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lundi 26 octobre 2015

Prison de Saint Martin de Ré :
Les préconisations du député Olivier Falorni pour éviter la radicalisation
en milieu carcéral

« En recoupant différents témoignages, j’ai entendu de fortes préoccupations face à la montée de l’islam radical et j’ai appris que ce "casino" fait régulièrement office de mosquée clandestine salafiste malgré la vigilance des gardiens » constate le parlementaire rochelais.

•  Rapport du député de Charente-Maritime Olivier Falorni, faisant suite à la visite de la Maison centrale de Saint-Martin de Ré pour laquelle il fait un certain nombre de préconisations pour éviter la radicalisation en milieu carcéral dont la mise en place d’un véritable service de renseignement pénitentiaire, isoler individuellement les détenus radicalisés recruteurs et la création d’unités de déradicalisation.

« Le 3 décembre dernier, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes qui proposait d’examiner l’adéquation de la réponse publique à la menace terroriste. J’en ai été nommé secrétaire.
Les attentats qui ont frappé la France depuis sont venus dramatiquement rappeler la gravité de la menace qui pesait sur nos concitoyens. Perpétrés par des terroristes qui se sont radicalisés pendant leur séjour en prison, la question de la montée de l’islamisme radical en milieu carcéral a été une de mes préoccupations.
C’est dans ce contexte que la commission a conduit ses travaux : près de quatre-vingt-dix auditions et plusieurs déplacements en France et en Europe lui ont permis de prendre la mesure de la menace et de la nécessité de renforcer les moyens et les prérogatives juridiques des acteurs de la lutte contre le terrorisme djihadiste et la radicalisation.
Aujourd’hui, Les filières djihadistes françaises comptent 1.700 personnes dont 500 à 600 sont déjà sur place en Syrie ou en Irak. Lors des dernières frappes de la France en Syrie, six ressortissants français ont péri.
C’est dans la continuité de mes travaux au sein de la commission, et au regard de l’article 719 du Code de procédure pénale, que je me suis rendu à la maison centrale de Saint-Martin de Ré vendredi 2 octobre.

Les conditions de la visite

La maison centrale de Saint-Martin de Ré est constituée de deux implantations séparées de quelques centaines de mètres : la Citadelle, ancienne fortification d’une superficie de 35.000m2 qui recevait jusqu’en 1938 les condamnés aux travaux forcés avant leur transfert vers le bagne de Guyane, et la Caserne qui logeait les troupes chargées de l’encadrement des bagnards, d’une superficie de 46.600m2. C’est dans ce quartier que se situent des préfabriqués baptisés « casinos ». Tous les services administratifs sont communs et situés à la Citadelle.
Je suis arrivé à la Caserne à 10 heures. S’agissant d’une visite impromptue, je me suis présenté à l’agent pénitentiaire de garde. Celui-ci m’a indiqué prévenir sa hiérarchie qui est arrivée quelques minutes plus tard en la personne de l’adjoint chef de détention.
Je me suis entretenu avec cet agent une dizaine de minutes pour lui expliquer l’objet de ma visite. Il consiste en premier lieu à souligner le difficile travail qu’exercent les agents pénitentiaires, mais aussi de m’assurer qu’aucun lieu de la Caserne ne soit une zone de non-droit où les représentants de l’ordre ne pourraient intervenir.
Le Directeur du quartier citadelle nous a rejoints avant de pénétrer à l’intérieur de la Caserne.

La prison de Saint-Martin de Ré en Charente-Maritime

Le parcours de la visite

L’accès à la Caserne se fait par un sas piéton qui comporte un portique de détection métallique et un tunnel à rayons x. Après avoir longé les unités de visite familiale, nous nous sommes rendus au quartier de détention. J’ai visité une cellule vide réservée aux nouveaux arrivants, puis une cellule occupée mais vide de son locataire.
A cette occasion, je me suis entretenu avec le Directeur de la Citadelle sur la procédure d’affectation en détention et sur les conditions de détection de signes de radicalisation des nouveaux arrivants. Le passage par la maison centrale de Saint-Martin n’étant qu’une étape dans le parcours carcéral des détenus, leur dossier est donc connu avant leur arrivée sur l’île. Il n’existe pas de quartier réservé aux individus radicalisés à la maison centrale de Saint-Martin de Ré.
Puis nous nous sommes déplacés à l’extérieur, vers l’espace de promenade. Il comporte un terrain de football enherbé, un terrain multisports en enrobé, une salle de musculation et deux ensembles préfabriqués appelés « les casinos ».
Sur les 7 que compte la cour, nous sommes rentrés dans 2 « casinos », le 3 et le 1.
Le 3 était inoccupé, alors que le 1 abritait quelques détenus des communautés basque, haïtienne et bretonne.
Puis, nous avons effectué le parcours inverse pour regagner l’extérieur de la maison centrale. Sur l’ensemble de ma visite, les « casinos » ont particulièrement attiré mon attention.

Les constats

En dehors du travail, des activités éducatives, socio-culturelles et sportives, les détenus de la Caserne ont la possibilité de passer du temps dans les « casinos », situées dans la cour de promenade. Historiquement, ces baraques abritaient les lieux d’audience pour le personnel d’insertion et de probation. Puis, elles ont accueilli la bibliothèque avant son emménagement dans le bâtiment principal.
Il existe ainsi sept « casinos », qui fonctionnent selon les affinités ou plus souvent en fonction de communautés. Musulmans, Haïtiens, Basques, etc., disposent chacun de leurs locaux. Dans celui que se sont réservés les musulmans, le troisième, j’ai découvert une affiche à caractère islamiste que le surveillant pénitentiaire a aussitôt arrachée. En recoupant différents témoignages, j’ai entendu de fortes préoccupations face à la montée de l’islam radical et j’ai appris que ce « casino » fait régulièrement office de mosquée clandestine salafiste malgré la vigilance des gardiens.
Ces mêmes gardiens m’ont fait part que, sans confession religieuse, certains détenus leur ont dit avoir vécu des années d'incarcération en tant que minorité et pour ne pas avoir de problèmes et être protégés, beaucoup se convertissent à un islam radical pour faire partie de la communauté.
Quant à l’aumônier musulman de la Maison centrale, il m’a confié que de moins en moins de fidèles participaient à ses prêches.
La radicalisation en milieu carcéral est plus sournoise qu’à la fin des années 90. Désormais, pour éviter d’être repérés par les surveillants, la plupart des islamistes radicaux suppriment tous signes ostentatoires d’appartenance à leur foi. La dissimulation de son allégeance ainsi que l’adoption d’une tenue vestimentaire ordinaire et d’un comportement social laïc rendent la détection beaucoup plus difficile.

Les préconisations

L’existence même des « casinos » est contraire à l’esprit républicain. Ils favorisent le repli entre soi, le communautarisme, facilitant ainsi toute forme de radicalisation. Je préconise donc la destruction de ces baraquements, le plus rapidement possible.

Il apparait cependant indispensable de conserver des lieux d’activité, mais dans le cadre d’une structure nouvelle, décloisonnée et surveillée en permanence.

Plus généralement, je souhaite que trois préconisations que j’ai particulièrement soutenues pendant les travaux de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, s’appliquent en priorité à l’ensemble des centres de détention.

Mise en place d’un véritable service de renseignement pénitentiaire

Le bureau du renseignement pénitentiaire ne dispose aujourd’hui que de peu de moyens pour assumer ses missions. Il ne peut pas détecter et intercepter des communications passées au moyen de téléphones portables interdits en détention. De même, l’usage d’un fichier informatique aiderait également à la rationalisation des activités conduites. Il faut donc autoriser au renseignement pénitentiaire l’usage de certaines techniques de renseignement afin qu’il concoure au renseignement. Dans le cas de la maison centrale de Saint-Martin, je demande la nomination urgente d’un délégué local.

Isoler individuellement les détenus radicalisés recruteurs

Pour prévenir la radicalisation en prison, je propose d'isoler individuellement les détenus radicalisés recruteurs, de créer des quartiers dédiés pour les autres détenus radicalisés, à l'exception des plus vulnérables. Il est illusoire de chercher à désendoctriner les personnes les plus radicalisées, ayant le profil de leaders ou de recruteurs. Je souhaite donc que soit généralisée l’expérience menée à la maison d’arrêt de Fresnes. La création de l’unité, à l’initiative du directeur de l’établissement, Monsieur Stéphane Scotto, s'est fondée sur la volonté de mettre fin au prosélytisme et à la pression exercée par une minorité de détenus sur la population de l'établissement, notamment sur les détenus de religion musulmane. La création de l’unité est une réponse adaptée au prosélytisme et aux pressions inacceptables constatées dans l’établissement et elle a permis d’apaiser le climat de la détention.

Création d’unités de déradicalisation

En s’appuyant sur les programmes de prévention de la radicalisation et de déradicalisation en milieu carcéral mis en œuvre actuellement au Royaume-Uni, il est indispensable que des programmes de prévention ou de désendoctrinement soient élaborés pour les autres catégories de détenus radicalisés ou en voie de radicalisation. Ces programmes devront être adaptés aux profils des détenus, selon leur degré de radicalisation. S’agissant des détenus de retour d’une zone de combat, la dimension traumatique devra être intégrée par une prise en charge psychologique adaptée.
Ces programmes devront associer les différents partenaires intervenant en milieu pénitentiaire, en premier lieu desquels les aumôniers. Actuellement, leur rôle reste limité pour différents raisons. D’abord par l’insuffisance du nombre d’aumôniers musulmans, la précarité de leur statut et leur profil souvent inadapté au dialogue avec de jeunes détenus radicalisés.
En outre, il apparaît que les aumôniers musulmans font souvent l’objet d’un rejet de la part des détenus radicaux, qui contestent leur vision de l’islam et leur positionnement par rapport à l’institution carcérale. Pourtant, l’intervention des aumôniers musulmans auprès de certains détenus radicalisés, en particulier des plus vulnérables, pourrait permettre d’entamer un dialogue visant à déconstruire les fondements pseudo-religieux de la radicalisation. Il convient donc de renforcer la formation des aumôniers musulmans s’agissant de la connaissance des phénomènes de radicalisation et des éléments de contre-discours pouvant être avancés face aux détenus radicalisés ou en voie de radicalisation ».

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