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jeudi 26 janvier 2017

Tribunal de Commerce de Saintes : « Nous ne subsistons que par le simple fait que les moyens manquent pour remplacer les 3200 juges bénévoles » remarque le président Tevels

L'audience solennelle de rentrée du Tribunal de Commerce avait lieu mercredi 18 janvier. Cette rencontre annuelle, qui est l’occasion d’échanger des vœux, permet de prendre la température du territoire. La Saintonge est frappée par la crise, Saintes en particulier avec la fin de Saintronic et le départ du siège du Crédit Agricole. L’ambiance s’en ressent : les ouvertures de commerces sont en régression tandis que les radiations d’auto-entreprises sont en forte progression.


Roland Tevels présentait ses vœux pour la dernière fois à l'assemblée et pour cause, il devra céder sa place de président l’an prochain (à Janik Martin ?). C’est avec un plaisir particulier qu’il a accueilli un nouveau juge consulaire. Originaire du Maine et Loire, André Cordier a longtemps travaillé dans la grande distribution, Meschers et Saujon. Retraité, il accompagne un chef d’entreprise dans la création d’un Super U à Saint-Rogatien. Un homme d’expérience en conséquence à qui l’on demande, comme à ses autres collègues, « indépendance et impartialité, les décisions devant être exemptes de toute influence ».

Suit l’activité de la juridiction durant l’année écoulée. Janick Martin est chargé de la prévention des difficultés des entreprises. La spécificité du tribunal de Saintes est d’avoir créé une cellule d’écoute pour les chefs d’entreprise : 78 entretiens ont eu lieu en 2016, nombre inférieur à l’an dernier. L’objectif est faire prendre conscience au dirigeant ou à l’artisan de sa situation, puis de l’amener à prendre des mesures de redressement, par lui-même ou la voie de la conciliation, la médiation ou la sauvegarde. Le tribunal a assuré 32 rendez-vous spontanés « ce qui constitue une première et démontre que le bouche à oreille fonctionne ». « Nous sommes attentifs à la santé morale et psychologique de nos interlocuteurs » souligne Yanick Martin qui s’appuie sur l’association Apesa (aide psychologique des entrepreneurs en souffrance aigüe).
Dans le domaine des règlements de contentieux commerciaux, « le nombre d’affaires est en baisse depuis trois ans, la conjoncture économique, compliquée, en étant la cause » constate Dominique Amblard.
Présentées par Jean-François Raimbault, les procédures collectives enregistrent, elles aussi, une forte chute : en 2016, 223 ouvertures ont eu lieu (-16% par rapport à 2015 et - 13% par rapport à la moyenne des dix dernières années). La procédure de sauvegarde est en baisse de 56% par rapport à 2016. « En 2010, le tribunal de Saintes était celui qui a ouvert le plus grand nombre de procédures de sauvegarde de toute la France » rappelle Jean-François Raimbault. Les procédures de redressement judiciaire baissent de 34% ; par contre, les liquidations judiciaires sont en hausse de 7% par rapport aux dix dernières années. Les procédures simplifiées représentent 71% de l’ensemble de procédures judiciaires. La majorité des défaillances touche les petites entreprises, ce qui impacte directement l’emploi.

André Cordier, nouveau juge consulaire
 Transformer les tribunaux de commerce en tribunaux économiques ?

« Ces rapports font ressortir une baisse de l’activité de notre tribunal pour la seconde année. Il en est de même au niveau national. Globalement, elle régresse de 15%. Nous osons espérer qu'elle traduit une amélioration de notre économie » enchaîne Roland Tevels. 
2016 a été clôturée par la loi sur la justice du XXIe siècle qui ne satisfait guère le président : « en ce qui nous concerne, le texte affaiblit l’institution. Une transformation des tribunaux de commerce en tribunaux économiques regroupant tout ce qui concerne l’économie, ouverts à d’autres professions aujourd’hui jugées dans les TGI, eut été une réforme d‘ampleur. Nous ne subsistons que par le simple fait que les moyens manquent pour remplacer les 3200 juges bénévoles ! ».
Le problème de tribunaux de commerce est connu : leurs juges ne sortent pas de l’Ecole de la Magistrature, même s’ils y suivent des formations. Etendre leurs compétences serait admettre qu’un grand nombre de corporations puissent être jugées par leurs pairs : c’est là que le bât blesse. Et pourtant, ils ont un atout : « nous fonctionnons sur le bénévolat et pratiquement sans budget ; nous n’aurions entraîné aucune dépense supplémentaire ». Le Sénat semblait avoir été sensible à ces arguments, mais il n’est pas allé plus loin.
S’y ajoutent des problèmes purement internes : l’âge des juges consulaires est limité à 75 ans et ils ne peuvent exercer plus de quatorze ans dans le même tribunal. « Au moment où ils deviennent expérimentés, on leur demande de s’en aller. Ceci est un moyen pour limiter la compétence des juges de commerce ! » déplore Roland Tevels. Son grand regret est l’absence de véritable statut du juge consulaire. « Notre efficacité n'est pas en cause, la durée des affaires terminées est de 5,3 mois, inférieure à toutes les autres juridictions »…


« Quelle leçon tirer des 5 ans passés à vos côtés ? »

Telle est la question posée par Philippe Coindeau, procureur, qui s’apprête à quitter Saintes également. « Un constat, je n’ai jamais relevé, à peine une fois, une décision rendue par ce tribunal. Cela ne veut pas dire que j’ai toujours été en accord avec vous !» dit-il à Roland Tevels. Il salua la responsabilité des juges consulaires qui travaillent dans la transparence. « Le rôle du Ministère public n’est pas d’imposer son point de vue. Il porte une voix singulière, celle de la société dont il est l’avocat. Il existe un rapport de confiance entre le procureur et les juges ».
Il souligna le rôle de l’Apesa, association qui accompagne les chefs d'entreprise confrontés à de graves problèmes économiques. Cette approche humaniste est imitée en France par d'autres tribunaux : « Aurait-elle pu naître ailleurs qu'ici ? A mon sens, non ! ». Le tribunal de commerce de Saintes est animé par des hommes et des femmes attachés à l’esprit de la loi tout en respectant l’humain, tout simplement. On comprend pourquoi il privilégie le recours à la médiation qui constitue « la meilleure issue possible ».
Et le procureur de rendre hommage à Gérard Saliba qui veilla longtemps sur cette instance, « impliqué sans être partial, investi sans perdre son indépendance ».

Philippe Condreau, procureur, quittera Saintes cette année. Il ignore 
quelle sera sa prochaine affectation
Les inquiétudes des avocats

Pour Nadine Filloux, bâtonnier, 2016 a été une année de transition avec l’application de loi Macron « dont on ne connaît pas tous les effets ». Désormais, les avocats peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et postuler devant l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d’appel (où ils ont établi leur résidence professionnelle). Plus de mobilité : des rivalités ne risquent-elles pas d’apparaître ? Par ailleurs, depuis le 1er janvier, le divorce par consentement mutuel sans juge est en vigueur : « il convient de faire vivre ce dispositif, le jugement étant mis en place par un acte d’avocat ».
Parmi les questions actuelles, figurent les aides juridictionnelles ; la réforme de la carte judiciaire qui est en train de renaître ; l’installation de juridictions spécialisées ; la déjudiciarisation qui conforte les modes alternatifs (médiation, conciliation). « Nous ne sommes pas opposés à ces mesures, nous y participons déjà, mais des inquiétudes demeurent. L’activité des tribunaux peut de s’en ressentir ». Moins de procès, moins d’affaires et donc moins de plaidoiries. « Les avocats sont là pour assister leurs clients, les aider, les conseiller. Peut-on accepter qu’ils soient réduits au silence, qu’ils soient les spectateurs de ce qui se déroule sous leurs yeux ? Nous serons vigilants » conclut le bâtonnier…

Me Nadine Filloux, bâtonnier et son successeur Me Philippe Callaud
• Roland Tevels a remercié le procureur Philippe Coindreau pour son action auprès des juges consulaires, les greffiers M. et Mme Binnié et le personnel du tribunal de commerce. 

• Pas d’accord ! Me Nadine Filloux, bâtonnier de Saintes, a opposé un refus catégorique à une expérimentation réduite, dans le cadre de la mise en place des modes alternatifs de règlement des différends (MARD), d’une conciliation sur quelques cas d’opposition à injection de payer. Roland Tevels comprend mal son attitude…

• Le constat classique de l'encombrement de la justice, la durée excessive des procédures et la nécessité de plus en plus pressante de réduire la dépense publique contribuent au succès grandissant de la déjudiciarisation. Le divorce par consentement mutuel sans juge va dans ce sens.

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