Actuellement environ 20 000 personnes se prostituent en France dont environ 85 % de femmes. En 1990, environ 20 % d’entre elles étaient de nationalité étrangère. Elles sont aujourd’hui près de 90 % venues notamment des Pays de l’Est, d’Afrique et de Chine.
Rosen Hicher a exercé le plus vieux métier du monde en France, une expérience douloureuse qu’elle a racontée dans un ouvrage où elle livre des confidences. S’exprimant avec franchise, rompant avec la loi du silence, elle y explique comment une femme en arrive à vendre ses charmes pour subsister, sans occulter la dure réalité de celles qui se retrouvent démunies sur le trottoir, sous la coupe des souteneurs qui se moquent bien de leur santé et de leurs sentiments.
Après avoir été favorable à la création de maisons contrôlées qui établiraient une charte de bonne tenue et assureraient le suivi médical de ses « occupantes », Rosen Hicher ne voit qu’une issue pour briser l’hypocrisie ambiante : que les clients soient pénalisés financièrement.
La législation n’évoluant guère, elle a entrepris en septembre dernier un long périple à pied de Saintes (Charente-Maritime) jusqu’à Paris. Elle a tenu bon, contre vents et marées. Cette action symbolique a largement été relayée. Aujourd’hui, elle interpelle les Sénateurs et lance une pétition en ligne qui a déjà recueilli de nombreuses signatures. « Nous devons nous mobiliser. Ce que vivent les prostituées est inacceptable dans le pays des droits de l’homme dont les principes sont basés sur l’égalité, la liberté et surtout la fraternité, donc sur l’attention que nous devons porter à l’autre »…
Elle répond à nos questions.
Salon du livre de Pons : Rosen Hicher, venue en famille, y présente son ouvrage paru aux éditions Bordessoules |
Je suis partie de Saintes le 3 septembre pour arriver à Paris le 12 octobre. J’ai vécu de beaux moments, de belles rencontres. Contrairement à ce que je pensais au départ, j’ai rencontré sur mon parcours des personnes qui comprenaient mon combat, mon engagement. Je savais pouvoir rejoindre la capitale. Il s’agissait d’un engagement physique important, mais j’ai déjà couru des marathons, fait les 24 heures de marche de Montguyon. Seuls des problèmes de santé auraient pu m’arrêter. Heureusement, tout s’est bien passé… à part quelques cloques !
J’ai effectué 900 km, soit 34 étapes en m’accordant quelques jours de repos. Je ne me suis jamais sentie seule. Un homme m’a accompagnée sur une douzaine d’étapes tandis que d’autres m’encourageaient sur mon passage. Grâce à Facebook, on pouvait savoir où je me trouvais, quelles étaient les nouvelles du jour. C’est un formidable réseau.
Rosen a reçu de nombreux témoignages de sympathie |
Je ne m’attendais pas à être reçue comme ça. Avec la presse, il y avait beaucoup de monde dont Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des droits des femmes. J’ai été sensible à sa venue. Une dizaine de prostituées étaient également présentes.
• Votre marche a été jonchée d’épreuves…
Outre un accident impliquant trois voitures à Bourges dont j’ai été témoin, mon fils est tombé gravement malade d’un pancréatite pendant que je marchais. Heureusement, son état s’est amélioré. Il se trouve actuellement à Saint-Jean d’Angély.
• Durant votre marche, vous vous êtes arrêtée dans les villes où vous vous êtes prostituée dans le passé ?
En effet. Il y a Saintes, Rochefort, La Rochelle, Chateauroux, Loudun, Bourges, Vierzon, Blois, etc. J’ai été reçue dans toutes sauf dans une ville où l’un des élus était un ancien client.
• Vous l’avez mal pris ?
Oui, parce que c’est un signe de lâcheté et une telle attitude me met en colère. Certains hommes n’assument pas leurs actes. Ceci dit, tous ne fréquentent pas des prostituées. A une époque, j’avais calculé que seuls 8 à 9% des hommes étaient des clients assidus. C’est assez peu, mais ils reviennent ! Ils ne cherchent que le sexe et n’éprouvent donc aucun sentiment.
• En ce qui concerne la pénalisation des clients, le Sénat semble avoir « enterré » le projet de loi…
Pour l’instant, nous attendons des réponses. Mais les choses avancent ! Certains sénateurs se renseignent sur ce vaste sujet. En effet, alors que le projet de loi concernant la prostitution a été voté à l’Assemblée Nationale, le Sénat l’a bloqué. Il s’agit d’un ensemble de dispositions pour aider les prostituées. Par ailleurs, je viens de mettre en ligne une pétition sur Facebook que chacun peut consulter et signer.
Bien sûr que ce combat est difficile car l’argent que génère la prostitution est important, mais si tout le monde baisse les bras, on continuera à enlever des filles et à les vendre comme de la vulgaire marchandise. C’est çà la réalité. Imaginer ces filles à qui l’on fait miroiter un avenir meilleur et qui se retrouvent prisonnières, obligées de vendre leurs corps.
J’ai effectué cette marche pour démontrer que l’on peut réfléchir et agir différemment. Les mentalités changent doucement. La France reste frileuse en ce qui concerne la prostitution. Mon action est surtout soutenue par des féministes qui sont favorables au mariage pour tous. Si nous pouvions réunir autour de nous tous les mouvements qui s’expriment actuellement dans la rue, nous aurions plus de force. Personnellement, je ne suis pas favorable à la GPA (gestation pour autrui) par exemple.
• Quelles seront prochaines actions ?
Je ne compte pas m’arrêter là et je repars à Paris prochainement. J’ai en tête toutes les personnes qui m’ont apporté leurs témoignages. Je pense en particulier à l’actrice Eva Darlan qui a effectué 17 kilomètres à mes côtés. Elle a vraiment été formidable car elle n’a pas l’habitude de marcher et elle avait mal aux pieds. Mais elle l’a fait ! En toute cause, le soutien est essentiel…
Il y a quelques années, Rosen Hicher (à droite de la photo) a été invitée par Mireille Dumas à une émission télévisée dont le thème était la prostitution.
• Pétition mise en ligne par Rosen Hicher
pour abolir le système prostitutionnel :
« Je me présente : Rosen Hicher, 57 ans, ancienne prostituée, survivante, je suis maman de six enfants et mamie de six petits-enfants. Tombée dans la prostitution suite a la perte de mon emploi en mars 1988, je me suis prostituée pendant 22 longues années. J'en suis sortie et je milite depuis en faveur de l'abolition du système prostitutionnel et de la pénalisation des clients.
La proposition de loi visant à abolir le système prostitutionnel, débattue et votée à l'Assemblée Nationale, en décembre 2013 est depuis enterrée au Sénat. Pour demander aux Sénateurs d'agir enfin et de voter ce texte, j'ai marché pour l'abolition à travers toute la France et je lance cette pétition.
J'ai aujourd'hui besoin de votre soutien. J'ai pu rencontrer beaucoup de femmes prostituées pendant ses 22 années ; toutes ont vécu de vilaines choses, comme moi.
Aujourd'hui, je parle avec de nombreuses filles, femmes et hommes prostitué(es) ou sorti(es) de la prostitution et je revis à chaque fois les mêmes expériences et problèmes. Nous avons toutes vécu la prostitution comme une terrible violence sexuelle, même s'il est difficile de le dire tellement nous vivons dans la discrimination, le stigmate et la honte.
Avec l'arrivée d'Internet dans les foyers, beaucoup de femmes s'adonnent à la prostitution de manière ponctuelle, en "amatrices", sans connaissance des risques qu'elles courent et font courir à leurs partenaires et clients. Sans protection, pour la plupart, elles s'imaginent qu'elles ne seront jamais malades !
Beaucoup le sont déjà sans le savoir, et elles sont vecteurs de ces maladies sexuellement transmissibles qui existent toujours et se développent d'autant mieux qu'elles sont "ignorées" et négligées. Ces femmes sont un danger, dans l'inconscience qu'elles ont de certaines réalités. Il faut le savoir : les relations non protégées se multiplient, du fait d'une concurrence de plus en plus inhumaine, parmi ces jeunes femmes victimes de réseaux, et que nous n'avons pas le droit d'ignorer et de "laisser derrière nous" !
Nous, prostituées "traditionnelles", sommes déjà des victimes ; nous vivons, souvent sans le dire, de multiples violences au quotidien : Viols, agressions, abus divers, insultes, coups et blessures...
J'en ai été victime, comme toute prostituée. Or, dans des situations bien pires que les nôtres, ces jeunes filles et femmes sont doublement victimes : souvent étrangères en situation irrégulière, prises dans des réseaux immondes dont elles sont les proies, sans aucun moyen de s'en défendre...
Quant à l'égalité des genres, où est-elle ? Devons-nous laisser aux hommes le droit de nous acheter ? Devons-nous laisser aux hommes le droit de faire ce qu'ils veulent de nous parce qu'ils nous paient et que nous avons besoin de cet argent ?
J'ai quatre fils et deux filles : je ne voudrais pas que mes filles s'adonnent à la prostitution ; pas davantage que mes fils gardent le droit d'acheter des femmes. Un client m'a révélé un jour tourner autour des lycées, à la recherche de jeunes filles acceptant de le "soulager" contre un billet de banque. Et il en trouvait !
Quand j'entends certains dire qu'il faut laisser aux femmes le "droit de se vendre", je crois qu'ils ne comprennent pas qu'en fait nous donnons l'autorisation aux hommes de toutes nous acheter, n'importe quelle femme, toutes les femmes.
Il faut que ça cesse ! Il nous faut tenter d'obtenir un monde meilleur, dans lequel plus aucune ne serait "à acheter", où plus aucun homme ne trouverait à "violer", abuser, et meurtrir, les femmes. Car il faut le savoir : chaque relation tarifée est un viol. Il nous faut avancer et abolir cette prostitution. Et cela passe par une vraie politique pour venir en aide aux personnes prostituées, pour protéger les victimes et pour offrir des possibilités de s'en sortir et de se reconstruire. Cela passe aussi par la condamnation des clients sans aucun scrupule, qui achètent des corps, et des âmes, comme des objets, pour assouvir leurs pulsions les plus méprisables, leurs perversions les plus honteuses.
Ce n'est qu'à cette condition qu'on pourra voir la prostitution reculer en France et donc le nombre de victimes diminuer. Je compte sur vous pour entendre ce message. Votez l'abolition de la prostitution !»
Rosen Hicher
Rosen Hicher a commencé à se prostituer à 31 ans. Rosen Hicher a commencé à se prostituer après avoir répondu à une annonce pour travailler dans un bar à hotesse. Personne n'a jamais forcé Rosen Hicher à se prostituer (c'est elle qui le dit). Il y a moins de 5 ans, Rosen Hicher militait pour la réouverture des maisons closes. Chaque matin des 22 années pendant lesquels Rosen Hicher s'est prostituée, elle aurait pu choisir d'exercer une autre activité. Chaque matin de ces 22 années, Rosen Hicher a choisi de se prostituer.
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