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mardi 31 mars 2015

1568-1570 : quand les Huguenots
détruisaient les églises de Saintonge

Il était interdit, sous peine de mort, d’évoquer ces temps d’épouvante et d’inquiéter les responsables de ruines qu’on avait à peine le droit de mentionner...

Dans le cadre des journées d'étude qui ont eu lieu la semaine dernière à Trizay, monastère de la Chaise-Dieu, l'historien Marc Seguin a rappelé combien les églises de Saintonge avaient souffert durant la troisième guerre de religion (1568-1570). Alors qu'en Irak, Daech détruit des vestiges archéologiques inestimables et suscite l'indignation internationale, nos ancêtres n'étaient pas animés de meilleures intentions. Pour preuve, contrairement à l'Espagne ou l'Italie qui ont conservé intact leur patrimoine religieux, certaines régions de France n'en possèdent qu'une partie, certains édifices ayant été très endommagés (sans oublier mobilier etdocuments brûlés). 
Pourquoi parle-t-on si peu de l'acharnement des Huguenots contre nos pauvres églises ? Tout simplement parce qu'il règne une véritable omerta sur le sujet, ne résultant pas des contemporains mais des gens de cette époque qui ont préféré mettre une chape sur toutes ces "folies". « Il était interdit, sous peine de mort, d’évoquer ces temps d’épouvante et d’inquiéter les responsables de ruines qu’on avait à peine le droit de mentionner. Les édits de pacification imposaient le devoir d’oubli » explique Marc Seguin. Il a eu la chance de retrouver des documents "secrets" qui lui ont permis de nous livrer cette conférence publiée dans son intégralité.

Marc Seguin et Christian Gensbeitel, chercheurs

« L’an VcLXVIII, leur abbaye auroit esté bruslée et plusieurs demolitions faictes en icelles maisons claustralles des abbé et relligieulx, granges, mesnageries et autres commodités d’icelle, qui ont tellement esté ruynées que les relligieulx ont esté contrainctz abandonner ladicte abbaye” . Telle est, à la fin de 1568, au début de la terrible troisième guerre de Religion, la situation des moines de Sablonceaux qui évoquent seulement les destructions matérielles. Comme eux, nous éviterons les allusions aux meurtres et aux tortures. Deux années seulement, et plus particulièrement l’automne 1568, représentent pour l’exceptionnel patrimoine que le Moyen-Age avait légué à nos régions, un désastre immense. Nous nous demanderons d’abord pourquoi il est si peu évoqué, pourquoi on l’a occulté. Il conviendra ensuite d’en établir la chronologie, de chercher les motivations qui ont pu pousser les hommes de ce temps à s’acharner sur le travail des générations précédentes, enfin à relater les événements et à décrire les mutilations diverses qui ont frappé à des degrés divers tous les monuments religieux.

Les féroces guerres de religion entre catholiques et huguenots
Une documentation improbable

A partir de quelle documentation décrire cet immense désastre et dater les événements ? Il a été interdit, sous peine de mort, d’évoquer ces temps d’épouvante et d’inquiéter les responsables de ruines qu’on avait à peine le droit de mentionner. Les édits de pacification imposent le “devoir d’oubli”, particulièrement celui de Saint-Germain (8 août 1570) qui clôt la dramatique troisième guerre. Son article premier le précise : “Que la memoyre de toutes choses passées d’une part et d’autre, dès et depuys les troubles advenuz en nostre royaulme et à l’occasion d’iceulx, demeure extincte et assoupie comme de choses non advenues. Et ne sera loysible ny permis à noz procureurs generaulx ny autres personnes publicques ou privées quelconques en quelque temps ny pour quelque occasion que ce soit en faire mention, proces ou poursuite en aucune cour ne jurisdiction”.

La lassitude est si grande que l’édit est aussitôt enregistré par le parlement de Bordeaux, le 23 août. Il est envoyé aux sièges des sénéchaussées du ressort qui en assurent la publication et transmettent à leur tour aux hautes justices seigneuriales. Pour finir, les desservants sont supposés en faire la lecture au prône de leur grand-messe dominicale, ce qui est tout à fait illusoire en Saintonge compte-tenu de l’interruption quasi-générale du culte catholique. Sauf à Saintes, le texte n’est connu qu’à la mi-septembre, ce qui ne signifie pas qu’il ait été respecté. Tout événement lié à la guerre est oublié. Les informations et les enquêtes qui ont été rédigées là où les troupes royales ont ramené un semblant d’obéissance sont brûlées, ou “dilacérées” comme on dit alors, avec un soin d’autant plus méticuleux que le personnel des tribunaux était majoritairement acquis au calvinisme, et par conséquent empressé à voir appliquée une loi qui l’innocentait.
Cet acharnement s’est poursuivi bien plus tard car il était devenu déplaisant d’évoquer le souvenir d’un ancêtre compromis dans ces désordres. On conserve à Bordeaux deux copies partielles des registres secrets du parlement qui exerçait son autorité sur tout le Sud-Ouest. La plus complète est la merveilleuse collection de Verthamont (1770) qui constitue une suite de 52 beaux volumes. Imaginez la frustration du chercheur à la lecture de cette simple note ! “Nota. On n’a point de registre depuis le 30 aoust 1566 jusques au 13 novembre 1569. Sauf qu’on a trouvé ches un libraire qui avoit achepté une bibliothèque d’un particulier, parmi les livres duquel on a trouvé un registre de 1568 duquel j’ay tiré quelques extraicts en petit nombre, n’estant remply que des tumultes des religionnaires”.

Gravure du palais de l'Ombrière, parlement de Bordeaux
Au début du XVIIe siècle, avant réparations, on a parfois réalisé des enquêtes ; l’une des plus connues concerne la ruine du prieuré de Montierneuf. Il a fallu attendre les années 1680 pour que des officiers ou des nobles, soucieux de soutenir la politique religieuse de Louis XIV, trouvent bon d’extraire de leurs chartriers des textes par hasard épargnés et qui établissaient la responsabilité des protestants, maintenant victimes. C’est le cas à Saintes à propos de la cathédrale, et avec l’Abrégé historique de l’établissement du calvinisme en l’île d’Oléron et de la destruction des églises, une suite de documents, sélectionnés, que le seigneur de Bonnemie tire des archives aujourd’hui disparues de sa haute justice.
Au début du XVIIIe siècle, dans le même but, des officiers déplorent les fureurs passées et insistent sur le spectacle lamentable des vestiges qui rappellent tant de splendeurs anciennes. En 1716, à Saint-Liguaire, dans le diocèse, à deux pas de Niort, “il y a une abée royalle de l’ordre de Saint-Benoist de 1 400 livres de revenu. Les tristes vestiges de l’église abbatiale, démolie dans le temps des troubles de la religion, font juger qu’elle estoit superbe” .

Le XIXe siècle n’a guère approfondi la question. C’est le temps de la victimisation des protestants, en effet persécutés au XVIIe siècle, donc, par simplification, depuis l’origine. Il ne faut pas compter sur l’Histoire Lavisse et les programmes scolaires de la IIIe République pour insister sur les déboires des Catholiques et de leurs monuments. Plus près de nous, enfin, qui ne connaît l’admirable travail de Charles Connoué consacré aux Eglises de Saintonge ? L’auteur déplore partout des mutilations, des disparitions ; il reproche beaucoup aux Anglais et à un Moyen-Age très prolongé, mais sous-estime l’impact des guerres de Religion. Il s’agit d’un sujet historique refoulé, mais pourtant essentiel pour l’étude du patrimoine local. Sans le travail d’Yves Blomme, qui saurait que l’abbatiale de Saint-Jean-d’Angély dont il ne reste presque rien fut une manifestation essentielle de l’art gothique régional ?

Saint-Jean d'Angély : L'abbatiale dont il ne reste presque rien fut une manifestation essentielle de l'art gothique régional
Chronologie

On distingue huit guerres de Religion entre 1562 et 1598, ce qui n’est pas tout à fait exact puisque des troubles commencent dès 1559 en Agenais ou à Saint-Jean-d’Angély. Chaque guerre commence par une prise d’armes et s’achève par un édit de pacification qu’on espère définitif. La charnière se situe à la Saint-Barthélémy (24 août 1572) : avant, les huguenots, globalement minoritaires mais bien représentés dans les catégories sociales dominantes, espèrent l’emporter ; ensuite, ils luttent pour assurer leur survie dans un contexte plus politique.
La chronologie est très importante parce que les auteurs qui évoquent ces événements tragiques n’ont que trop tendance à globaliser ; or, 40 années, c’est très long, presque deux générations de ce temps. On a plus ou moins ravagé pendant tout ce demi-siècle, mais la séquence la plus catastrophique ne dure que quelques mois.

La première guerre (1er mars 1562-19 mars 1563) est marquée en Saintonge par un accès de violence qui occupe l’été 1562 et qui n’est pas sans rappeler, dans les campagnes au moins, la Grande Peur de 1789. L’iconoclasme frappe essentiellement les “images” tenues pour des objets de “superstition”, les autels, le mobilier, les statues, les archives, surtout, parce que beaucoup, qui ne sont pas nécessairement acquis aux “idées nouvelles”, espèrent que la disparition des baillettes va entraîner la fin des redevances. L’exemple le mieux connu est celui de Saint-Jean-d’Angély où le “chef” de Saint Jean et l’admirable bibliothèque de l’abbaye sont brûlés. Pour les chefs protestants, la Saintonge n’est qu’un réservoir de soldats, en particulier de nobles, qui vont rallier Orléans où se décide le sort des armes.
Le “Tour de France royal” voit, au début de septembre 1565, l’enfant Charles IX, Catherine de Médicis et l’interminable caravane qui les suit, visiter la Saintonge et s’efforcer d’y rétablir la concorde entre les sujets et l’autorité du roi. En vain, à Trizay, par exemple. En juillet 1573, à la fin du siège de La Rochelle, le Duc d’Anjou, maintenant roi de Pologne, futur Henri III, ordonne de prendre les mesures qui s’imposent, “veu ce qu’on dict qu’il y a dix ans ou plus que es lieux de Trizay et Soubise, ne se faict aulcun service divin, d’aultant que le prieur des lieux est de la nouvelle opinion et ha cy devant porté les armes contre l’autorité du roy”.
 Ce prieur s’appelle Antoine Goumard ; cela signifie que depuis l’été 1562, le culte catholique est interrompu à Trizay et que les habitants, comme ceux de la châtellenie voisine de Soubise, vivent pendant très longtemps en dehors de la religion traditionnelle, parfois en dehors de toute religion.

Le prieuré de Trizay ou ce qu'il reste des chapelles
Nous ne négligerons pas tout à fait la très courte seconde guerre (fin 1567-23 mars 1568) parce que les huguenots mettent la main sur La Rochelle. Elle constitue une introduction à la troisième qui commence en août 1568, spontanément, dit-on. En réalité, elle paraît bien avoir été préméditée. Il s’agit d’une guerre totale, militaire, bien sûr, mais aussi idéologique et financière; c’est en cela que la Saintonge et ses édifices religieux se trouvent particulièrement concernés.
Ce conflit se divise en trois séquences. Dans un premier temps, les Réformés s’emparent de toute la province et réussissent en quelques mois une œuvre immense de destructions, cependant ralentie par leur défaite de Jarnac (13 mars 1569). L’armée royale entreprend la reconquête de la province, à peu près effective, même aux “isles”, après le long siège de Saint-Jean-d’Angély (16 octobre-2 décembre 1569). Pendant les six mois suivants, la sénéchaussée obéit tant bien que mal à l’autorité légitime. Enfin, en juillet 1570, les huguenots, stimulés par Jeanne d’Albret, lancent une vigoureuse offensive et reprennent le terrain perdu, aussi bien Brouage que Saintes.

Les motivations de l’iconoclasme

Notre attention se porte sur les églises parce qu’elles seules subsistent, parfois bien mutilées, mais il faudrait aussi envisager tout un espace sacré dont elles ne sont qu’un élément. 
•  L’espace sacré : Illustrons notre propos avec une enquête de mai 1449 relative au prieuré des Essards près de Saint-Porchaire, un membre de l’abbaye de Montierneuf de Poitiers . Nous nous situons en dehors de notre champ chronologique mais au moment crucial où s’est amorcé un repeuplement dont les Saintongeais du XVIème siècle sont les descendants fort proches. L’église est en fâcheux état. Vers 13 80, les voûtes sont tombées, écrasant à la fois les fidèles et les fonts baptismaux ; la disparition de ces derniers obligeait à aller baptiser les rares enfants à Saint-Porchaire. On vient d’en dresser de nouveaux, on les a bénis et aussitôt utilisés.
L’église se situe à l’intérieur d’un espace sacré; le prêtre-témoin Elie Gadolet le rappelle : “de toute ancienneté il y a eu eglise parrochialle car il y a pres de l’eglise et joignant icelle ung cimantiere grant et spacieux auquel a une croix osanniere (dont le crucifix est alors tombé dans l’herbe) et plusieurs tombes, et aussi un fondis ou masureau qui souloit estre basty en maison, en laquelle souloit demeurer le curé”. Une église et ses fonts baptismaux, un cimetière clos de murs, avec une porte fermant à clé, une croix hosannière, un presbytère (ou un logis prioral dans le cas présent), tous ces éléments forment un tout ; seul le dernier n’est pas indispensable.

Un iconoclasme raisonné

Pendant quelques mois, l’éradication de “l’idolâtrie” est conduite avec méthode par quelques ministres impatients d’éradiquer tout souvenir de l’ancienne religion. L’objectif est ambitieux ; il s’agit, comme c’est arrivé en 1793, par exemple, d’essayer de créer un homme “nouveau”, un chrétien délivré des superstitions accumulées au cours des siècles. Cela suppose la disparition du clergé et la démolition des édifices qui rappellent ce passé. Cette action ne devrait pas être conduite dans le désordre, mais d’une manière rationnelle, sous le contrôle du “magistrat”, c’est à dire partout dans le plat pays, du seigneur châtelain considéré comme le “fondateur” de l’église, et de son tribunal dont les magistrats sont convertis ou absents. Deux éléments sont d’abord visés : l’autel et les fonts baptismaux dont la disparition entraîne l’impossibilité du baptême, donc la perte de l’identité catholique et des repères cultuels. C’est ensuite le clocher, orgueil de la paroisse, le presbytère ou le logis prioral, vidés, brûlés et rasés. S’ajoutent la rage de soldats enrôlés parmi les marginaux qui sont les descendants des hommes de guerre du XVe siècle, la hargne de gens naguère recherchés pour hérésie, et la convoitise des voleurs.

Nous avons lié ces démolitions à la châtellenie qui est alors la circonscription administrative de base et à l’action du seigneur qui en est le maître. C’est bien visible dans les châtellenies de Montendre et de Montguyon qui appartiennent aux La Rochefoucauld. Dans la première, qui compte 21 paroisses, toutes les églises sont des reconstructions hâtives et médiocres du premier XVIIe siècle ; les restes d’architecture médiévale sont limités aux chevets (Jussas, Vallet, Moulons); celle de Rouffignac a été épargnée parce que le roi en est, dit-on, le “fondateur”. Une étude conduite dans les environs donnerait les mêmes résultats : à Soubran dont est seigneur René de La Roche, le “capitaine Soubran”, ou à Courpignac , chez Jean de La Rochebeaucourt, “Monsieur de Saint-Mesmes”, alors gouverneur d’Angoulême. On ferait la même observation dans le sud de l’actuel département des Deux-Sèvres.

Les guerres de religion : une période sanglante de notre histoire
Inversement, si le seigneur châtelain est resté catholique, les démolitions restent, sauf accident, plus limitées. C’est le cas chez Antoine de Pons, dans sa vaste châtellenie, ou dans celles d’Archiac et de Matha qui appartiennent à Jacquette de Montbron, épouse du Périgourdin André de Bourdeilles. Il s’agit même d’un cas singulier puisque c’est le résultat de l’action du juge sénéchal Aubin d’Abbeville, calviniste sincère mais serviteur loyal du roi et de maîtres absents. Ce personnage avait épousé une cousine d’Agrippa d’Aubigné, il était le curateur du jeune homme et aurait aimé l’empêcher de rejoindre les rangs huguenots. Le puissant château fort d’Archiac a été longuement occupé par une garnison réformée ; c’est même là que Coligny a signé son testament. L’indiscipline des soldats ne pouvait manquer d’entraîner des brutalités : la plaque gravée visible sur la façade d’une maison du bourg et qui provient de l’ancienne église de Saint-Martin du château a tout l’air d’une excuse : “En l’an 1570, je fus par des soldats saccagée et bruslée. Prions Dieu qu’il n’advienne plus”. Un autre exemple est celui de Nieul-le-Virouil dont la châtellenie, qui se confond avec la paroisse, appartient au conseiller au parlement Bertrand Arnoul, calviniste modéré et respectueux des édits : l’église reste intacte et conserve son beau clocher en pomme de pin et, exception notable, sa croix hosannière du XVe siècle. Il est en de même à Saint-Fort-sur-Gironde , un cas particulier, avec deux coseigneurs, le très catholique François de Beaulon et le huguenot Jean de Ciret, tous deux magistrats au même parlement.

Mode d'emploi pour détruire une église

Les destructions s’opèrent en deux temps inégaux : à la fin de 1568, un automne furieux, puis un second temps qui se prolonge jusqu’aux années 1590, avec des démolitions lentes, continues et anarchiques.
Les fureurs de l’automne 1568. L’automne et l’hiver 1568-69 sont des saisons d’épouvante. Les prêtres et les fidèles catholiques les plus apparents fuient vers les rares places tenues par les forces royales. Combien de morts anonymes, de malheureux dénoncés ou démasqués et aussitôt dépouillés et suppliciés ? Les plus chanceux, tel Hilaire d’Anglars de Boisrigault, le prieur de Montierneuf, sont seulement rançonnés : en septembre et octobre, “tous ses biens du prieuré et seigneurie de Monstierneuf luy auroient esté prins et saccagés”. Il s’est réfugié à Pons avec un neveu, mais la ville a été “prinse par assemblée et le chasteau par composition”. Leurs chevaux et leurs armes ont été confisqués et ils ont versé une rançon de 500 écus, avec 400 autres d’emprunt. Il demande justice “contre ceulx qui ont tué ses prebstres et serviteurs domesticques, bruslé sa maison de Monstierneuf, coppé sa fourest du Port et levé ses fruictz” dont la perception a été confiée à Thibaud Guillon, sieur du Pas des Vaches, “soy-disant commissaire deputé par le prince de Condé”.
Remarque identique pour le beau prieuré de Saint-Nicolas de Mornac dont il ne reste rien. En 1572, le Bordelais Bernard de Suberville, chanoine de Saintes, dit avoir été pourvu de cet excellent bénéfice en 1568 et en avoir été “chassé” par les huguenots “et son eglise et maison prieuralle mises par terre, ses tresors, termes, registres, papiers et documens concernans le temporel prins, bruslés et emportés”. Ayant tenté, après la paix de Saint-Germain, de se réinstaller, il est expulsé par des gentilshommes des environs “qui se seroient assemblés, faict conspiration et coursses par plusieurs fois” pour le tuer ; ils l’ont tellement “intimidé qu’il n’oze se y retirer pour la crainte qu’il a de sa personne”.  

Entre août et décembre, la Saintonge brûle véritablement. Abbayes et gros prieurés subissent le sort de Montierneuf et de Mornac, à l’exception notable de Notre-Dame de Saintes, réservée aux femmes de la meilleure noblesse que leurs familles font enfermer là, sans doute à cause d’une foi ardente, mais aussi pour se dispenser de leur verser une dot légitime. Détruire le monastère et libérer les nonnes reviendrait à plonger dans l’embarras les familles des chefs huguenots. Aux “isles”, on n’épargne que les grands clochers du XVe siècle, indispensables aux marins , ainsi à Moëze où la nef seulement est “descouverte et rompue” et où la messe n’est plus célébrée entre 1568 et 1598 au moins. Les fidèles des églises rurales se réfugient parfois derrière les murs épais de leur sanctuaire et tentent de le défendre ; ce sont de multiples sièges anonymes dont le souvenir reste visible à cause des impacts des arquebusades qui ponctuent le tour des fenêtres : Jonzac, Barbezieux, Lonzac, etc... Mais la marée huguenote emporte tout. En septembre 1571, le notaire qui vient au Petit-Niort, près de Mirambeau, constate que le grand autel et les fonts baptismaux ont disparu, comme les maisons du prieuré ; il ne reste que les murs et la façade, privée de son fronton, particularité qui lui vaut de figurer dans la catégorie réduite des façades en “arc de triomphe”.

Le tour de France de Catherine de Médicis et de Charles IX
La cathédrale de Saintes saccagée

En publiant en 2001 une enquête relative à la démolition de la cathédrale de Saintes, j’avais noté que le document n’était que la copie d’un texte daté du 23 février 1570, c’est à dire de l’intervalle de quelques mois pendant lesquels les autorités légitimes avaient repris le contrôle de plus grande partie de la Saintonge ; dès le mois d’août suivant, le devoir d’oubli a envoyé l’original au feu. J’avais cru qu’il était propre à Saintes, chef-lieu de la sénéchaussée. Erreur. Il s’agissait d’une mesure générale imposée par le procureur général du Parlement. J’ai depuis trouvé mention, dans un inventaire de 1762 des archives (disparues) de la petite abbaye de La Tenaille , d’un “procès-verbal du 23 février 1570, des ruines des églises de Saintonge par les huguenots... Y jointe une inquisition secrète, aussi du 23 février 1570, faite à la requête du procureur du roi et du syndic du clergé”. Il y a donc eu ce 23 février 1570, partout où s’exerçait l’autorité, des démarches identiques, sauf à Trizay et dans les châtellenies que contrôlaient toujours les huguenots. Ajoutons-y une requête du 7 février 1571 par l’abbé Jacques Catrix au lieutenant général de Saintes, “à l’occasion de la ruine de lad. abbaye par les huguenots”, qui sollicite un délai pour réparer son église et ses bâtiments. Il y a certainement eu à Saint-Jean-d’Angély une enquête détaillée relative à la destruction de l’abbaye.
En ce qui concerne la cathédrale Saint-Pierre, retenons le témoignage du marchand Guillaume Guiet, un échevin catholique. “Au mois d’aoust 1568, la ville de Xaintes fut (prinse) par ceux de la nouvelle opinion... Estant en la ville, prisonnier, (il vit) que lesdits de la nouvelle religion faisoyent saper le portal de Nostre-Dame du grand temple de St Pierre de Xaintes. Et estoyent à estauter les sapes un nommé Palais, charpantier de St Eutrope, et trois jours apres, ledict qui depose entendit tomber ledict portal. Et avoyent ceux de laditte religion fait tomber le cœur de ladicte grande eglise un peu auparavant, tellemant que de presant elle est toute ruinée. Comme aussy sont toutes les autres eglises de la presante ville et fauxbourgs, et que des à presant il n’y a en la ville aucun temple que celuy des Jacobins pour prier Dieu, lequel lesdits de la Religion avoient laissé pour faire leur presche et assemblée. Pareillemant lesditcs de la Religion ont rompu et demoly toutes les eglises des parroisses du presant diocese où ils ont passé et esté les maistres. Dit aussi que les de la nouvelle opinion ont rompu et demoly l’evesché, ensemble toutes les maisons des chanoines de St Pierre de Xaintes, tellemant qu’aujourd’huy elles sont inhabitables. Et n’y ont laissé que les murailles, combien qu’auparavant elles fussent des plus belles et mieux logeables”. Seul, le clocher est respecté, les principaux habitants ayant fait observer à d’Andelot et à Coligny “que c’estoit une des belles marques de France”. Ces destructions s’accompagnent de l’incendie en place publique des titres et des ornements. Le chapitre avait fait charger tapisseries, vases sacrés et archives sur deux gabares pour les envoyer à Angoulême ; des traîtres - le chanoine Christophe Arrouhet ? - avertissent Jean de La Rochebeaucourt qui fait main basse sur le tout. Quant aux matériaux, ils sont volés ou vendus.

Le défaut de documentation fait que nous ne connaissons que rarement les noms des responsables. Notons cependant François de Beauchamp, seigneur de Bussac près de Saintes, puis un spécialiste, Jean Forteau, auquel l’enquête citée plus haut attribue la démolition du prieuré de Montierneuf et qui s’est, nous dit La Popelinière, chargé de celle de Saint-Michel-en-Lherm. Ce Jean Forteau, d’abord marchand, paraît originaire de Saint-Fort sur Brouage ; il s’installe à Soubise, s’engage dans le financement très rémunérateur de la pêche à Terre-Neuve, devient sieur de La Tour et se dit même écuyer en 1565. Il n’appartient pas au personnel de la haute justice mais ses amis les plus proches sont Me Jean Gaultier, le juge sénéchal (le “bailli”) du lieu, et, surtout, Me Henri Dieulefit, procureur fiscal pour Antoinette d’Aubeterre.

La cathédrale Saint-Pierre de Saintes, telle nous la voyons aujourd'hui, possède une histoire mouvementée
Aliénations et pillages
La côte saintongeaise, le Pérou des Rois de France

Cette troisième guerre est, répétons-le, une guerre totale, ce qui signifie que les impératifs financiers ont été décisifs. Les chefs huguenots n’ont pas choisi le Centre-Ouest par hasard. Les avantages de La Rochelle sont connus, mais il ne faut pas oublier que la côte saintongeaise, surpeuplée très active et tôt convertie, connaît un “Beau XVIe siècle” exceptionnel et négligé par l’histoire locale; elle est considérée comme le “Pérou des rois de France”, où s’accumulent les capitaux.
Le sel, indispensable, objet de chantage, devient le nerf de la guerre. Joseph de Valier, conseiller fugitif du parlement de Bordeaux, supervise les questions financières pour la Cause; c’est lui qui rançonne si férocement le prieur de Montierneuf en 1568. Destin étonnant ! Avant les troubles, il a participé à la répression de la “religion nouvelle” à Bergerac et à Sainte-Foy . En 1569-1570, ses anciens collègues le condamnent aux pires supplices, mais par contumace; il est exécuté “en figure”, ses biens vendus. Dès l’amnistie d’août 1570, il retrouve son office, fuit en Béarn lors de la quatrième guerre, et revient siéger à Bordeaux, comme s’il ne s’était rien passé. On devine l’ambiance.

Le pouvoir royal, aux abois, avait commencé à séculariser les biens de main-morte. Joseph de Valier n’ignore pas que le diocèse de Saintes est le plus riche de la province d’Aquitaine après celui, très vaste, de Poitiers. La décision de confisquer le temporel ecclésiastique local au profit de la Cause est prise en décembre 1568 par Jeanne d’Albret, Condé et Coligny . Les cloches qui ont échappé à la confiscation de 1548 ou qui ont été fondues depuis sont brisées, et le métal exporté vers l’Espagne. Un commissaire afferme ou vend les propriétés des “papistes fugitifs”. Bâtiments, terres, marais salants, forêts, sont mis aux enchères en 1569 ; il s’agit d’une énorme opération foncière, assez comparable à celle de la Révolution, à ceci près que les temps sont incertains, l’argent caché et la durée très courte, ce qui freine le zèle des acheteurs. En quelques mois, une partie du temporel ecclésiastique change de mains. Les textes qui concernent Trizay ont été publiés.
Ces aliénations sont entérinées par la paix de Saint-Germain. Le beau prieuré de Saint-Vaize a été vendu le 9 juin 1569, celui des Essards, le 4 juillet suivant à Pierre de La Tour, seigneur de Geay , qui reconnaît, dès 1571, en avoir fait “abattre” le logis, emporté le pressoir et “a pluspart des charpantes et estoffes” . Plus près de Saintes, François de Beauchamp, seigneur de Bussac, s’est emparé du prieuré de Jarry , ordre de Grandmont, a “faict demolir et abatre l’eglise et maisons du prieuré, et pour en faire perdre la memoire, transporté les ruynes et demolitions où bon luy avoit semblé, à son proufict. Et encores à present jouissoit de tout le domaine et aultre revenu d’icelluy prieuré soubz pretexte et couleur de l’achapt qu’il en avoit faict pendant les troubles des seigneurs princes de Navarre et de Condé”. Nul ne conteste ; “les officiers des lieux, par connivence, dissimulation ou aultrement ne tiennent compte d’en informer, au grand scandalle de chacun”.

“Pour en faire perdre la mémoire”. Cette obsession a été, plus tard, celle des acquéreurs de biens nationaux qui ont vendu les matériaux des monuments, sachant que la conjoncture pouvait se retourner et que les anciens maîtres viendraient alors demander des comptes. Les chapelles et les petits prieurés qu’on rencontrait partout ont aussi été les victimes ; seule la toponymie en conserve le souvenir.

Sablonceaux : que d'édifices malmenés...
Des démolitions prolongées

Les démolitions se sont prolongées jusqu’à la fin du siècle. Elles sont parfois le fait des soldats qui tiennent garnison dans des lieux inconfortables mais tenus pour stratégiques, à Trizay, par exemple. Les bâtiments religieux deviennent des carrières ; la pierre est vendue par les commissaires de Joseph de Valier pendant la troisième guerre, et elle est volée par la suite. Les temps ne se prêtent ni aux investissements, ni aux vastes projets ; et pourtant, on construit beaucoup, le plus vite possible. La plupart des propriétaires de seigneuries, nobles ou non, n’ont aucun droit aux fortifications, mais partout, avec autorisation ou non, ils multiplient les murs d’enceintes et les tours de refuge, tous travaux que Frédéric Chassebœuf a datés de ces temps troublés. L’insécurité est telle que chacun cherche à se protéger et, pour cela, il faut de la pierre. Celle des abbayes, des églises et des presbytères ne coûte rien. Il en résulte un grignotage prolongé et un dégât considérable. A l’extérieur, la croix hosannière, les pierres tombales gravées, parfois la clôture du cimetière, disparaissent aussi. Les tuiles sont vendues, comme la charpente, si elle n’a été brûlée. On s’attaque ensuite aux murailles : le fronton d’abord (Echillais), puis la façade, puis, progressivement, la nef, en direction de l’abside ; c’est pourquoi, à la fin du siècle, on trouve des bâtiments plus ou moins mutilés, parfois réduits au seul chevet (les prieurés de Trizay ou de Mortagne). Dans le meilleur des cas, l’édifice, découvert, reste abandonné, victime des intempéries et des pillards.

Dès 1570, la situation courante est celle des moines de la petite abbaye de Masdion : ”ilz n’ont aucun lieu pour administrer et faire le service divin ny auquel ilz se puissent retirer et loger à cause que pendant les troubles, tous les bastimens ont esté razés et n’y est demeuré que la place et marque toute seulle, chose fort pytoyable à veoir”. Des autres abbayes saintongeaises, à l’exception de Saintes, il ne reste presque rien ; il en est de même des gros prieurés comme Trizay. Il est exceptionnel qu’un tel désastre, résultat des passions d’un moment, mutile en si peu de temps le patrimoine monumental d’une région. Outre les restaurations parfois intempestives du XIXe siècle, on déplore généralement trois séquences malheureuses : la très longue guerre de Cent Ans, la Révolution et celle-ci qui est, de loin, la plus radicale. Que les chercheurs qui étudient notre héritage médiéval n’oublient jamais que celui-ci est exceptionnel, mais très incomplet. Le “blanc manteau” d’églises, d’abbayes et de prieurés qui habillait l’Aunis et la Saintonge a été irrémédiablement déchiré en 1568. 

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