Savez-vous que le bar de l'Arc de Triomphe, cher à Thierry Landry, autrefois auberge, a reçu un personnage célèbre au XIXe siècle, Prosper Mérimée. L'inspecteur général des Monuments Historiques sauva l'Arc romain de Germanicus d'une destruction annoncée. Et ce ne fut pas facile car la municipalité de l'époque n'avait que faire de ces vestiges. Pire, un élu voulait envoyer quelques gaillards pour assurer à grands coups de pic la parfaite impossibilité de réparer le monument, pourtant témoignage de la grande Médiolanum Santonum...
L'Arc de triomphe de Saintes (© Nicole Bertin) |
Quel dommage de n'avoir pu conserver ce pont... |
Sans donner de leçons (pour ce faire, on peut se reporter à mes chroniques publiées dans les pages Facebook |Didier Catineau| |Grognon à Saintes| |Le Chat Saintais|), je pense du fond du cœur que la lecture attentive de ce qui suit (extraits de lettres, de décisions municipales, réactions de Saintongeais) permettra de comprendre le sens profond de mon « combat actuel » : celui du refus et du rejet absolu de la péniche à Saintes !
Un peu d'histoire : Le lit de la Charente s'est élargi au cours des siècles. Ainsi, au Moyen Âge, on dut prolonger vers l'est le pont qui reliait les deux rives du fleuve. L'arc, initialement sur la berge, se retrouva sur le pont. Comme c'en était la tradition aux temps médiévaux et classiques, ce pont était fort encombré. On y trouvait des moulins, des chapelles, des tours... et l'arc. En 1840, la municipalité de Saintes décida de détruire le pont. Que faire de l'arc ?
• Prosper Mérimée, inspecteur général des Monuments historiques, écrit à son ami et président de la Commission, Ludovic Vitet, une lettre datée du 28 juillet 1840 : « J'ai trouvé ici l'arc romain horriblement déjeté. Il s'est affaissé d'une façon notable depuis mon passage à Saintes, et je crains fort qu'il ne tombe dans la Charente lorsqu'on détruira le vieux pont qui sert d'arc butant. Un architecte qu'on n'a pu me nommer a offert au Conseil municipal de restaurer et de redresser l'arc au moyen d'un procédé analogue à celui dont on s'est servi au Conservatoire des arts et métiers, avec une armature en fer appliquée au rouge et solidement fixée, laquelle en se refroidissant doit serrer les pierres disjointes. Je verrai demain ce projet que je ne comprends guère et que le sous-préfet ne m'a pas trop clairement expliqué ».
Lorsqu''il repasse à Saintes en septembre 1844, Mérimée y est attendu « comme un proconsul dans une province romaine ». Il écrit une nouvelle lettre à Ludovic Vitet pour lui exposer les tenants et les aboutissants de ce problème d'arc et de pont qui tient la ville de Saintes en haleine depuis plusieurs années. Même si la relation de Mérimée est parfois un peu embrouillée, on finit par comprendre le nœud du problème, qui est en fait de nature commerciale.
L'ancien pont dessert le faubourg de Saint-Palaye. La route qui passe sur le pont (et donc sous l'arc - qui lui-même se dresse sur le pont) se prolonge dans le faubourg - en ligne droite. Au fil des siècles, cette voie de passage a créé une véritable artère commerciale où tous les corps de métier ont installé leur échoppe et où de belles bâtisses ont été construites pour les bourgeois de la ville. Détruire le pont jusqu'à la partie qui soutient l'arc et en reconstruire un autre cent mètres plus loin (distance donnée par Mérimée lui-même), c'est mettre à bas tout cet édifice commercial et social fondé sur... la ligne droite. C'est ruiner le commerce et la vie des habitants du quartier ! C'est vouloir la mort du bourg de Saint-Palaye ! Sur pression insistante de tous les artisans de Saint-Palaye regroupés en véritable "lobby", la municipalité propose de construire une passerelle devant l'arc pour remplacer l'ancien pont. Fureur et refus indigné de Prosper Mérimée pour qui cette passerelle, avec ses hauts piliers et ses éléments métalliques, constituera une véritable insulte au monument antique !
La Commission campe donc sur sa position : l'ancien pont sera détruit, sauf la partie près de la berge qui soutient l'arc, et un autre pont sera construit, faisant de ce fait dériver la route. Pas de passerelle butant sur l'arc. Rappelons que, pendant ce temps-là, des travaux d'ingénierie - aux frais de la Commission - sont en cours pour démonter l'arc pierre par pierre et le remonter tout près, sur la terre ferme. Dans une réunion animée avec Prosper Mérimée, le maire de Saintes défend l'intérêt de ses concitoyens. Il veut une passerelle car il refuse toute dérivation de la route. Les arguments de l'écrivain sur un transfert possible du commerce d'une zone dans une autre n'arrivent pas à le fléchir : « (...) il me répondait : « la ligne droite ! la ligne droite !». Excédé, le maire finit par mettre sa démission dans la balance.
Enfin, Mérimée rencontre l'ingénieur de la ville, un certain Forestier, auteur du projet de la passerelle.
Celui-ci propose de changer l'arc de place ou de, seulement, opérer sa conversion, c'est-à-dire que l'arc se trouverait sur l'axe de ladite passerelle. Mérimée s'y oppose en évoquant des considérations archéologiques. L'arc portant l'inscription latine : «AD CONFLUENTEM», on se devait de l'installer tout près du fleuve. De même les générations futures jugeraient du travail accompli, des choix pris ; on ne pouvait donc pas faire n'importe quoi.
Bras de fer entre le maire de Saintes et Prosper Mérimée
Mérimée poursuit : « Entre l'existence de l'arc et celle de la passerelle, il y a pour moi une différence d'intérêt immense. Périsse plutôt la passerelle que l'arc ! Nous avons soutenu chacun notre dire avec assez de vivacité, et, comme vous le pensez bien, je suis resté inébranlable comme un roc. Il m'a dépeint avec beaucoup de poésie, toute une ville en alarmes, l'indignation qui retomberait sur moi, les colères de la presse, c'est le grand cheval de bataille aujourd'hui ».
On comprend dans la suite du texte que le Ministère, sur proposition de Mérimée, a désigné un endroit précis pour reconstruire l'arc (en fait non loin de son endroit d'origine) et qu'un ingénieur est chargé de le faire démonter pierre par pierre.
Un peu plus loin, Mérimée écrit : « Si nous nous soumettons à déloger pour le plus grand plaisir des épiciers du faubourg de St Palaye, nous proclamons que les monuments historiques doivent baisser pavillon devant le moindre établissement d'utilité publique ou soi disant telle. Tranchons le mot, nous confessons la vanité de notre mission et nous ne méritons plus que les chambres s'occupent de nous.
À ces causes, mon cher Président, je remets entre vos mains celle de l'arc de Saintes.
Représentez à Monsieur le Ministre qu'il vaut mieux qu'une douzaine de marchands de sabots se déplacent qu'un beau monument romain ; que dans un an d'ici personne ne pensera plus à la passerelle ; et que le maire donnât-il sa démission, la ville de Saintes n'en mourra pas.
J'oubliais de vous dire qu'on a fait quelques menaces contre les pierres de l'arc romain. Un conseiller municipal a dit que s'il était maire, il chargerait quatre gaillards d'assurer à grands coups de pic la parfaite impossibilité de réparer le monument, qui privera la ville d'une passerelle. La menace est un mouvement de rhétorique, mais je ne serais pas surpris qu'on essayât de l'exécuter. Je ne le serais guère non plus d'attraper une bonne raclée demain en traversant le faubourg pour retourner à Niort. »
Le soir même, une députation d'une vingtaine de commerçants du faubourg de Saint-Palaye vint trouver Mérimée dans sa chambre d'hôtel pour réclamer la passerelle. Manœuvres d'intimidation à l'appui. Tous se plaignent qu'ils ont déjà perdu gros et prétendent que, sans la passerelle, le quartier est ruiné. « J'ai perdu 30.000 francs! et 20 autres voix répondaient : Et moi donc ! ». À cet endroit du récit, on en déduit que les travaux sur l'ancien pont ont fait fermer toute circulation et que l'artère commerciale du faubourg a commencé à pâtir de la disparition de la fameuse ligne droite.
Prosper Mérimée rapporte : « Acculé dans mon coin, j'ai commencé par leur dire que je n'avais pas mission pour les écouter, et que je n'étais à Saintes que pour une question d'art, sur laquelle je serais enchanté d'avoir leur avis, mais que je faisais profession de conserver les vieux monuments et non d'en faire de neufs. Puis je leur ai fait une belle parabole pour leur prouver que tous les quartiers de Saintes ne pouvaient prospérer à la fois. Ils l'ont comprise, mais en déclarant qu'ils voudraient que ce fût le quartier de St Palaye qui prospérât. Un teinturier que j'ai reconnu à ses mains glauques, s'est alors emporté contre l'arc, mais ses collègues l'ont fait taire aussitôt, et ont protesté qu'ils vénéraient les monuments historiques (...) ». La discussion dura une heure.
Finalement, la députation s'en alla, sans heurts. Pendant ce temps, Eugène Viollet le Duc et l'architecte chargé des travaux sur l'arc « étaient dans une chambre à côté à rire comme des fous ».
Le bouquet surgit à la fin de la lettre. Mérimée termine sur l'affaire de Saintes à l'adresse de Ludovic Vitet : « Hier, j'ai oublié de vous conter un mot sublime du maire. Son projet était de placer l'arc sur une hauteur, à l'extrémité du cours royal, à l'embranchement de la route de Bordeaux et de celle de la Rochelle.
- Mais, lui dis-je, Monsieur, l'inscription qu'en ferez-vous ? Elle mentionne que le monument a été construit au bord de la Charente.
- L'inscription ? Monsieur, nous la changerons ».
Gravure ancienne |
Au XIXe siècle, ceux qui avaient déjà senti toute la valeur du patrimoine français eurent à batailler pendant des décennies pour arriver à changer la mentalité de ce que nous appelons aujourd'hui la France profonde...
En 1840, l'arc romain de Saintes est menacé par la destruction du pont du XIIIe siècle dont une partie lui sert de contrefort. En 1843, la Commission accorde une subvention pour son démontage et sa reconstruction à son emplacement d'origine et l'architecte Clerget est chargé des travaux qui commencent aussitôt. Mais, en 1844, la municipalité décide la construction d'une passerelle suspendue sur les amorces du pont médiéval, « paravent horrible, qui masquait l'arc » écrit Mérimée qui est fortement opposé au projet : « périsse plutôt la passerelle que l'arc ».
Il se rend à Saintes en septembre 1844, y rencontre le préfet et les autorités locales. Les discussions sont vives, le maire défend la passerelle pour la prospérité du faubourg de Saint-Palaye et menace de démissionner. Une délégation des habitants du quartier attend Mérimée à son auberge. Il reste sur ses positions : « Jamais je ne donnerai un avis favorable à cette demande. Dans mon opinion, il vaudrait mieux laisser l'arc à terre que de le masquer par une passerelle ».
L'arc est sauvé mais déplacé et remonté aux frais de l'État sur le quai. Ce nouvel emplacement lui a fait perdre sa fonction d'arc triomphal et son impact sur le paysage. Il fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques par arrêté du 5 juillet 1905 et devient la propriété de la ville de Saintes.
Coupe du pont antique (Archives Nationales) |
Source : « La naissance des Monuments historiques la correspondance de Prosper Mérimée avec Ludovic Vitet (1840-1848) », Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, Ministère de l'Éducation nationale.
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