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mercredi 1 mars 2017

Les débuts du chemin de fer en Haute-Saintonge : Montendre évince Montguyon et Saint-Aigulin finit par s'imposer face à la Roche-Chalais !

Autrefois, pour aller à Bordeaux, les Jonzacais devaient se rendre à Libourne avant de prendre le bac à Saint-André !


Jeudi au théâtre du château, le Rotary de Haute Saintonge que préside Brigitte Vuillemin proposait une conférence animée par Jean-Claude Arrivé. Loin d’avoir pris le train en marche, il a conté, avec talent et humour, l’arrivée du chemin de fer dans la région. Les ancêtres de la future LGV - qui circulera à partir de juillet prochain entre Tours et Bordeaux - ne pouvaient que retenir son attention. Aux tout débuts, on était loin des pointes à 350 km/h que se permettent les nouvelles machines ! Il arrivait même que les voyageurs soient obligés de descendre pour que le « tortillard » puisse monter les côtes. Il faut dire qu’à cette époque, les voyageurs étaient moins pressés qu'aujourd'hui !

Passionné de généalogie, Jean-Claude Arrivé s'intéresse à l'histoire de la région, 
en particulier les XIXe et XXe siècles
Le XIXe est le siècle du progrès et de l’industrialisation. Parmi les nouvelles “technologies” de l’époque, le train, par sa capacité à transporter les voyageurs dans des conditions plus agréables et rapides que la diligence, est l’une des avancées majeures. En facilitant les échanges, il a permis aux régions de s’ouvrir, donc d’évoluer et de développer leurs activités économiques.

La Charente Inférieure a, bien entendu, connu cette émancipation quand Louis Philippe a pris la décision de mailler le territoire. Pour y parvenir, le principe est simple. L’Etat achète les terrains ; les compagnies privées créent les voies ferrées, les posent et financent la construction des stations. Ces sociétés sont au nombre de cinq, desservant le Nord du pays, l’Est, Paris Lyon Marseille (PLM), le Midi et Paris-Orléans. La compagnie des frères Péreire, par exemple, est à l’origine de la ligne Bordeaux-la Teste en 1841. Arcachon suit dans la foulée. Cette opportunité est une aubaine pour le développement des “bains de mer”. On imagine facilement l’excitation des Bordelais qui vivaient là un merveilleux dépaysement  !

Saint-Aigulin, la pionnière du Sud Saintonge !


Dans notre département, la ligne Paris-Orléans-Bordeaux suscite des commentaires. Quatre tracés sont proposés dont l’un est retenu. Il passe par Chalais et continue jusqu’à Coutras. M. Gast, maire de Saint-Aigulin, s’en émeut : son souhait ardent serait que le train fasse étape dans sa commune, au lieu de la Roche-Chalais. Une délibération du conseil municipal est prise en ce sens où sont vantés tous les mérites économiques du secteur ( verrerie, tannerie, commerce des eaux de vie, des écorces de pin, tuileries, faïencerie). Par ailleurs, un itinéraire par la Dordogne serait onéreux en raison du franchissement de l’Isle où un ouvrage d’art serait nécessaire.
Finalement, le premier magistrat obtient gain de cause et six kilomètres de voies ferrées traversent la Charente Inférieure. La station de Saint-Aigulin voit le jour en 1852, devançant celles de la Rochelle (1857), Rochefort et Saintes (1867).

L’arrivée du train dans la Double crée une véritable effervescence. Imaginez une zone rurale repliée sur elle-même qui, subitement, s’ouvre sur l’extérieur ! « Ce fut un événement sans précédent » souligne Jean-Claude Arrivé, d’autant que des travaux, résulte un apport conséquent de population. Ayant du mal à « maintenir l’ordre troublé par les ouvriers du chantier et les vagabonds », le maire poursuit sur sa lancée en demandant l’implantation d’une gendarmerie. Elle sera réalisée, après une longue attente...
Le jour de l’inauguration de la ligne, personnalités éminentes et presse sont présentes pour relater l’événement. Le moment est historique. L’un des journalistes, parti d’Angoulême, ne tarit pas d’éloge sur cette « merveille ». 

Un réel désagrément vient néanmoins ternir le bonheur ambiant. Saint-Aigulin a bien une gare mais la station, qui devait se trouver à la Roche-Chalais, en garde le nom. En conséquence, elle ne porte pas le nom de Saint-Aigulin - ce qui serait logique - mais la Roche-Chalais ! S’en suit une confusion chez les utilisateurs qui descendent à Saint-Aigulin, en pleine campagne, croyant se trouver dans la bourgade voisine, située à quelques kilomètres. Irrité, le nouveau premier magistrat, M. Bourdier, entreprend des démarches au près de l’Administration. En 1852, la venue du futur empereur Louis Napoléon Bonaparte, ne change rien à la situation. Certes, il se fait acclamer - c’est le but de son déplacement ! - mais il reste sur ses positions : « La Roche-Chalais aura l’honneur et Saint-Aigulin le profit » dit-il à l’élu qui sait désormais à quoi s’en tenir. Les choses ne bougeront qu’en 1889 par un compromis : la station s’appelle “Saint-Aigulin au bout de la Roche-Chalais”. Vous saisissez la subtilité !

Par Jonzac et Montendre

La gare de Montendre
L'avenue de la gare a bien changé !
Le « mouvement ferroviaire » est donc lancé et 25 lignes sont déclarées d’utilité publique. L’une d’elles, la ligne Nantes-Coutras, concerne Pons et Jonzac en direction de Bordeaux. Si un accord quant au tracé est obtenu entre Saintes et Pons, les discussions sont vives entre Pons et Jonzac. Le climat entre les pour et les contre se tend ! Si le train passe par Montlieu et Montguyon, il traversera de nombreuses localités. S’il se dirige vers Montendre, par contre, « il se jettera dans des landes et les zones inhabitées». Au sein de la commission d’enquête, les maires de Jonzac et Mongtuyon font entendre leurs voix. La population est également invitée à se prononcer. Chacun joue de ses influences et relations...
Finalement, malgré des arguments intéressants, Mongtuyon (qui adresse une pétition au Préfet) s’incline devant Montendre. La raison de ce choix ? Le trajet est plus court. Le train ira ensuite à Saint-Mariens et franchira la Dordogne à Saint-André de Cubzac où le grand Gaston Eiffel va construire un pont. Le chantier est lancé.
Le train, qui arrive en gare de Jonzac en 1870, facilite la vie de Saintongeais. Autrefois, pour aller à Bordeaux, ils devaient se rendre à Libourne avant de prendre le bac à Saint-André ! La gare de Montendre, quant à elle, est inaugurée en 1871.

La gare de Jonzac

Vers 1885, l’autre facette de cette “révolution” est la création de lignes secondaires, à petit écartement (un mètre), qui desservent campagne et grosses bourgades. Le chemin de fer dit “économique” est encore dans les mémoires et la présence d’anciennes gares (Jussas, Tugéras, Coux, etc) éveille moult souvenirs. Pratique mais rustique, on le prenait pour se rendre à la foire, au marché, chez des cousins. Qu’importe l’exactitude des horaires, les voyageurs savaient à quoi s'attendre ! Il était géré par une structure départementale.

La gare de Saint-Mariens
Prendre le train en marche

Parce qu’il est accessible, le train bouleverse les habitudes. Les stations comprennent en général une gare et un logement, c’est là que s’effectue la vente des billets. S’y ajoutent les haltes qui possèdent des bâtiments (parfois rudimentaires) où les voyageurs attendent et les arrêts, très nombreux, symbolisés par un poteau et une croix. Détail qui a son importance, chaque compagnie est priée de n’utiliser que ses propres stations ! Quand plusieurs sont en rivalité dans une ville, il faut être vigilant ! Cette complexité cessera avec la création de la SNCF en 1937. A cette période, la plupart des sociétés privées ayant investi dans le département ont fait faillite.
Les lignes de chemins de fer « secondaires » suscitent des tensions, elles aussi. A Saint-Martin d’Ary, sur la ligne Mirambeau Saint-Aigulin, la compagnie veut que la station s’appelle Montguyon, d’où des accrochages liés aux susceptibilités. Un arrangement est trouvé en réunissant les deux noms.
Les anecdotes liées à l’arrivée du train ne manquent pas. Il va sans dire que tout n’est pas parfait. Déjà, les voyageurs se plaignent du retard, mais il n’est pas question de dédommagement.
La ligne Jonzac-Archiac est l’une des dernières à voir le jour en Saintonge. Après d’âpres discussions, l’itinéraire, qui passe près de l’actuel magasin But (Jonzac), la Cheminaderie, chez Suire, chez Piaud, Champagnac, Réaux, Allas-Champagne, est retenu. Ce train a une belle importance dans la vie des habitants. Malgré un confort spartiate, il permet aux gens de se déplacer librement. Toutefois, il est loin d’être performant : « Pour aller à Réaux, je vais plus vite en vélo » admet un usager.
Peu à peu, ‘l’économique” est l’objet de railleries et les mots le qualifiant (tacot, tortillard) sont révélateurs. Parfois dans les côtes, les passagers descendent pour qu’il continue à avancer. Sur l’instant, ce peut être drôle. A la longue, les gens se lassent. Il disparaîtra en 1934 pour les voyageurs et quatre ans plus tard pour les marchandises.

La ligne de chemin de fer économique de Thénac. La CFD (chemin de fer départemental) était
 l’objet de railleries, on l’appelait la « compagnie foutue d’avance » !
Après la guerre 14-18, l’automobile va devenir la principale rivale du train. Non pas sur les grandes lignes qui restent compétitives (et sûres) pour l’usager, mais sur les trajets plus courts. Les bus, quant à eux, sont bien utiles dans les communes. Dans la seconde moitié du XXe siècle, le train à grande vitesse fait son apparition (on est loin des machines à vapeur !) et le trajet Angoulême-Paris s'effectue en quelques heures. En juillet prochain, le “Tours-Bordeaux” se fera en deux heures !

Quand on prend place dans le compartiment confortable d’un TGV, on a rarement une pensée émue pour son ancêtre qui sifflait dans la campagne. Le charbon, la loco, les gerbes de fumée, images du temps d’avant. Que de chemin parcouru ! L’aspect “folklorique” a disparu et pour se faire une idée de ce que pouvait être cet « ancêtre », il suffit de penser à l’Amérique du Sud ou l’Asie où circulent encore des trains qui suscitent une émotion certaine.

Conférence au théâtre du château
De nos jours, l’automobile est remise en cause comme le fut le cas pour le chemin de fer économique. Les rejets en gaz carbonique contribuent au réchauffement de la planète et la sonnette d’alarme est tirée quant à la pollution. Les hommes, forts de leur imagination fertile, sauront bien inventer d’autres moyens de locomotion, moins nocifs pour l'environnement. Pour l‘instant, ils misent sur les voitures électriques et parlent de transition énergétique.
Tout au long de l’histoire, l’intelligence humaine a été symbole de progrès. Pourtant, comme le souligne l’astrophysicien Hubert Reeves, « elle peut être un cadeau empoisonné ». Face à cette réalité, le train a un vrai rôle à jouer et ses records de vitesse s'améliorent depuis des décennies. A l’ère de l’auto, très individualiste, pourrait succéder celle du rail, qui sait ? Ce serait un juste retour des choses !

Brigitte Vuillemin félicite Jean-Claude Arrivé. L’arrière grand-père maternel du conférencier était garde-barrière à Corignac, au lieudit Trignac sur la ligne Montendre-Bussac-Forêt.
Une belle découverte 
 
Le train a été inventé en Angleterre par des ingénieurs qui travaillaient à l’amélioration du transport des minerais. Les premières traverses étaient en bois puis l’on opta pour le fer, plus solide, d’où le terme “chemin de fer”.
Leur écartement est de 1,435 m. (70% des pays ont adopté cette mesure). Le premier train de l’histoire roulait à 5 km/h et le chauffeur, dit-on, marchait à côté de la locomotive !

Au départ, les Romains...

La région est traversée par d’anciennes voies romaines dont l’une, en Haute-Saintonge, est située sur la commune de Neuillac où la CDCHS l’a mise en valeur. A l’époque médiévale, ces mêmes chemins furent empruntés par les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle et plus tard, à partir du XVIIe, par les diligences. De tous temps, ils servirent au transport des marchandises et au déplacement des voyageurs. Selon les cartes de Cassini (XVIIIe), les axes principaux étaient “la voie royale” qui correspond à l’actuelle RN 10, la voie Bordeaux/Saint-Malo et celle reliant Barbezieux (zone très active qui exportait ses produits en Flandre et en Angleterre) jusqu’à Port Maubert. Avant l’arrivée du chemin de fer, les ports de l’Estuaire de la Gironde, tels que Mortagne, Blaye ou Port Maubert, connaissaient une activité importante.

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