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lundi 28 septembre 2015

Scoop historique :
la ville de Novioregum (Barzan)
n'a pas été abandonnée au IVe siècle !

La statue d'un génie ailé, unique en France, découverte lors des fouilles

Génie ailé datant vraisemblablement du IIe siècle après J.C (© Nicole Bertin)
Non loin de Talmont, l’un des plus beaux villages de la côte royannaise, l’ancienne cité gallo-romaine de Novioregum, dite « du Fâ », reste un mystère pour ses visiteurs qui en découvrent les vestiges. Jusqu'à ces dernières années, les archéologues pensaient que la ville avait été abandonnée au IVe siècle pour Bordeaux dont l'emplacement était plus stratégique. Il semblerait que cette hypothèse soit fausse puisque des tombes mérovingiennes viennent d'être mises au jour. 
Désormais, on estime le déclin de cette agglomération, devenue modeste, aux alentours des IXe ou Xe siècles. Mais l'énigme reste la même : on ignore toujours pourquoi ses habitants l'ont délaissée (raisons économiques ?)…

Il faudra bien s'y faire ! De nouvelles découvertes archéologiques viennent de bouleverser les idées reçues quant au site du Fâ. Le fait que cette cité portuaire puisse être Novioregum n'est pas remis en cause, bien qu'aucune inscription, gravée dans la pierre, ne permette de l'assurer. Il s'agit tout simplement de l'époque où elle a été désertée. Au IVe siècle habituellement avancé, le curseur est désormais placé cinq ou six siècles plus tard. Les Carolingiens, puis les Capétiens, ont alors succédé aux Mérovingiens.

Propriété du Syndicat mixte de Barzan que soutient le Conseil départemental, le site, sur l'actuelle commune de Barzan, a de quoi frapper l'imagination. Une cité antique oubliée, des entrepôts, des activités portuaires, une société organisée qui avait édifié de nombreux monuments, des temples, des thermes, un théâtre. Voilà pour l'occupation gallo-romaine. S'y ajoute une présence mérovingienne plus tardive, comme en attestent des tombes. Elles prouvent que la ville était encore occupée avant le Xe siècle.

Mardi dernier, l'archéologue qui conduit le chantier, Bastien Gissinger, a fait sur le point sur la campagne de fouilles 2015. Elle a offert à l'équipe une bien jolie trouvaille : un génie ailé adossé à un chêne (symbole de Jupiter), la main s'appuyant sur la tête d'un aigle. Du gallo-romain certes, mais une représentation inattendue selon un expert qui n'en connaît pas d'autre exemplaire en France…

Un Mérovingien venu jusqu'à nous ! (n'ont été retrouvés que des squelettes adultes)
L'histoire s'écrit peu à peu

La ville a été localisée en 1975 par l'œil avisé de Jacques Dassié, prospecteur aérien. En effet, à certaines périodes de l'année, on distingue du ciel les bases laissées par les constructions, visibles sur les photos. En ce qui concerne le Fâ, les spécialistes ont été gâtés puisque sont apparues non seulement des habitations, mais d'immenses avenues ! Le tout couronné par un moulin bâti au XVIIe siècle, d'où le nom du lieudit "Moulin du Fâ".
C’est en 1999 que le Département a décidé d'en savoir plus. Les terres, cultivées par les agriculteurs, avaient longtemps gardé leur secret. Dans les champs, leurs charrues "accrochaient" de temps en temps et dévoilaient des objets inattendus. Pièces, tessons de poterie, voire morceaux de colonnes : les gens des villages savaient que l'endroit avait été occupé, mais ils ignoraient l'ampleur des témoignages reposant sous leurs pieds.
Au début du XXe siècle, Léon Massiou avait effectué des recherches autour du moulin, cessées dans les années 1960. La ville antique avait déjà été pressentie par Claude Masse, ingénieur et géographe de Louis XIV, qui avait pour mission d’étudier les côtes de Saintonge. Il avait alors remarqué (et noté) les bases d’une tour romaine et la présence d’un théâtre.

Dessin de la ville gallo-romaine à son apogée
Une centaine d’hectares

La vue d’ensemble laisse apparaître une agglomération d’envergure, de plus d'une centaine d’hectares aux premiers siècles de note ère. Sur l’image de synthèse qui a été réalisée, on aperçoit bon nombre de bâtiments publics, une importante voirie, de grosses constructions. Parmi celles-ci, des thermes, un forum, des édifices religieux, des quartiers d’habitations, des magasins de stockage. Il s’agissait d’un centre administratif conséquent. L’avenue principale, de 300 mètres de longueur, reliait deux zones de temples. Les nombreux entrepôts sont signes de prospérité et d’échanges. Des marchandises transitaient par ce lieu. En effet, la Gironde et la Charente constituaient des moyens de transport à l’intérieur des terres, sans oublier la mer et les voies terrestres : Novioregum - Barzan - était un carrefour commercial.

Le secteur était peuplé dès le Ve  siècle avant J.-C. par les Gaulois, selon divers éléments permettant cette datation, céramiques, fibules et un détail de vaisselle étrusque (fragment de poignée d’un bassin servant à se laver les pieds). Cet objet rare est le troisième répertorié en France. Le nombre et la qualité des objets prouvent que les habitants étaient prospères et raffinés.
Au cœur de la colline, l’œil averti devine un demi-cercle. Un théâtre y avait été édifié et les archéologues - dont Graziella Tendron - sont chargés d’en extraire “la substantifique moelle“. Stéphane Gustave, "tombé dans la marmite du Fâ à sa naissance", y organise des visite guidées. C’est avec intérêt que les groupes suivent ses commentaires. La structure a été construite au premier siècle de notre ère pour être agrandie et devenir un amphithéâtre.
Face à l’estuaire, le lieu offre une point de vue remarquable sur l'horizon. Il convient cependant d’être prudent : à l’heure de sa prospérité, il est probable qu’un mur d’enceinte masquait le paysage. Les pierres viennent de Thénac, Pons et Marcamps en Gironde. Certaines sont parvenues jusqu’à nous avec leurs sculptures (une magnifique corniche a été datée de la première moitié du premier siècle) ainsi qu’un fragment qui laisse apparaître le signe des premiers chrétiens. «  Il s’agissait d’un théâtre avec des murs et des gradins en pierre et non en bois  » remarque Stéphane Gustave. Cette année, une loge réservée à un notable a été dégagée.
Après avoir abrité des comédiens parés de leurs célèbres masques, la scène aurait pu accueillir des gladiateurs. Ave César !

Des visites du théâtre sont organisées
Les pirates ne seraient pas à l’origine de l’abandon de la ville

Jusqu'à une époque récente, on s'accordait pour dire que Novioregum avait été subitement abandonnée au IVe siècle. Différentes pistes étaient avancées : envasement du port, crise économique, épidémie, périls liés à la piraterie (la ville n'avait pas de remparts). Dans les années 250 en effet, Saxons et Francs descendent sur nos côtes pour les piller. On imagine déjà un scénario catastrophe avec des gens s'enfuyant, tels les malheureux migrants qui cherchent refuge en d'autres contrées. Cette version est réfutée puisque la ville n'aurait pas complétement disparu.


Dans le cadre d'un programme triennal de sondages, l'équipe départementale d'archéologues a exploré une vaste parcelle longue de 300 mètres au lieudit le Trésor. Un nom plutôt prometteur qui coïncide avec la découverte, dans le remblai, de la statue d'un génie ailé qui devait supporter un autel ou s'insérer dans un élément de décoration. Ce personnage a séduit les fouilleurs, une telle représentation étant peu commune.

La statue semble être dédié à Jupiter (chêne, aigle)
Leur enthousiasme ne s'arrête pas à ce ravissant personnage : ils ont également localisé le forum antique de la ville gallo-romaine, « composé de différentes esplanades et de bâtiments publics, le tout dans un excellent état de conservation ». Des occupations postérieures sont apparues avec de l'habitat et quelques tombes mérovingiennes.
La connaissance du site s'étend de plusieurs siècles avant J.C pour s'arrêter aux environs des IXe ou Xe siècles. Cela n'a rien d'étonnant puisqu'à cette époque, règne une grand désordre, notre région étant partagée entre les duchés d'Aquitaine et de Gascogne. « On peut imaginer que les habitants, qui vivaient dans l'insécurité, ont préféré fuir pour rejoindre des villes plus prospères et mieux protégées » déclare un historien.

De nombreuses découvertes ont été faites cette année dans cette tranchée
« Que les Mérovingiens aient succédé aux Gallo-Romains est naturel. Chaque génération s'installe et modifie les lieux, aménage à sa convenance, remploie les matériaux » explique Bastien Gissinger. On peut alors imaginer que les temples ou plutôt leurs pierres ont trouvé de nouvelles destinations : « on refait au goût du jour ». De là à imaginer un sanctuaire chrétien, pourquoi pas ? « J'ai l'espoir de le trouver » avoue l'archéologue.
Des silos mérovingiens ont été localisés - entre vingt et trente - où devaient être stockées des céréales. Le chantier a révélé six tombes (elles doivent être plus nombreuses) avec un peu de mobilier, des poteries en particulier. Une "pauvreté" qui contraste avec la richesse des éléments (épées, bijoux) mis au jour à Jonzac, devant l'église Saint-Gervais par Léopold Maurel.

Dans ces périmètres, on observe donc les vestiges de plusieurs grandes périodes (gauloise, gallo-romaine, mérovingienne), des circuit d'évacuation des eaux, de nouveaux thermes avec présence de marbre et enduits peints, un grand bassin (peut être destiné à la pisciculture), des murs aux moellons impeccables, des dalles. Devant l'état de conservation des maçonneries, Jacky Quesson reste admiratif : « aujourd'hui, on ne ferait pas mieux ».



Bref, plusieurs générations se suivent au Moulin du Fâ et ne se ressemblent pas. Les Romains étaient polythéistes et vénéraient Jupiter et Mars ; les autres croyaient en un seul Dieu. Ce fut sans doute l'une des époques les plus délicates de l'histoire, les populations étant appelées à abandonner leurs croyances ancestrales (païennes) pour adopter le message du Christ qui avait prêché l'égalité entre les hommes (la suite des événements démontrera la difficulté à appliquer ce principe fondateur)…

La campagne de fouilles 2015 s'achève. On attend maintenant les images de synthèse et bien sûr les publications scientifiques. Et pourquoi pas, l'été prochain, une conférence détaillée ?


• Bastien Gissinger a expliqué les détails des fouilles 2015 l'autre mardi en présence de Jacky Quesson, vice-président du Conseil départemental, Olivier Chanoit, responsable du site et Jean-François Henry du Conseil départemental. Chaque campagne de fouilles coûte environ 50.000 euros.

Jacky Quesson suit les découvertes de ce site depuis de nombreuses années
Un crâne mérovingien mis au jour 
• La ville du Fâ ne serait pas la seule à avoir perdu ses habitants. A titre d'exemple, les Bouchauds, sur la commune de Saint-Cybardeaux en Charente, ont cessé de plaire sans qu'on sache vraiment pourquoi.

• Le théâtre, de 80 mètres de diamètre, a trouvé place dans la colline, au creux d’un relief naturel situé face à l’estuaire. Agrandi, il a été transformé en vaste lieu pouvant accueillir des combats de gladiateurs. 

• Les travaux et études sont coordonnées dans le cadre du projet collectif de recherche "Baliz" dirigé par Laurence Tranoy de l'Université de la Rochelle.

• La noria, une machine unique dans toute la Gaule

Depuis quinze ans, des fouilles se poursuivent. Dédiées à Mars, le dieu de la guerre, « les imposantes ruines correspondent au podium d’un temple circulaire monumental. Sa forme de tradition indigène, centrée et ouverte à l’est, est la copie de la Tour de Vésone à Périgueux. Il était entouré par une galerie, péribole délimitant l’espace sacré ». Les universités de Bordeaux, Poitiers et La  Rochelle travaillent sur le site. Des images de synthèse permettent d’imaginer les thermes, dont l’emplacement a fait l’objet d’un aménagement. Ils avaient fière allure. Ce vaste édifice de 3 000 m2 date de l’époque de Trajan. Son architecture est classique avec son couloir, sa schola (pièce de réunion) et des salles où les hommes venaient se remettre en forme après sudation et exercices. À proximité, se trouvaient des boutiques, des maisons d’habitation et des latrines publiques. La découverte la plus intéressante concerne le système d’alimentation en eau. Il comprenait un large puits de seize mètres de profondeur. Le mécanisme servait à transporter l’eau grâce à une roue entraînée par une chaîne à godets (noria). Préservé par les eaux de la nappe phréatique, il ne s’est pas altéré malgré le temps. L’état du bois, exceptionnel, a été une aubaine pour les archéologues. Il est en cours de reconstitution.

Se faire une idée de l'immensité de la ville antique...
Visite guidée. La grande ville commerciale située en bordure d'estuaire de la Gironde était riche en monuments. Elle constituait vraisemblablement le port de Saintes. Si on a du mal à définir ses limites exactes, l'importance des rues, par contre, apporte des éléments de réponse. 

• Jusqu'au 11 novembre, le site du Fâ propose de nombreuses animations. Contact : 05 46 90 43 66. Ouvert les mercredi, samedi et dimanche de 14 h à 18 h. Tous les après-midi pour les vacances de la Toussaint. Week-end archéologique les 24 et 25 octobre avec ateliers, animations de 10 h à 18 h. 
Balade découverte de la ville, parcours de deux heures, visite en dehors des zones aménagées, fouilles de la grande avenue, de deux rues, du théâtre dimanche 25 octobre, départ 14 h 30. 

Des éléments en marbre
Des marbres, venant vraisemblablement des Pyrénées, ornaient les constructions des premiers siècles. Ils étaient de couleur blanche, grise, bleue et rouge. Le béton employé pour les murs, fait de chaux, calcaire et huile, n'a pas bougé !

Fouilles du Fâ Barzan 2015 © Nicole Bertin

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