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vendredi 21 novembre 2014

Les clés du bonheur
selon Christophe André, psychiatre : Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?

• Journées de la psychiatrie Royan/Saujon :  



Chez les psychiatres, on appelle l’aptitude au bonheur « la psychologie positive ». La Terre n’étant pas un jardin d’Eden, ses habitants éprouvent parfois du stress et leur humeur s’en ressent. En découlent des tensions, voire des dépressions (les burn out) et le célèbre record européen, détenu par les Français, de la prise d’anxiolytiques et psychotropes censés atténuer les angoisses profondes. Comment faire pour se lever chaque matin en se disant : je pars du bon pied ? Faut-il prendre ces médicaments qui modifient l’humeur pour être plus joyeux et empêcher le ciel de tomber ?
Dans le cadre des journées de la psychiatrie organisées à Royan/Saujon, le dr Christophe André, célèbre psychiatre et auteur de best-sellers notamment aux éditions Odile Jacob, avait choisi pour thème de sa conférence « les clés du bonheur ».
La salle du palais des congrès de Royan était pleine. Et pour cause, les participants attendaient des réponses à leurs questions.  Le bonheur possède une belle définition : « état de plénitude absolue » ! Comment atteindre ce degré en lien avec nos émotions ? Ironique, l’écrivain Jules Renard avait sa formule : « si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d’attente » ! Abraham Lincoln était plus optimiste : « en général, les gens sont heureux dans la mesure où ils décident de l’être ! ». A chacun sa voie. Ecoutons les judicieux conseils de Christophe André…

Deux éminents psychiatres : Christophe André (à droite) et Jean-Pierre Olié
La psychologie positive 

Longtemps, on a cru que le bonheur était lié au tempérament, qu’il y avait des grincheux, des joyeux, des optimistes et des pessimistes comme chez Blanche Neige et les sept nains. La marge de manœuvre était donc étroite.
Aujourd’hui, des études prouvent que ce n’est pas forcément vrai : les premières années de notre vie, par exemple, influencent non pas notre destin, mais les automatismes, ce dont vers quoi nous irons si nous ne faisons pas d’efforts. En conséquence, si vous avez des parents peu doués pour le bonheur, vous risquez fort de les imiter ! « Nos attitudes à nous sentir heureux dépendent de notre volonté à agir en ce sens. Se rapprocher du bonheur ressemble à un entraînement physique. Nous pouvons décider de moins nous énerver, de prendre la vie du bon côté. Ça ne marche pas forcément du premier coup ! », souligne le Dr André.


Cet entraînement à réguler nos émotions s’inscrit dans la neuroplasticité. En effet, le cerveau peut évoluer sous l’effet de certaines sollicitations. Il ne s’agit pas de tout positiver, mais de trouver un équilibre. Le secret du bonheur ? « Soyez présent à chaque instant de votre vie, généreux et bon avec vos proches, ne cultivez pas de ressentiment, rapprochez-vous de la nature. Le vrai problème, ce n’est pas ce que je sais, mais ce que je fais, ce que je mets en application », explique le conférencier. La psychologie positive permet d’affronter les difficultés, mais elle ne doit pas conduire à un déni de la réalité. Les émotions positives apportent des bénéfices dont l’impact que nous avons sur la vision du monde. Les deux répertoires émotionnels, positifs et négatifs, sont nécessaires. Lorsque nous sommes de bonne humeur, nous sommes capables de replacer nos préoccupations dans un contexte général et de prendre du recul.  Le bonheur ne rend pas égoïste. En effet, c’est la colère qui entraîne un repli sur soi-même. Inversement, les comportements altruistes augmentent le bien-être et la fréquence des émotions positives. « Nous sommes des animaux sociaux ! Dans le cerveau, nous avons une machine à récompenser les comportements d’entraide. Sinon, les hommes ne seraient jamais devenus les plus grands prédateurs de la planète », constate le Dr André.

Penser positivement a des répercussions sur la santé. Le stress augmente le rythme des pulsations cardiaques. Au contraire, voir un film comique est apaisant. Quand on a des soucis dans la vie, comment faire pour qu’ils lâchent prise ? Le Dr André préconise de se rappeler « les bons moments de l’existence » qui seraient alors réparateurs.


Une étude faite aux USA, dans une communauté religieuse, est révélatrice. Les chercheurs ont d’abord travaillé sur les lettres de motivation des jeunes femmes qui voulaient entrer dans les ordres. Ils ont compté le nombre de mots y exprimant un engagement positif. Ensuite, ils ont regardé leurs dossiers médicaux et constaté que 25% des sœurs ayant la « cool » attitude avaient une longévité importante. L’étude globale a porté sur 20.000 sujets suivis pendant 20 ans. « Les émotions positives sont l’un des nombreux moyens de rester en bonne santé, comme l’alimentation et les exercices physiques. Elles ont un effet cardioprotecteur ». Le courroux, quant à lui, est mauvais pour le cœur !

« Jules Renard a écrit : le bonheur, c’est le silence du malheur. Pour une fois, je ne partage pas son interprétation. Le bonheur, c’est autre chose. L’absence de bien-être peut présenter un facteur de risques pour la survenue d’épisodes dépressifs chez les 50-60 ans. Il existe des exercices simples : travailler sur la gratitude, penser à soi, aux belles choses de la journée avant de s’endormir, se centrer sur les qualités dans notre vie, ses points forts et essayer de les mettre en application. Toutefois, il est inutile de toujours vouloir positiver, sinon on risque d’aggraver la situation », remarque le Dr André. Victor Hugo disait que « la culpabilité n’empêchait pas de commettre des mauvaises actions, mais d’en profiter tranquillement après » ! A chaque individu de rechercher ce qui fonctionne bien dans sa vie et d’en extraire les éléments le plus favorables à son épanouissement.


 Attention à ne pas succomber au charme des écrans !  

 Les progrès technologiques peuvent-ils conduire à des régressions ? L’intrusion des sollicitations digitales, smartphones, consoles, télé, tablettes est certes une chance extraordinaire, mais elle entraîne des carences. « Le temps que nous passons devant les écrans est retiré à nos proches. Il entre aussi en compétition avec le repos. Ce n’est pas anodin. Il y a dans notre cerveau des zones spécifiques qui s’activent quand on se détend. Au départ, on pensait à une fonction ralentie. Il est bien possible qu’au contraire, le cerveau y effectue des coopérations précieuses, l’analyse des événements, des expériences, etc. Nous sommes trop attachés aux écrans. Combien de parlementaires sortent leurs smartphones lors des débats à l’Assemblée ? Les jeux, l’envoi de SMS ou de mails durant une activité ont une conséquence sur la qualité de nos opérations mentales. Ils multiplient les fautes et altèrent la concentration. D’après un récent rapport, moins les gens sont attentifs à ce qu’ils font, plus ils ont des chances de se trouver dans un état émotionnel négatif. Le fait de rester centré sur son travail, sans dispersion, leur procure par contre un état émotionnel agréable. Notre bonheur ne dépend pas que du passé ou des événements de vie, mais de la pollution permanente digitale qui règne dans nos existences. Il faut apprendre à s’en protéger. Conclusion : chaque fois que vous ne faites rien, essayez de laisser votre réseau cérébral en paix, soyez dans la non action. Pas la peine de vous acharner sur votre clavier. Laissez votre cerveau souffler, essayez de lui offrir des plages de continuité en fermant votre portable. Faites une seule chose à la fois. Les philosophes disent qu’être heureux, c’est être conscient à chaque instant de sa vie », conseille le Dr André.
Message pertinent, en effet, mais combien d’entre nous sont-ils réellement disposés à laisser tomber leurs portables ?…

Nicole Bertin




Un nombreux public, prêt à être heureux, réuni au palais des congrès de Royan
• La bonne proportion : 
une émotion négative pour deux ou trois positives ! 


• Le bonheur serait-il de ressentir toutes les émotions ? Dans un récent article du New York Times, Gabriele Oettingen, professeur de psychologie à l’Université de New York et de Hambourg et auteur de « Repenser la pensée positive : au cœur de la nouvelle science de la motivation » explique que plusieurs études menées par son équipe montrent que la pensée positive à « tout prix » pourrait être contre productive. Elle tromperait les esprits dans la mesure où elle conduirait à percevoir les objectifs comme déjà atteints, ce qui diminuerait la motivation à les atteindre. A l’inverse, le fait de penser de manière trop centrée sur les obstacles et le négatif produirait des résultats similaires. La meilleure attitude serait donc ce qu’elle appelle le « mental contrasting » que nous pourrions traduire par « contraste mental ». Cela consiste à adopter une position intermédiaire, hybride, entre la pensée positive et le réalisme. Les études les plus récentes montrent que le fait de penser positif est certes plaisant, mais qu’il n’est pas bon pour nous et minore nos résultats.


• Les traditionnelles journées de la psychiatrie, organisées par le comité que préside le Dr Olivier Dubois, psychiatre à Saujon, et le Rotary club de Royan, sont importantes parce qu’elles regroupent des professionnels de renom, spécialistes, généralistes, gériatres, psychiatres, neurologues et autres activités médicales. Cette année, le thème gravitait autour du bonheur dont il faut rechercher les clés : « Lors de ses consultations, le médecin rencontre des patients qui expriment leurs craintes, leurs souffrances, qu’elles soient psychiques, physiques ou morales ou spirituelles. Il n’est pas rare d’avoir en face de nous un patient avec qui nous allons aborder la notion de bonheur en réponse à la frustration, au mal-être, à la maladie », explique Dr Christophe André, psychiatre.


•  Christophe André a dédié sa communication à Jean-Pierre Olié, chef de service à l’hôpital Sainte-Anne durant de nombreuses années. Il a eu « le grand mérite de m’accueillir dans son services en me laissant les coudées franches », dit-il.

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