Pages

mercredi 19 août 2015

Chef d'œuvre en péril,
l'église Notre-Dame de Royan
est en restauration jusqu'en 2016

En travaux en raison de l'éclatement des bétons, d'infiltrations, de corrosion des poutres métalliques et autres problèmes qui mettent sa structure en danger, l'église de Royan est fermée au public. En l'attente, les fidèles sont accueillis aux églises Saint-Pierre et du Parc. Consciente que l'édifice doit rester accessible, l'ADER (Association de la Défense de l'Eglise de Royan) y organise des visites commentées par des spécialistes. Le 17 juillet dernier, pour les 60 ans de la pose de la première pierre, l'historien Frédéric Chassebœuf et Laurent Chitty, architecte de la ville, proposaient une conférence qui coïncidait avec la parution de l'ouvrage "Notre-Dame et les églises de Royan" paru aux éditions Bonne Anse.

L'église Notre Dame actuellement en restauration © Nicole Bertin
Laurent Chitty, architecte de ville, et Frédéric Chassebœuf, historien qu'on en présente plus, sont intarissables sur l'église Notre-Dame de Royan. Bien que de création récente, son état nécessitait des travaux urgents et importants que les deux spécialistes ont expliqué en détail.
L'édifice a été bâti après la Seconde Guerre mondiale dans une ville anéantie en janvier et avril 1945 par les bombardements alliés (ce qui a longtemps suscité des interrogations). 
Quand Royan s'est réveillée, réalisant qu'on avait expérimenté sur elle un poison de façon massive, le napalm, elle faisait pitié. Fini les années folles, Jacques Henri Lartigue et ses charmantes photographies, les casinos dont l'un avait des lignes remarquables, la gaité de vivre, les plages et la désinvolture. Il n'y avait que désolation, cendres, les creux et les bosses des impacts sur une nature défigurée. S'y ajoutaient les nombreuses victimes innocentes et blessés. Le traumatisme était violent. Quelques maisons avaient échappé au massacre, mais les Royonnais avaient perdu leur point de repère. Leur église du XIXe siècle, située place Charles de Gaulle, était entièrement détruite. 

L'église Notre Dame, dessinée par Guillaume Gillet,  
incarne l'architecte moderne de l'Après-Guerre
L'ancienne église de Royan détruite par les bombardements
L'église "debout" symbolise la renaissance de la ville

Après la guerre, vient l'heure du renouveau. Que faire ? reconstruire à l'identique ou inventer de nouvelles perspectives ? Le "maire des ruines", Charles Regazzoni, lance un premier plan en 1951.  Le cabinet Baraton – Bauhain – Hébrard est retenu avec un projet influencé par l’architecture brésilienne. Les choses n'avancent pas vite, période oblige. Son successeur, Max Brusset, veut s'inscrire dans la modernité. Il remercie l'équipe précédentes et confie à Guillaume Gillet, auteur de la renaissance de Sisteron, le soin de présenter un autre avant-projet : il a quinze jours pour exécuter la demande ! La mairie a une priorité : l'église sera verticale, symbolisant une ville debout qui se relève de ses plaies et le clocher doit lancer un signal fort, un amer visible depuis l’océan comme depuis l’entrée de la ville. 
L'intéressé relève le défi avec l'aide d'ingénieurs dont Bernard Laffaille. Ce dernier est spécialiste des bâtiments industriels et des éléments en béton précontraints en V. L'ensemble des compétences conjuguées donne au lieu de culte son apparence élancée, audacieuse et futuriste. Une sorte de temple qu'on croirait issu d'une autre galaxie ! 
Séduit, Guillaume Gillet présente les plans à la municipalité et les appels d'offres sont lancés. La première pierre est posée en juillet 1955. Originalité, l'église est réalisée en béton armé : « construite sur un lieu minutieusement choisi, elle devait être visible de toutes parts ». Le 10 juillet 1958, elle est bénite par Monseigneur Marella, nonce apostolique (elle sera consacrée en 1978). 

Bénédiction de la première pierre de Notre-Dame
Les paroissiens sont impressionnés : la nef en ellipse, qui mesure 45 mètres de long sur 22 mètres de large, peut contenir 2000 personnes. Elle est flanquée d'un déambulatoire et d'une tribune, éclairée de vitraux en losange, située à trois mètres du sol. La toiture, en « selle de cheval », a une épaisseur de seulement huit centimètres, ce qui représente une prouesse pour l'époque. À l'intérieur de l'édifice, les voûtes atteignent 36 mètres aux extrémités, et 28 mètres au centre. Un tirant permet aux différents éléments de ne pas s'écarter : « il n'est ni actif, ni passif. C'est une sécurité » précise Laurent Chitty. 
La conception de cette église est un tiroir à secrets que Frédéric Chassebœuf se fait un plaisir de dévoiler. « Guillaume Gillet était l'architecte des églises et des prisons ! ». Notre-Dame a été pour lui une œuvre grandiose et c'est pourquoi il a choisi d'être inhumé entre ses murs pour l'éternité. La relation qu'il entretenait avec Bernard Laffaille est à souligner : « ils venaient d'horizons différents et pourtant, ils se sont parfaitement accordés sur cette réalisation » constate Frédéric Chassebœuf. Il a rencontré l'architecte quand il était enfant et en garde un souvenir ému.

Notre-Dame : une prouesse architecturale avec ses fameux piliers en V
Gravement menacée en raison d'un béton de mauvaise qualité

Sans doute parce que les matériaux d'après-guerre étaient d'une qualité médiocre, l'église de Royan, par ailleurs soumise aux embruns et à l'érosion, présentait ces dernières années des "blessures" - dont des infiltrations - qui ne présageaient rien de bon. Rongé par le sel humide de la Gironde qui entre dans sa composition, le béton était attaqué et laissait apparaître des fissures inquiétantes pour l'ensemble et la solidité de la structure. « Ici, tout est construit comme un château de cartes » explique l'architecte. 
Dans un premier temps, les responsables ont pensé utiliser une technique belge. Elle consiste à purger le chlorure de sodium avec une sorte de cataplasme, méthode utilisée dans le Nord. Trop onéreuse, elle a finalement été écartée. Un principe à base de résine a été retenu. Les travaux sont effectués par les Compagnons de Saint-Jacques.

Les dalles de verre que constituent les vitraux ne sont plus étanches.
Le béton jouxtant les dalles, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, a éclaté.
Frédéric Chassebœuf et Laurent Chitty animent les visites
En "traitement", l'église de Royan offre un chantier intéressant quant au vieillissement du béton. « Contrairement à la pierre, le béton est un matériau récent et nous manquons de recul. Ces monuments sont issus de l'après-guerre et leur entretien génère un coût ». Notons au passage que tous les bétons de l'église de Royan ne sont pas d'égale valeur (d'où des commentaires sur les entreprises qui sont intervenues sur le chantier)… 
Encadrés par l'architecte en chef des monuments historiques Philippe Villeneuve, avec le soutien de l'ADER, association qu'animent Emmanuelle Piaud et Marie-Pierre Quentin, conseillère départementale et épouse du député-maire, les travaux de restauration, débutés en 2013, s'élèvent à 3,5 millions. Ils comportent cinq tranches. La face ouest est terminée et l'orgue a été déposé. La tranche concernant la façade nord a été lancée pour une somme de 1,2 million d'euros. Si tout va bien, l'église Notre-Dame rouvrira ses portes courant 2016.

Sous le béton, les armatures métalliques apparaissent.  L'enrobage insuffisant des aciers, conjugué à l'environnement marin particulièrement agressif, ont ainsi fragilisé le matériau. Des problèmes de fuites sont rapidement apparus, corrodant les aciers. L'éclatement des bétons (réalisés à partit de sable de mer !) s'est produit sur l'ensemble des élévations extérieures. Le très faible enrobage a entraîné le même phénomène à l'intérieur de l'édifice.
Fuites d'eau. Dès 1960, des problèmes liés à l'étanchéité ont été remarqués. 
Faute de budget, les dispositifs d'étanchéité n'avaient pas été achevés...

• Tout savoir sur "Notre Dame et les églises de Royan", livre écrit par Frédéric Chassebœuf, paru aux éditions Bonne Anse. En vente dans toutes les librairies.`
Frédéric Chassebœuf dédicace son ouvrage sous le regard attentif 
d'Emmanuelle Piaud et des membres de l'Ader
Archives : Il n'a pas si longtemps en l'église Notre-Dame, 
le magnifique chœur de Salisbury © Nicole Bertin

• Notre-Dame constitue la synthèse des deux principales recherches de l’ingénieur Bernard Laffaille : le « V » et la couverture en « selle de cheval ». Cette synthèse avait déjà été réalisée pour des silos à grains en 1953. Elle va acquérir à Royan une nouvelle dimension, grâce à la rencontre de l’ingénieur Bernard Laffaille et de l’architecte Guillaume Gillet.

• Débutés en 2013, les travaux se déroulent en cinq tranches : réfection de l'auvent ouest, restauration de l'élévation ouest, réfection des couvertures du bas-côté nord, réfection des couvertures du bas-côté sud, réfection des terrasses et des portiques nord et sud. Montant total de 3785638 € avec 37 % pris en charge par l'État, 30 % par la ville, 25 % par le Conseil départemental et 8% par la Région. Réserve parlementaire du député Didier Quentin sur la tranche 1 60.000 euros. 

• L’Architecte en Chef des Monuments Historiques Philippe Oudin estimait que l'église de Royan, classée en 1988, était l’un des monuments les plus originaux de la seconde moitié du XXe siècle.

• L'association pour la défense de l'église de Royan (Ader) a été créée en 2008 pour sensibiliser l'opinion et organiser la sauvegarde de l'édifice. Tout contact 42 avenue des congrès 17201 Royan. Mail : ader.nd.royan@gmail.com

• Si vous souhaitez participer à la restauration de l'orgue (confiée à l'entreprise Béthines les Orgues), la campagne des dons est ouverte jusqu'en décembre 2016. 

Notre-Dame de Royan : Le Musée d’Art Moderne de New-York la compte parmi les quatre plus intéressantes réalisations de l’époque.

Citation de Guillaume Gillet (rapport de septembre 1986) : « Nous référant aux exemples d’Anatole de Baudot à Saint-Jean de Montmartre et d’Auguste Perret à l’église du Raincy, nous avons voulu créer une œuvre originale, ce que nous avons fait a mérité d’être cité dès la naissance de notre œuvre par le Musée d’Art Moderne de New-York parmi les quatre plus intéressantes réalisations de l’époque. Il serait souhaitable que la France sache aussi qu’elle existe et l’aide à survivre. Elle est adoptée par les habitants de la ville, et des écrivains tels André Malraux, François Mauriac et Claude Rostand ont approuvé et loué dès l’origine cette expression d’architecture contemporaine et c’est à ces divers titres qu’il semble qu’elle mérite d’être sauvegardée ».


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire