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samedi 11 octobre 2014

Libération de Saintes : Pierre Lis,
ancien maire de Royan, raconte...

“ Nous reçûmes l'ordre de maintenir le pont Palissy en état car il était le seul susceptible de supporter des engins lourds » 

Pierre Lis a été maire de Royan de 1979 à 1983
Dans un enregistrement datant de 1984, Pierre Lis, alors âgé de 31 ans, témoigne sur les combats livrés à Saintes pour reconquérir la liberté. « Élevé dans le respect de mon pays et l'amour de la République, de retour de captivité, blessé et malade, le 1er avril 43, je ne pouvais qu'entrer dans la Résistance. Ne me considérez pas comme un héros mythique ! Je n'étais à ce moment-là, et je ne suis encore aujourd'hui, qu'un homme libre qui avait fait le bon choix alors qu'il était hardi de le faire » explique-t-il. Le récit de Pierre Lis nous plonge dans une période où s’affrontent ceux qui croient à la défaite de l’Allemagne nazie et les autres qu’on appelle communément « les collabos ». Subitement, grâce à ses alliés, la France redresse la tête...

 Été 44. « Saintes était à l'époque une cité cheminote avec ses ateliers et son arrondissement administratif. Dès 1940, les Allemands s'étaient emparés de tous les leviers de commande et avaient, avec la complicité des éléments les plus réactionnaires de la ville, imposé un maire collaborateur et qui devait en apporter rapidement la preuve. Prêt à trahir son pays pourvu que soient mis dans l'incapacité de nuire les adversaires de l'Ordre Nouveau caricaturé par le gouvernement de Vichy que présidait un vieux Maréchal qui avait su se couvrir de gloire lors d'un conflit précédent mais ne pouvait plus, en particulier à cause de son grand âge, tenir d'une main ferme les rênes du pouvoir. Le pays était sous la botte allemande et supportait de plus en plus mal les slogans qui traçaient les grandes lignes de la révolution pétainiste, dite nationale. « À mort les juifs, à mort les francs-maçons, en prison les communistes, les socialistes, les radicaux et les républicains ! Fusillez les terroristes, vive la collaboration ! » : tels étaient les termes des têtes d'affiche qui fleurissaient sur nos murs. La milice venait d'être créée par le gouvernement. La presse était complètement asservie, les informations toutes du même tuyau de lavage de cerveau. En un mot, nous étions l'occupé navré de l'être et privé de toutes libertés.

 L’arme absolue, la délation 

 Certains - un petit nombre - avaient choisi la voie facile se rattachant au pouvoir en place. A part quelques convaincus et certains trafiquants trop heureux d'arrondir leur fortune sur la misère des autres, le plus grand nombre avait admis la défaite certaine de l'Allemagne et voyait d'un bon œil la petite poignée de résistants qui, ne voulant pas se contenter d'attendre, avait repris le combat. A Saintes, 1943 fut une année terrible. Il n'y avait pas un mouvement de résistance, mais plusieurs qui devaient être les uns après les autres disloqués et les victimes furent nombreuses. Dès septembre 1943, le mouvement "Honneur et Patrie " fut démantelé. Exécutions et déportations en furent la conséquence logique. L'organisation civile et militaire subit le même sort. Le "Front national" (1) ne fut pas épargné, le groupe "Libération Nord" connut aussi ces heures lourdes. Dès le 31 janvier 44, la grande rafle des Juifs fit date dans la population affectée dans des lieux en résidence et des cachettes. La Gestapo de Saintes, aidée de la milice, semblait être en mesure de tout détruire des forces vives de la France Libre.
Pourtant l'hydre de la Résistance voyait inlassablement se reconstituer ses tentacules. Faut-il dire que les succès de la Gestapo étaient en grande partie dus à la dénonciation ? Je peux me permettre d'affirmer cette évidence, confidence m'en ayant été faite par des Allemands et des miliciens lors des interrogatoires, après leur arrestation à la Libération. Cette bien pénible vérité me fut confirmée quand j'ai eu à prendre connaissance des archives de la Gestapo de Saintes et de tout le Département. La guerre fort heureusement évoluait et la victoire des Français et des alliés ne faisait plus aucun doute. Saintes fut bombardée à deux reprises : le 24 juin 1944 par les Anglais et le 14 août de la même année par les Américains.

J'ai eu en compagnie de mon épouse le redoutable honneur de préparer et de transmettre à Londres les premiers plans de la ville sur lesquels j'avais - après les avoir repérés - marqué tous les points forts des défenses allemandes. Pendant ces premiers mois de 1944, le Comité départemental de Libération se constituait sous la présidence de Roger Faraud. Je devenais son bras droit pour Saintes.
Toutes les opinions y étaient représentées. Ainsi je travaillais avec mon regretté camarade Altheneau, inspecteur SNCF, membre du parti communiste, Guillot, Rullier chef du PC et bien d'autres encore (2). Il fallait prévoir non seulement la prise du pouvoir, mais aussi l'organisation des services dès la Libération. Et tout cela sans éveiller l'attention de l'occupant et de ses complices. Il faut dire que nous avons été puissamment aidés par le sous-préfet de l'époque, Lafont de Sentenac, qui lui aussi avait fait son choix, et qui serait, au lendemain de la Libération, le seul sous-préfet du département à être maintenu en place. Je voudrais également rendre hommage aux gendarmes, policiers de Saintes qui, dans leur immense majorité, ne pouvaient plus ignorer notre action et cherchaient bien au contraire à la faciliter. C'était pour nous un avantage sans pareil, nous en avons largement usé. Au Tribunal, le président était des nôtres comme bon nombre des magistrats du Siège.

 Cependant nos ennemis ne désarmaient pas, les arrestations se poursuivaient et pour éviter le pire, nous nous étions constitués par groupes, chacun ne devant connaître qu'un élément de liaison du groupe voisin.
Il convenait cependant de penser aux grands moments et à la mise en place du préfet clandestin Pierre Verneuil, Saintes risquant de devenir préfecture. Le premier préfet de la Résistance, notre ami Edmond Grasset, avait hélas été tué à Paris par des miliciens se disant Français. Il fallait ne pas négliger à l'hôtel-de-ville l'installation d'un nouveau maire en attendant le retour possible de Maître Maudet qui avait été déporté en Allemagne. Il fallait beaucoup de choses et nous n'étions pas très nombreux. Il ne nous fallait pas oublier, dans la faible mesure de nos moyens, d'aider moralement et matériellement, les familles de ceux qui n'étaient plus. A côté de nous, d'autres groupes accomplissaient le même travail dans la discrétion, dans l'ombre, ce qui ne devait pas manquer de provoquer à la Libération, quelques situations cocasses... 

La Liberté est en marche 

Il fallait, tout en assurant le transport des armes que nous avions récupérées, trop peu nombreuses hélas, distribuer journaux clandestins et ceux rares encore qui, par tous moyens, commençaient à nous parvenir de Paris libéré. Inutile de préciser que nous suivions pas à pas l'avance des armées alliées sur le front de Normandie. Il convenait donc de préparer, au fur et à mesure que les événements se précipitaient, la presse de demain, stocker du papier, ce qui n'était pas facile, trouver un imprimeur qui veuille bien prendre des engagements pour le jour J. Merci M. Delavaud de nous avoir fait confiance ! Et puis voilà que nous assistions à un spectacle assez réjouissant. Se dirigeant - si l'on peut dire - dans tous les sens, nous observions les troupes allemandes qui cherchaient à faire retraite. Quelle différence avec l'armée de la victoire ! Je revoyais quant à moi l'exode de 1940, mais les vaincus à ce moment-là n'étaient pas les mêmes. L'effectif des troupes d'occupation diminuait chaque jour et quelques commandos de résistants musclés aidaient à la débâcle. Le grand pont de Saintes avait été miné (3). Nous reçûmes l'ordre de le maintenir en état, car il était le seul susceptible de supporter des engins lourds ayant besoin de traverser la Charente. C'est au grand jour que les trains furent bloqués en gare et chaque nuit grâce à nous tous, des machines étaient détruites là et ailleurs. Angoulême, Cognac sont libérées, voici notre tour !

Quand les premiers éléments militaires français - ceux de la brigade RAC - arpentèrent le cours National accrochant au passage les derniers groupes ennemis - qui n'avaient plus envie de se battre, il faut le dire -, nous sûmes que Saintes, le 2 septembre 1944, était enfin libéré. Ce fût bien sûr une explosion de joie populaire. Mais comme tout à coup nous étions nombreux... Dans un bâtiment proche de l'Hôtel de ville, je réunissais les membres présents du comité de Libération afin de confier à chacun la mission qu'il savait être la sienne. Des drapeaux français - sortis on ne sait d'où - flottaient aux fenêtres, à toutes les fenêtres, même à celles des collaborateurs les plus marqués. Les passants se trouvaient tout à coup pourvus d'uniformes rutilants dont certains sentaient, à mon avis, un peu trop la naphtaline... Chacun se sentait apte au com-mandement maintenant que le danger semblait écarté. Mettre de l'ordre était de plus en plus nécessaire à chaque heure qui s'écoulait. C'est alors que quelques camions allemands, bien pourvus en hommes et en matériel, cherchèrent en arrivant par la route de Marennes à reprendre la ville.

Après ces terribles combats, la population retrouvera la sérénité et fêtera la libération 
(photo archives)
Quelques obus tombèrent au centre, heureusement dans la prairie. L'on vit alors le miracle des drapeaux qui rentraient dans les maisons, des uniformes qui rejoignaient alors la penderie et même au sein du comité - je dois le dire - certains pensaient qu'il convenait d'attendre avant de tout mettre en place. Prudence, réalisme, peur ? je ne le sais. Pendant ce temps, aux côtés des gars de chez RAC, tous les résistants en âge de combattre, sans uniforme, avec les armes les plus disparates, se portèrent au lieu de l'accrochage. Celui-ci fut de courte durée. Les Allemands qui le purent remontèrent dans les véhicules qui leur restaient et allèrent à toute vitesse s'enfermer dans Royan. Saintes était libérée (4) ! Le soir même et tout au cours de la nuit, fous de joie, nous mettions sous presse notre journal. Dès l'aube, il était diffusé et chaque Saintais pouvait lire les nouvelles dans la Libération d'Aunis et Saintonge. Tout redevenait possible, mais notre ville, comme le reste de la France, était ruinée et partiellement détruite. Il fallait se remettre au travail. Je revois encore ce grand défilé populaire de la mairie vers le monument aux morts. Quelques jours après à la sous-préfecture, le général de Gaulle nous recevait, nous qui étions l'état-major de l'action de la Libération. Je lui ai été présenté et je l'ai entendu dire avec sa voix inimitable en me serrant la main : « Vous n'avez fait que votre devoir ». J’ai souvent mesuré la justesse de cette appréciation. Une nouvelle page m'attendait : préparer le retour des prisonniers, déportés et réfugiés. Certains sont revenus, mais beaucoup de nos meilleurs camarades de la Résistance n'étaient pas au rendez- vous de l'Histoire. Ils ont droit à notre respect. Ils s'étaient battus, eux, bien souvent sans l'espoir de vaincre, mais ils avaient à eux seuls sauvé la Liberté. Ne les oubliez jamais ! Nous leur devons tout !

Après la libération. Sur le Square du palais de Justice, aux côtés du Général de Gaulle, Roger Faraud à droite ; sur la gauche, le préfet Lafont de Sentenac et le commandant Meyer (photo archives). 
Tout nouvel hebdomadaire publié à Saintes après la libération de la ville. Le premier numéro de La Libération d'Aunis et Saintonge était daté du 8 septembre 44. 

(1) Le Front national était le mouvement le plus important à la Libération, d'origine communiste mais ouvert à toutes les tendances. 

(2) Sans attendre la passation des pouvoirs, la Résistance saintaise occupe la mairie. Marcel Haffner, président du comité local de libération prend en charge les affaires de la cité. Autour de lui, pour l'aider dans sa tâche, les onze membres de la nouvelle délégation municipale : Guy Altheneau, Paul Rullier, Edmond Griffaud et Raymond Bouquet (Résistance-fer), le docteur Jean Sorillet, Pierre Autes (P.T.T.) et aussi Marcel Guillot, André Baudoin, Roger Lis, Roger Pérat, Abel Coicault, ont tous été choisis pour leur patriotisme et leur action clandestine dans la Résistance. 


(3) Avant leur départ, les Allemands ont placé des charges explosives dans les piles du pont Palissy et dans celles du pont ferroviaire de Diconche. 

(4) Une colonne allemande se dirige vers Saintes. Il faut entre autres renforcer le barrage situé à 800 mètres en avant de l'église de Saint-Eutrope. Pour empêcher l'ennemi de pénétrer au cœur de la ville, il n'y a en réalité qu'une poignée de maquisards. Quand le convoi, une quinzaine de véhicules, parvient aux abords de Saintes, il ne se doute de rien. Les combats font rage. La victoire est obte- nue au prix de cinq vies dans les rangs des F.F.I. : Marcel Dussaud, Marcel Gaillard, Veyrat, Bernard dit "Métro" et Jean Durand. 
Pierre Lis, résistant, haut fonctionnaire, 
secrétaire de l'office régional des anciens combattants

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