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lundi 11 septembre 2017

Ouragan Irma : « Tout le monde a oublié Hugo, le terrible cyclone de 1989 dont les rafales ont dépassé les 280 km en Guadeloupe »

« L'île de Saint-Barthélemy se reconstruira plus vite que celle de Saint-Martin » : de notre envoyé spécial Thierry Lacourly 


Destruction et désolation (photo Raymond Joyeux)
Originaire de Jonzac, Thierry Lacourly vit en Guadeloupe depuis plusieurs décennies. Comme de nombreux compatriotes, il a craint l’arrivée d’Irma qui a détruit une grande partie des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. « Tous les ans, de juin à octobre, nous sommes en période cyclonique. Ces phénomènes sont habituels, mais Irma a été d’une grande intensité » déclare-t-il. Présent quand Hugo s’est abattu sur la Guadeloupe en 1989, il se souvient des dégâts provoqués par ce cyclone, l’un des plus violents (avant Irma) qu'aient connu les Antilles depuis que des observations scientifiques sont réalisées. L'ouragan, de catégorie 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson, a tué plus de 100 personnes et fait 56000 sans abris dans les îles de Guadeloupe, Montserrat, Porto Rico, Sainte-Croix (Îles Vierges américaines) et dans les États américains de la Caroline du Sud et la Caroline du Nord. Les pointes de vent avaient atteint les 300 km/h. 
Thierry Lacourly répond à nos questions :

•  Finalement, la Guadeloupe a été épargnée par Irma. Vous devez respirer…

 Thierry Lacourly : En effet, la Guadeloupe a été épargnée. Nous avons eu de la houle, des pointes de vent et de la pluie, mais rien qui ne soit catastrophique. Par principe de précaution, les écoles ont été fermées ainsi que les commerces et les entreprises. Les habitants, dans le Nord de Grande-Terre, ont été privés d’électricité. Les autorités avaient pris les devants en ce qui concerne la Guadeloupe continentale.

•  C’est à partir de la Guadeloupe que s’organisent actuellement les secours ? 

J’habite Basse-Terre et j’ai vu ce matin un convoi de particuliers partir par voie maritime vers Saint-Martin pour apporter des vivres. Les élans de générosité sont nombreux et importants.
Que dire actuellement de la situation ? Compte-tenu des informations que le Gouvernement avait en sa possession, il aurait pu prendre les devants, bien avant l’arrivée d’Irma qui s’est abattue dans la nuit de lundi à mardi la semaine dernière. En haut lieu, a-t-on pensé qu’Irma allait changer de trajectoire ? Il est vrai que les cyclones peuvent se modifier en intensité.
Une chose me frappe : il y a quelques années, nous suivions l’évolution des phénomènes sur la Radio des Longitudes et de Latitudes. Aujourd’hui, les gens regardent les images de synthèse sur leurs tablettes. Fini le visuel réel que tu suivais sur la carte ! Ceci explique peut-être cela…
Cependant, je tire mon chapeau à la ministre des Outre-Mer, Annick Girardin, qui a pris ses bottes et elle est allée au charbon.

Thierry Lacourly était responsable de la Maison de Presse de Jonzac avant de s'installer aux Antilles
• Quelle est la situation sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy ? 

 La situation à Saint-Martin est préoccupante. On ne peut pas les joindre par téléphone et il n’y a pas d’électricité. Comme il a été dit à la télé, il y a des pillages. Certains volent les magasins pour organiser de futurs marchés noirs, l'électro-ménager par exemple. D’autres sont à la recherche de nourriture. Saint-Martin compte en effet un quartier qui abrite des familles défavorisées ; les gens se servent directement.
A Saint-Barthélemy, c’est différent sans doute parce que l’île est plus petite (moins de 10.000 habitants). De nombreuses constructions, solides, ont résisté. La vie va recommencer rapidement, le téléphone est rétabli, l’usine de désalement est en route. Ils ont retroussé leurs manches et des avions peuvent atterrir. Johnny Halliday et plusieurs autres artistes ont ouvert leurs villas pour abriter les personnes en difficulté. Bruno Magras, le patron de l’île et son équipe, prennent le taureau par les cornes.

Saint-Martin est grande comme la moitié de Paris et s'y trouvent deux parties, hollandaise et française. Y-a-t-il des différences ?

En effet, les situations y diffèrent même si les deux côtés ont été éprouvés par Irma. Dans la partie hollandaise, dès le lendemain du cyclone, les responsables ont réagi en envoyant une barge de débarquement avec coussins flottants et matériel militaire. Côté français, on a attendu le passage de José pour commencer à travailler. Il n’y a plus d’école et les gamins sont dans la rue, la plupart des enseignants étant rentrés en Guadeloupe. Quarante sont arrivés hier. L'attitude de la ministre Annick Girardin est à souligner ; elle fait vraiment des efforts et ne quittera les lieux que « quand les choses redémarreront » a-t-elle déclaré.
La réalité n’est pas plus réjouissante dans les îles Antigua-et-Barbuda. En Floride, sur ordre des autorités, les habitants sont partis et ils vont pouvoir rentrer chez eux. Aux Etats-Unis, l’état de catastrophe naturelle a été décrété aussitôt. Nous, nous avons dû attendre plusieurs jours. De nombreux habitants ne sont pas assurés et c’est le Fond d’aide de l’Etat qui devra les aider à reconstruire.

Un monstre !
• Actuellement, on pointe du doigt le réchauffement climatique. Qu’en pensez-vous ? 

Dans la région, nous sommes habitués aux périodes cycloniques de juin à fin octobre. En 1989, j’ai connu Hugo avec des vents très violents sur Grande-Terre. Basse-Terre où j’habite a été moins touchée. Face à ces événements, les constructions, soumises à certaines normes, sont plus solides. Les maisons en bois résistent bien, par exemple. Tout ce qui est en béton casse, tels le poteaux électriques. Dans les Caraïbes, les dangers ne viennent pas uniquement des cyclones ; s’y ajoutent l’activité volcanique et les tremblements de terre puisque nous sommes en zone sismique.
Pour être bien informé, je capte National Hurricane Center des Etats-Unis. Près de chez moi, il y a un particulier qui est chasseur de cyclones, il fournit plus d’infos que Météo-France ! D’après les observations qui ont été faites, selon la position du courant El Nino de l’autre côté du Mexique, des problèmes météorologiques graves peuvent se poser. En effet, le phénomène El Nino, qui se produit tous les 4 ou 5 ans avec une intensité variable, se traduit par une hausse de la température de l'Océan Pacifique, ce qui provoque des sécheresses et des précipitations supérieures à la normale. Le phénomène atteint en général son intensité maximale vers la fin de l'année (d’où son nom El Nino, qui signifie l'enfant Jésus en espagnol).
En ce qui concerne le réchauffement climatique et les émissions de CO2, le ministre de l'Ecologie, Nicolas Hulot, devrait venir en Guadeloupe : cette île serait un excellent endroit pour tester les véhicules électriques en raison des faibles distances à effectuer. Or, que voit-on ici ? Des grosses agences, Porsche, Renault, Toyota… Bref, les 4 x 4 sont légion ! Le groupe Hayot y est puissant.

• Les cyclones peuvent laisser des cicatrices. Comment avez-vous vécu Irma avec votre famille ? 

Ma femme est d’origine antillaise et dès qu'un cyclone est annoncé, elle est inquiète. Elle en a vécu de très violents, cinq environ, qu’elle a du mal à oublier. L’un d’eux, par exemple, avait emporté le toit du hangar où sa famille s’était réfugiée. Dans les Caraïbes, les tuiles sont rares ; les toits sont en tôle et quand ils s’envolent, ils deviennent des objets extrêmement tranchants. Son père l’avait sauvée de justesse. Depuis, elle a une philosophie : à l’approche des ouragans, elle place les vêtements et les papiers indispensables dans des sacs hermétiques pour qu’ils ne soient pas mouillés. Le reste ? Advienne que pourra. J’admire son détachement !
Comme je le disais tout à l’heure, nous avons également des menaces sismiques. Je suis abonné à l’Institut de Physique du Globe et dès qu’il y a un événement, nous sommes prévenus. Quand ça tremble aux Saintes, on le ressent parfois. Le matin, quand je vois de la fumée sortir de la Soufrière, je suis rassuré. Quand il n’y en aura plus, pourra se produire le phénomène de la cocotte-minute, signe de danger pour les populations…
A Montserrat, au large de Deshaies, le volcan est toujours en éruption. De 5000 habitants, cette île n’en compte plus que 500. C’était là que se trouvaient les studios d’enregistrement des chanteurs anglais et américains.

De gros dégâts à Saint-Martin et Saint-Barthélemy (image BFM TV). Transports aériens et bateaux (toutes les barges ont été réquisitionnées pour transporter des marchandises) 
partent de Guadeloupe d’où sont organisés les secours vers ces deux îles.
•  Victimes d’Irma, de nombreuses personnes vont-elles quitter les Caraïbes ? 

Il y en aura forcément. Où que tu sois dans le monde, se poseront des problèmes. Ici, il y a des cyclones, la Soufrière, des tremblements de terre. Mais tu n’es pas plus à l’abri en France ou en Espagne. Paris et Barcelone n’ont pas été épargnées par le terrorisme. Quand on se sent mal dans un lieu, il vaut mieux prendre ses affaires et s’en aller. C’est ce que disait mon père. Je remarque toutefois que les Antillais sont très fatalistes face aux événements. En fait, ils sont moins matérialistes que nous ; ils ont une approche positive de la vie que nous n’avons pas…

La période cyclonique s'étale de juin à octobre
Les limites de notre savoir scientifique ?

 • D’après l'Organisation Météorologique Mondiale, les « phénomènes extrêmes » sont « toujours d'actualité en 2017 », pire: « des études nouvellement publiées donnent à penser que le réchauffement des océans pourrait être encore plus prononcé qu'on ne le croyait ». Les données provisoires dont dispose l'ONU révèlent que le rythme d'accroissement des concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone (CO2) n'a aucunement ralenti. « Alors même que le puissant El Nino de 2016 s'est dissipé, nous assistons aujourd'hui à d'autres bouleversements dans le monde que nous sommes bien en peine d'élucider : nous touchons ici aux limites de notre savoir scientifique concernant le climat et nous avançons maintenant en territoire inconnu » a souligné le directeur du Programme mondial de recherche sur le climat David Carlson.

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