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mardi 27 janvier 2015

Saintes : Bras de fer entre le Tribunal
de Commerce et Christiane Taubira

Les juges consulaires menacent de faire grève 
à nouveau, voire de démissionner 

Les juges consulaires sont en colère. Depuis des années, les gouvernements successifs cherchent à introduire des magistrats dans les tribunaux de commerce où la justice est rendue par des bénévoles depuis des décennies. Autrement dit, les chefs d'entreprises en difficulté, artisans ou commerçants sont jugés par leurs pairs. Ce qui, manifestement, n'est pas du goût de la Chancellerie. 


Le tribunal de commerce de Saintes présidera Roland Tevels
A chaque rentrée judiciaire, les tribunaux de commerce sont mécontents. Et pour cause, les ministres de la justice, quelles que soient leurs sensibilités, estiment que la justice commerciale devrait être rendue par des magistrats professionnels. Et non par des hommes et des femmes qui, certes, ont reçu des formations en devenant juges consulaires, mais ne sont pas issus de la docte école de la Magistrature.
En fin d'année, le projet de loi Macron a fait monter le ton d'un cran et partout en France, la levée de boucliers a été réelle. Et pour cause, Christiane Taubira n'avait pu confirmer que les dispositions relatives à la spécialisation des juridictions commerciales et l'instauration de chambres commerciales mixtes dans chaque cour d'appel seraient retirées du texte.
Les juges consulaires avaient alors réagi en suspendant purement et simplement leur activité juridictionnelle à compter du 8 décembre. Le message était clair : « Passer en force une réforme inadaptée est inacceptable. La volonté d'introduire de l'échevinage, c'est-à-dire nommer des juges professionnels au sein des tribunaux de commerce, et créer des juridictions spécialisées pour traiter les plus grosses affaires lorsque le nombre de salariés et le chiffre d'affaires de l'entreprise en difficulté sont supérieurs à certains seuils, demeure dans l'esprit de la ministre » expliquaient les responsables.
Pour l’instant, cette disposition ne concernerait que les Cours d’appel. Selon de récentes déclarations (et face à l'agitation), la Garde des Sceaux portera elle-même cette réforme début 2015 dans un projet de loi baptisé « la Justice du XXIe siècle ». Le texte précisera le nouveau statut des juges consulaires, des administrateurs et mandataires de justice, tout en annonçant la création de juridictions spécialisées pour les dossiers les plus sensibles. La mixité des juges devrait entraîner la mobilisation de quelque 300 magistrats, une mesure jugée coûteuse.


Il ne pouvait ne pas être question de cette "affaire" lors de l'audience de rentrée du Tribunal de Commerce de Saintes réuni sous la présidence de Roland Tevels.
Roland Caillet, vice-président chargé des procédures collectives, n'y alla pas par quatre chemins : « le projet de loi déstructure toutes les professions réglementées et en particulier celles qui touchent de près les tribunaux de commerce, les administrateurs et mandataires judiciaires. Nous ne pouvons pas mesurer les répercussions d'un tel changement sur le fonctionnement de notre institution et le suivi des dossiers. Nous comprenons que chaque profession a la nécessité de devoir se réformer pour améliorer son service, mais casser brutalement nos structures nous inquiète ».

 Roland Tevels : « Christiane Taubira veut des fonctionnaires partout » 

Le président Tevels abonda dans son sens : « L'année 2014 a été marquée par un climat d'incertitude qui n'a pas permis de remplir notre mission dans des conditions sereines. Le chaud et le froid ont été soufflés sur l'avenir de notre institution ». Réunis en février 2014, l'ensemble des tribunaux de commerce a voté une motion où ils regrettent la défiance envers l'institution séculaire, inacceptable et injustifiée. Ils refusent également l'échevinage au niveau des Cours d'appel qui n'apporte pas la "preuve de son utilité". « Nous avons cessé nos activités le 8 décembre. Le 11 décembre, la conférence des juges consulaires a demandé une suspension de ce mouvement en raison de la réduction des dispositions relatives aux tribunaux de commerce dans le projet de loi remis au conseil des ministres. Un nouveau projet de loi a été initié par la Chancellerie. Nous sommes dans l'attente des futures discussions ». 
Les choses n'avançant guère, les présidents se sont réunis à nouveau le 8 janvier dernier pour définir leur position (approuvée par 121 responsables). Y sont mentionnés le refus de l'échevinage au niveau des Cours d'appel, tout échevinage sous quelque forme que ce soit ainsi que l'opposition à une spécialisation automatique des dossiers de procédures collectives. « Notre mouvement peut reprendre à tout moment, seule reste à fixer la date. Ce sera le dernier et il ne pourra s'interrompre qu'après avoir obtenu satisfaction. Si le blocage est trop long, nous démissionnerons tous. Il y a une volonté politique de supprimer les tribunaux de commerce dans leur forme actuelle. Mme Taubira veut des fonctionnaires partout. Elle ne peut écheviner par manque de moyens. Elle l'a dit : écoutez, on est désolés, on voudrait bien vous remplacer mais on n'a pas un sou. On verra plus tard ». Evidemment, cette "sortie" a été largement reprise par les médias. Et Roland Tevels d'ajouter : « ce qui est remis en cause, c'est l'idée même du bénévolat. L'exemple donné par la classe politique indique clairement que ce don de soi, cette notion d'altruisme est une attitude qu'elle ne peut intégrer dans son mode de fonctionnement. Pourtant ce pays ne serait pas ce qu'il est sans la générosité de millions de bénévoles ».
Autrement dit, le torchon brûle entre les tribunaux de commerce et Christiane Taubira. L'avenir nous dira si un dialogue constructif pourra s'instaurer. Si les tribunaux venaient à faire grève, ce serait évidemment une catastrophe, et pour les entreprises en difficulté, et pour l'ambiance qui deviendra rapidement délétère…


Philippe Coindeau, procureur, souligna les importants changements qui touchent notre environnement. « Le monde est en mutation, les tragiques événements que nous venons de vivre le montrent. On ne peut construite le monde d'aujourd'hui avec les outils d'hier. Les juridictions consulaires sont sans cesse remises en cause. Il est important de stabiliser les institutions avec des lois pérennes qui éviteront des crises tous le six mois ». Les regards des participants se tournèrent vers les parlementaires, Catherine Quéré en particulier. Elle a compris le message ! Philippe Henri Lafont, bâtonnier, rappela que les avocats combattaient, eux aussi, la loi Macron qui cherche à démanteler certaines professions pour y substituer la loi du marché : « seule une profession organisée est en mesure d'assurer les missions de service public et défendre les droits des citoyens. Je ne suis pas sûr que la loi du plus fort permette de défendre les plus faibles ».


• Cellule de prévention contre le suicide : deux reportages télévisés en préparation  
Créée par Marc Binnié, greffier, et des professionnels de santé (Les passagers du temps sous la responsabilité de Jean-Luc Douillard et Nathalie Delabarre), elle apporte un soutien psychologique aux entrepreneurs en souffrance. Une première en France qui a fait boule de neige puisque l'initiative a été reprise par d'autres tribunaux (des conventions pourraient être signées avec Amarok, observatoire de santé morale des entrepreneurs, et l'association 60.000 rebonds). France 5 va d'ailleurs consacrer un reportage à ce dispositif ainsi que France 2 dans son émission Envoyé Spécial. Le principe est simple : tout dépôt de bilan engendre un traumastime et peut entraîner un suicide par manque de dialogue. Par l'écoute, le groupe lui vient alors en aide ainsi qu'à ses proches.
Cette année, l'association est devenue APESA 17. Outre les membres fondateurs, elle regroupe la CCI, la Chambre des métiers, l'Union patronale et le Barreau de Saintes, avec le soutien de l'ARS et de la Région Poitou-Charentes. Entre décembre 2013 et fin 2014, 90 personnes y ont été accueillies, soit 25% du nombre de procédures. L'administration de cette cellule est assurée gratuitement par le greffe.

 • L'activité du Tribunal :
Dominique Amblard, responsable de la chambre des contentieux : On note 286 affaires nouvelles, soit une hausse de 4% par rapport à 2O13 et 271 affaires traitées, soit une baisse de 10,86%. Les redressements judiciaires ont progressé de 37%, les liquidations ont baissé de 3%. Le stock des affaires en cours a augmenté. L'audience publique se tient les 1er et 3e jeudis du mois.
Selon Roland Caillet, vice-président, 2014 a été marquée par une hausse de 15,69% du nombre d'ouvertures de procédures et de 72% du nombre d'ouvertures de sauvegarde. Prévention des difficultés des entreprises (Janik Martin) : hausse de 13,41% du nombre de convocations.

• Roland Tevels préoccupé : « Si nous sommes appelés à suspendre nos activités, cela retombera sur le TGI qui se trouvera contraint de prendre le relais. Cette perspective inquiète le président Brossard et je le comprends. Nous lui demandons de nous excuser et de ne pas nous en tenir grief. Nous devons sauver notre institution ». Stéphane Brossard est compréhensif : « nous avons connu la même chose l'an dernier quand il a été question de supprimer le TGI de Saintes pour un tribunal départemental ».

• Les juridictions commerciales ont totalisé plus de 67000 procédures collectives en 2013. Les greffiers des tribunaux de commerce sont solidaires de l'action des juges consulaires. Pour eux, cette loi fait planer des risques sur l'emploi dans les greffes. La France compte 3200 juges consulaires bénévoles, tous issus du monde de l'entreprise ou du commerce.

• Gérard Saliba, ancien président du Tribunal de Commerce, recevra prochainement la médaille du Mérite. Les préparatifs vont bon train.

• Les Tribunaux de Commerce et de Grande Instance ont toujours joué la carte culturelle. Ainsi, ont été exposées dans la salle des pas perdus les photos de Jean Lacourieux-Bory illustrant le très beau livre "Petit Patron" et, actuellement, les clichés d'une dizaine de photographes sur le thème : "le palais de justice sous toutes les coutures" à l'occasion de ses 150 ans. Des remerciements ont été adressés à Marc Binnié et Jacky Astuto pour l'organisation. Entrée libre.


• Le portail des juges, outil informatique performant, permet aux professionnels de travailler à leur domicile en ayant accès directement aux documents.

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