors qu'elle est toujours venu en appui de ceux qui, « aux affaires », s'appliquent au succès des armes de la France? Ce serait dommage. 

Il serait temps que s'organise l'indispensable synergie entre l'Active et les Anciens, pour le plus grand profit de ceux qui, au loin comme chez nous, nous défendent contre les périls de notre destinée. Tout le monde doit y être associé, sans exclusive. C'est sur cette unité de fond que repose la confiance de la nation dans ses armées. 

Colonel (ER) Jean-Jacques NOIROT

Source de rediffusion : www.asafrance.fr

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