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samedi 20 décembre 2014

Café philo des Feuillets d'automne
Comment faire évoluer l’école ?
Très bonne question,
merci de l'avoir posée !

« Je ne travaille pas pour apprendre, mais pour avoir de bonnes notes » 

En choisissant ce sujet brûlant pour thème du café philo, dernier rendez-vous des Feuillets d‘automne, Jeannine Belot (qui fut elle-même enseignante) ne s’y est pas trompée : le sujet a passionné les nombreux participants qui avaient - on s’en doutait - des positions contrastées. 

Fidèle au poste, Franck Chanedieras, professeur de philosophie avait devant lui des jeunes et des moins jeunes venus apporter leurs points de vue sur l’école. Cette belle école de la République censée gommer les inégalités et offrir une chance tous ses enfants. Beau projet sur le papier, mais qu’en est-il dans la réalité ?

Franck Chanedieras, professeur de philosophie à Jonzac
L’école actuelle est-elle en phase avec la société ? A-t-elle gravi les marches avec elle ? Outre les nouvelles technologies qui supplantent le tableau et la craie, l’arrivée des calculatrices, puis des tablettes à l’université pour répondre aux QCM (questionnaires à choix multiples) est une vraie révolution. L’école se modernise, mais quelle sa situation exacte ? Instruit-elle le plus grand nombre ou favorise-t-elle les individualités ?
Une évidence s’impose : contrairement au siècle passé où l’élève devait avoir des acquis multiples et variés, le lycéen du XXIe siècle est appelé à avoir un esprit de synthèse critique, donc à commenter plutôt qu’à être inféodé à une transmission « classique » des connaissances. Il forge ainsi sa propre personnalité à travers les méandres de l’intoxication politique et médiatique (les journaux télévisés étant les champions en ce domaine)…


Le débat ne pouvait éviter une comparaison entre l’école d’hier et celle d’aujourd’hui. Faut-il regretter le temps d’avant quand le certificat d’études vous assurait d’une solide culture générale ? Même dans les fins fonds de campagne, nos aïeux avaient cette base qui leur permettait d’affronter l’avenir. Ils la devaient à leurs maîtres, des gens durs parfois, qui n’auraient jamais baissé les bras pour assurer la réussite des générations futures.
De nos jours, la dégringolade est réelle : 150.000 jeunes sont frappés d’illettrisme. Que s’est-il passé dans l’école pour en arriver là ? La question est embarrassante : « il ne faut pas tout attendre d’elle et la famille a un rôle déterminant à jouer ». Pas de chance, elle aussi a subi des chamboulements.

Accueil au Casino par Philippe Loriot

Parmi les participants, d’anciens enseignants tirent à boulet rouge sur la fameuse méthode de la lecture dite globale. Elle aurait fait des ravages. Et l’histoire qui ne s’inscrit plus dans un ordre chronologique ? Peut-on étudier Louis XIV avant César ? Un élève réagit : « Plus que les dates et le par cœur, nous apprenons à situer le contexte ». Autrement dit, rien ne sert de mémoriser 1515 si l’on ne sait pas pourquoi François 1er a gagné Marignan !
La qualité de l’enseignement est sur le devant de la scène. Avec la grande question qui fâche : Pourquoi certains professeurs sont-ils meilleurs enseignants que d’autres ? « Parce qu’à une époque, on manquait d’enseignants et qu’on a recruté chez les volontaires. Certains, ayant échoué dans leurs filières, se sont rabattus sur l’Education Nationale. Les uns étaient bons en maths et moins en français et réciproquement. Le temps passant, on a élargi leur champ d’activités en leur demandant des spécificités dès l’école primaire. Quelques-uns ont été dépassés. C’est pourquoi la réforme des rythmes scolaires, avec ses intervenants extérieurs, est une initiative intéressante » explique un ancien formateur.
Les jeunes écoutent : ce qu’ils veulent, c’est avoir les bons « bagages » pour réussir leur vie future. Ni plus, ni moins. Ils ont bien conscience que le système n’est pas adapté à tous, mais ils n'y sont pour rien. Ils se veulent réactifs : les outils modernes (internet) les aident à compléter leurs recherches. Ils leur ouvrent de nouveaux horizons. De plus, surtout s’ils appartiennent à un milieu modeste, la prestation est totalement gratuite (à part l’abonnement à la box !).

Dans la salle, les générations témoignent. Il y a ceux qui n’ont eu aucun problème pour trouver du travail et leurs descendants qui angoissent à l’idée de décrocher leur premier job. Pourquoi l’entreprise n’est-elle pas plus présente dans la vie des élèves ? « Il devrait y avoir des ponts ! » s’exclame un sexagénaire. Il existe bien des stages en fin de troisième : qu’apportent-ils ? Les employeurs sont-ils prêts à faire de la pédagogie ?
Il est aussi question d'apprendre à faire des CV, à se présenter, bref à entrer sur le marché du travail. Les lycéens s’y préparent. Pour y parvenir, ils jouent des coudes. Certains "anciens" sont un peu consternés. A leur époque, en effet, la quête de l'emploi était nettement plus facile. Il n'en reste pas moins que ces attitudes sont intéressantes car elles démontrent les effets pervers d'une perspective de chômage sur les jeunes...


Les effets regrettables d’une mauvaise orientation 

Parce qu’elle en est le cœur, l’école a dû évoluer en même temps que la société. Comme certains ados, elle a peut-être grandi plus vite que son pantalon. Ses chevilles ainsi dévoilées démontrent que les avancées l’ont un peu déconcertée, l’Education Nationale n’étant pas connue pour être avant-gardiste.
Les filles par exemple : elles prennent la parole, analysent les situations et occupent une place que leurs aînées, à quelques exceptions, n’auraient pas osé prendre. « Nous avons l’esprit de compétition. Je ne travaille pas pour apprendre, mais pour avoir de bonnes notes parce que notre avenir sera conditionné par la qualité de notre dossier scolaire. C’est comme ça à partir du collège » avoue un lycéenne. Les garçons acquiescent : les filles sont devenues leurs meilleures rivales … dans toutes les disciplines. La justice s’est beaucoup féminisée, la médecine ou l’enseignement. Fini l'époque où la femme était au foyer et élevait ses enfants. Aujourd'hui, les jeunes filles entendent compter professionnellement au même titre que leurs collègues masculins. Sur ce chapitre, elles réalisent des avancées notoires. Toutefois, il est des secteurs où les places stratégiques leur sont rarement destinées (et ne parlons pas de l’égalité des salaires !).

Le point de vue de la proviseure du lycée
Maylis Laferrère, proviseure du lycée Jean Hyppolite, fit part des difficultés rencontrées en matière d’orientation. Ainsi, des jeunes, par manque de place ou d’aiguillage réel, se retrouvent en seconde générale alors qu’ils souhaitaient une formation professionnelle. Conséquence, ils sentent mal dans l'enseignement général et redoublent. Ils finissent par intégrer une première - la S restant la panacée - sans grande conviction : « L’épanouissement de ces jeunes, qui sont mal orientés, s’en ressent. Il devient de plus en plus difficile de trouver des apprentissages ». Chaque élève a ses propres atouts : les uns feront des études longues, les autres deviendront artisans, commerçants ou bien artistes, peintres, musiciens. La société est multiple et c’est là que réside sa richesse : « le système ne met pas assez en valeur les qualités des élèves. Certains se révèlent tardivement. De plus, il n'y a pas assez de place pour l'oral par rapport à l'écrit ». Et d’ajouter : « nous avons d'excellents professeurs »…
A l’heure où le Ministère entend faire reculer le décrochage scolaire, un élève explique que déceler et aider les enfants qui souffrent de handicaps est une priorité. Les auxiliaires de vie scolaire en sont chargés.

Comme vous pouvez en juger, les échanges, encadrés par Franck Chanedéiras, ont été animés. Oui, l’école s’est modernisée et elle peut sans doute faire mieux faire. Cependant, elle n’est pas seule à décider et tout sujet sensible précipite dans la rue les contestataires. Etre ministre de l’Education Nationale n’est pas évident et les prédécesseurs de Najat Vallaud-Belkacem en savent quelque chose ! Dégraisser le mammouth, selon l’expression de Claude Allègre, peut provoquer une guerre du feu ! Lors de ce café philo, on a bien senti que les deux camps n’étaient pas sur la même longueur d'ondes. Cela ne tient pas à la façon de transmettre les savoirs, mais à la situation que vivent les adolescents qui les rend plus mûrs et surtout plus pragmatiques. Contrairement à ce qu’écrivait Rimbaud, « on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », les élèves d’aujourd’hui sont réalistes sur le monde qui les attend…

Jeunes et moins jeunes témoignent !



Nicole Bertin

• Il fut aussi question de la durée du temps de travail en classe. Après huit heures de cours, les jeunes sont fatigués : « cela ne nous laisse guère de temps pour se changer les idées ». De là à regarder vers d’autres pays où l’après-midi est consacré aux activités sportives et de loisirs…

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