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lundi 31 août 2015

COP21, climat et nucléaire : On ne guérit pas
la peste en propageant le choléra

Libre expression par Jean-Marie Matagne, président de l'Association des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire

A l’approche de la COP21, cent personnalités françaises et internationales signent un appel que publie Médiapart, appel intitulé : « Laissons les fossiles dans le sol. Pour en finir avec les crimes climatiques. » Et nous, simples citoyens, sommes invités à le signer. On aimerait bien pouvoir le signer. Hélas, ce n’est pas possible en l’état : non pas à cause de ce qu’il dit et qui est plutôt juste, mais à cause de ce qu’il ne dit pas et qui, du coup, fait porter sur le reste un grave soupçon de fausseté. Car dire la moitié d’une vérité et taire l’autre, ce n’est pas dire la vérité.

Cet appel a raison de dire que ne pas prendre maintenant les mesures d’urgence qui permettront –peut-être…- d’interrompre le réchauffement et le dérèglement climatiques à temps pour qu’ils ne rendent pas notre planète littéralement invivable, c’est commettre un « écocide » qui « violente l’ensemble des êtres vivants, des écosystèmes et des sociétés, menaçant les droits des générations futures ». Mais poursuivre la production et la consommation d’énergie nucléaire, qu’est-ce que c’est, sinon un « écocide » qui « violente l’ensemble des êtres vivants, des écosystèmes et des sociétés, menaçant les droits des générations futures » ? Ne pas en dire un mot n’a rien d’anodin. C’est, tacitement, préférer un écocide à l’autre, dénoncer le premier, accepter le second. Même si telle n’est pas l’intention.

L’appel déclare en effet : « Nous savons que les multinationales et les gouvernements n’abandonneront pas aisément les profits qu’ils tirent de l’extraction des réserves de charbon, de gaz et de pétrole ou de l’agriculture industrielle globalisée gourmande en énergie fossile ». Selon cet appel, il y aurait donc trois sources d’énergies fossiles à bannir : le charbon, le gaz et le pétrole. Plus prudent, l’appel des ONG paru en juin dernier, également publié par Mediapart, déclarait vouloir « bannir tous nouveaux projets dans les énergies polluantes et ainsi garantir que l’accès à des énergies propres, peu coûteuses et sûres devienne un bien public », sans en citer aucune, mais en excluant de fait l’énergie nucléaire, qui n’est ni propre, ni peu coûteuse, ni sûre. Pourquoi donc, dans ce nouvel appel des personnalités, l’extraction de l’uranium n’est-elle pas citée parmi les « réserves » dont certaines multinationales (AREVA par exemple) et certains gouvernements (le nôtre par exemple) cherchent – avec plus ou moins de succès, il est vrai - à « tirer des profits » ?

Parce que l’uranium serait un minerai et non un « combustible fossile » ? S’agirait-il d’un souci sémantique, d’une simple question de définition ?

Eh bien, examinons la chose. Qu’appelle-t-on « fossile »  ? D’après le dictionnaire Larousse en ligne : c’est « ce qui est à l’état de fossile ». Eclairant, n’est-ce pas. Mais que sont les fossiles ? D’après ce même dictionnaire, ce sont des « débris ou une empreinte de plante ou d’animal, ensevelis dans les couches rocheuses antérieures à la période géologique actuelle, et qui s’y sont conservés ». Une définition inchangée par rapport à l’édition papier de l’Encyclopédie Larousse (1962, vol. 5).

Le charbon, le gaz et le pétrole ne portent pas l’empreinte de plantes ni d’animaux et l’on ne peut pas dire non plus qu’ils en soient « des débris », même s’ils dérivent de plantes. Manifestement, ce n’est donc pas en ce sens qu’ils sont considérés comme « fossiles ». Alors en quel autre sens ?

Tout simplement au premier sens de l’adjectif « fossile », si l’on se réfère cette fois au « Dictionnaire » en ligne, également proposé par « Reverso » : « qui est extrait, qui provient du sein de la terre ». Ce sens est conforme à l’étymologie indiquée par Larousse : « du latin fossilis, tiré de la terre ».

Ainsi les « énergies fossiles » sont dite « fossiles », non parce qu’elles résultent de la décomposition de plantes, mais parce qu’elles sont produites à partir de matériaux ou de matières extraites du sous-sol – où elles se trouvent en quantités limitées, « par opposition aux énergies renouvelables », comme le dit l’Encyclopédie Larousse en ligne. Or cette définition s’applique à l’énergie nucléaire, aussi longtemps qu’elle reposera sur l’extraction et le traitement du minerai d’uranium. Que « l’uranium naturel » contenu dans le minerai fasse l’objet d’un enrichissement (en Uranium 235), plutôt que d’un raffinage comme pour le pétrole brut, ne change rien à l’affaire. Il faut donc le dire une fois pour toutes et mettre un terme à la roublardise des nucléocrates : l’énergie nucléaire n’est pas seulement fissile, elle est aussi fossile. Elle fait partie des énergies fossiles, tirées du sous-sol et épuisables. Et elle doit être citée chaque fois qu’on décline la liste des « énergies fossiles ».

Cette question de vocabulaire une fois réglée, comment expliquer que l’énergie nucléaire fasse l’objet d’un tel traitement de faveur ? Car c’en est un que de ne pas être citée chaque fois que les « énergies fossiles » sont vouées aux gémonies pour leur effets maléfiques sur le climat.

Là encore, il faut mettre en cause la propagande habile des nucléocrates, qui poussent l’impudence jusqu’à prétendre que « l’énergie nucléaire, c’est bon pour le climat ». En réalité, l’énergie nucléaire, même du seul point de vue climatique, partage tous les défauts des autres énergies fossiles.

Elle est, on vient de le rappeler, non renouvelable. Au rythme actuel d’extraction et de consommation, les réserves d’uranium connues seront épuisées à peu près en même temps que les réserves de pétrole, voire auparavant. Et le collapsus aurait lieu encore plus tôt si le nombre de centrales nucléaires devait augmenter par la vertu proliférante des nucléocrates.

De par la rareté croisssante de son combustible, l’énergie nucléaire ne fera qu’ajouter, aux « guerres du pétrole », les « guerres de l’uranium », déjà commencées en Afrique, notamment sous forme de terrorisme.

Elle exploite, comme AREVA au Niger, les pays d’extraction, elle entretient un système néocolonial, et elle met en danger la santé des populations autochtones.

Elle pollue, bien plus gravement encore que les autres énergies fossiles. Les habitants de Pripiat et de Fukushima, les 600 000 liquidateurs de Tchernobyl (ou leurs proches qui leur ont survécu), les milliers de cancéreux non fumeurs et non soumis aux pesticides, les victimes des essais nucléaires après celles des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, pour ne citer que ses victimes les plus connues, en ont su ou en savent quelque chose.

Pour finir, et c’est un comble, l’énergie nucléaire contribue, elle aussi, au réchauffement climatique :
 directement, en réchauffant l’atmosphère par les panaches de vapeur d’eau qui s’élèvent en permanence des « tours de refroidissement », lesquelles sont bel et bien des « tours de réchauffement climatique », et en rejetant dans les cours d’eau ou dans la mer une eau de refroidissement qui est en fait, pour le climat, une eau de réchauffement ;
 indirectement, par le recours aux autres énergies fossiles, productrices de gaz à effet de serre, dans toutes les activités induites par la construction des centrales puis par leur alimentation en combustible, depuis la mine jusqu’à l’usine « de retraitement ».

A ces défauts communs aux énergies fossiles, l’énergie nucléaire en ajoute au moins trois que les autres n’ont pas :
 ses effets sont, à l’instar de la radioactivité, invisibles, inaudibles, inodores, sans saveur, bref, indécelables sans appareils spécifiques de détection, donc bien plus difficiles à prévenir, et bien plus difficiles à démontrer une fois qu’ils ont affecté la santé (comme l’éprouvent amèrement les victimes civiles ou militaires des essais nucléaires français) ;
 ses déchets mortifères sont quasiment éternels (demi-vie du plutonium : 240 000 ans ; demi-vie de l’uranium 238 : 4,5 milliards d’années), de sorte que la pollution radioactive s’ajoutant à celle des gaz à effet de serre est, comme celle-ci, impossible à circonscrire dans l’espace, mais elle l’est aussi dans le temps ;
 last but not least, son combustible est utilisable et effectivement utilisé pour construire des armes de destruction massive (16 000 actuellement), qui menacent en permanence de faire sauter la planète.

Reconnaissons tout de même à l’énergie nucléaire un relatif avantage sur les autres énergies fossiles : si l’écocide particulier qui en résulte est encore plus insidieux que l’écocide climatique, la mort globale dont elle menace l’humanité sera bien plus brutale que celle que nous promet le réchauffement climatique. Qu’elle multiplie les Tchernobyl et les Fukushima (avec la France en première ligne), ou qu’elle provoque une guerre (voulue ou accidentelle), l’énergie nucléaire nous dispensera de lutter contre l’écocide climatique, puisqu’il n’y aura pratiquement plus personne pour en souffrir.

Mais cela ne saurait nous empêcher de penser et de dire que non, décidément, ce n’est pas en propageant le choléra nucléaire que l’on soignera la peste climatique.

Les signataires de l’Appel « Laissons les fossiles dans le sol. Pour en finir avec les crimes climatiques » seraient bien avisés de le dire. En publiant, pourquoi pas, un codicille à leur appel.

Jean-Marie Matagne
Président de l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire
Acteur (de base) d’Alternatiba

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