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vendredi 14 novembre 2014

Jean-Marie Matagne, président d’ACDN,
commente la tribune officielle
du ministre des Affaires étrangères,
Laurent Fabius

• Point de vue 

A l’heure où la France commémore la boucherie de 1914-1918, où le président de la République entend faire des économies partout sauf dans son armement nucléaire, où quelque 150 Etats parmi lesquels, pour la première fois, les Etats-Unis et la Russie, sont attendus à Vienne les 8 et 9 décembre prochain, au coeur de cette Europe ravagée par deux guerres mondiales, pour la troisième conférence intergouvernementale consacrée à “l’impact des armes nucléaires sur l’humanité”, c’est-à-dire à leurs effets catastrophiques et inhumains, que fait la diplomatie française ?
Que propose son chef ? Il propose d’autoriser les cinq Etats nucléaires membres permanents du Conseil de sécurité, dont la France, à préparer des crimes de masse et à les commettre en toute impunité.

 • C’est ce que révèle une tribune officielle publiée par Laurent Fabius sur le site de son ministère. En effet, le ministre des Affaires étrangères, reprenant la “proposition à la fois ambitieuse et simple” du président de la République devant l’Assemblée générale de l’ONU le 24 septembre 2013, proposition d’après laquelle “lorsque le Conseil de sécurité aurait à se prononcer sur une situation de crime de masse, les membres permanents s’engageraient à suspendre leur droit de veto”, a tenu à préciser dans sa tribune que “pour être réaliste, ce code (de conduite) exclurait les cas où seraient en cause les intérêts vitaux nationaux d’un membre permanent du Conseil”.

 Ainsi, pour Laurent Fabius, les massacres de masse doivent être condamnés unanimement et combattus quand ils sont perpétrés par des moyens chimiques et par un Etat non doté d’armes nucléaires, mais pas quand ils sont exécutés par un Etat doté d’armes nucléaires et d’un siège permanent au Conseil de sécurité. Le ministre admet implicitement que les armes nucléaires sont des instruments de “crime de masse”. Mais la France, qui justifie toujours les siennes par la défense de ses “intérêts vitaux” – elle est seule à le faire en ces termes -, devra pouvoir, “par réalisme”, les utiliser en toute impunité. Il faut lui laisser la possibilité, en pareil cas, d’invoquer ses “intérêts vitaux” pour opposer son veto à toute sanction de la part de la communauté internationale.
Du coup, elle autorise ses collègues du “club des Cinq” à user du même alibi pour massacrer impunément sa propre population ! Le crime contre l’humanité est donc interdit, sauf aux cinq puissances nucléaires membres permanents du Conseil de sécurité… dont, et c’est là l’essentiel, semble-t-il, la France. “Patrie des droits de l’Homme”, comme chacun sait.

Cette tribune remonte à plus d’un an. Elle date du 4 octobre 2013. Ses implications logiques n’ont été relevées par personne à l’époque (sauf ACDN, qui les dénonça aussitôt dans un texte de résolution adressé au réseau “Sortir du nucléaire”). Elle est toujours présente, à ce jour, sur le site du ministère des Affaires, dont elle continue donc d’inspirer l’action. Chacun peut s’y reporter et relever ces étonnants aveux ministériels : - les armes nucléaires sont bien des armes de “crimes de masse”, - la France revendique pour elle-même et ses pairs du Conseil de sécurité dotés d’armes nucléaires, le droit de les utiliser, - en pareil cas, elle réserve pour elle-même comme pour eux le droit d’user de leur “veto” pour s’opposer à toute condamnation et toute sanction internationales, - la France se place au-dessus des lois morales de l’humanité, des droits de l’Homme, et du droit international : article 6 du Traité de Non Prolifération, avis consultatif de la Cour Internationale de Justice du 8 juillet 1996, Charte des Nations Unies…
En effet, l’Assemblée générale de l’ONU « considérant que l’emploi d’armes nucléaires et thermonucléaires entraînerait pour l’humanité et la civilisation des souffrances et des destructions aveugles dans une mesure encore plus large que l’emploi des armes que les déclarations et accords internationaux (…) proclamaient contraires aux lois de l’humanité et criminelles aux termes du droit international », a déclaré formellement, dès 1961, que « tout Etat qui emploie des armes nucléaires et thermonucléaires doit être considéré comme violant la Charte des Nations Unies, agissant au mépris des lois de l’Humanité et commettant un crime contre l’Humanité et la civilisation. » (Résolution 1653 XVI du 24 novembre 1961)

Dans ces conditions, on comprend que la France ne veuille pas se rendre à Vienne, pas plus qu’elle n’a voulu se rendre aux deux précédentes conférences sur “l’impact humanitaire des armes nucléaires”, en Norvège (Oslo, 3-4 mars 2013) et au Mexique (Nayarit, 13-14 février 2014) . Il lui faudrait défendre, devant un vaste parterre de gouvernements et d’ONG indignés, sa stratégie dite “de dissuasion nucléaire”. Cette politique à la fois militairement absurde, financièrement ruineuse, politiquement inacceptable, humainement criminelle, bref, aberrante, est aussi lâche et hypocrite. Mais combien de temps la diplomatie française tiendra-t-elle encore cette attitude ? La France ne va-t-elle pas finir par reconnaître que l’interdiction des crimes de masse implique l’abolition des armes nucléaires, les siennes comprises ? Ce serait faire preuve de logique, de lucidité, de “réalisme”, voire de courage, que de remettre en cause cette politique, qui défie l’humanisme comme la simple raison. 

Comme dirait un éminent auteur qui mérite d’être cité in extenso (voir ci-dessous), “une telle évolution, simple à mettre en pratique, permettrait de préserver l’essentiel, la crédibilité de ce pilier de la paix et de la stabilité que doit être le Conseil de Sécurité. Elle exprimerait la volonté de la communauté internationale de faire de la protection de la vie humaine une priorité effective. Elle restaurerait la primauté de la discussion et de la négociation constructive. Elle éviterait que les Etats deviennent eux-mêmes prisonniers de leurs positionnements de principe.”

 Rendez-vous donc à Vienne, Monsieur Fabius, pour nous y faire entendre cette grande nouvelle : la France redevient “la patrie des droits de l’homme”. Et de Descartes, peut-être, si tant est que Descartes ait été “cartésien”. Comme vous le disiez il y a un an, Monsieur le ministre : pour en finir avec les crimes de masse, “il existe aujourd’hui une fenêtre d’opportunité. Saisissons-la.” 

Jean-Marie Matagne le 11 novembre 2014 

•  Jean-Marie Matagne : Citoyen français, citoyen du monde ; Président de l’Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN ; docteur en philosophie.

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