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samedi 7 juin 2014

Expiremont rend hommage
aux deux soldats américains,
Coleman Goldstein
et Herbert Brill


Ces dernières décennies, en plusieurs occasions, la commune d’Expiremont, située dans le canton de Montendre (Charente-Maritime) a rendu hommage à deux aviateurs américains, Coleman Goldstein et Herbert Brill (aujourd’hui disparus), dont la forteresse volante s’est écrasée dans la plaine d’Expiremont durant la Seconde Guerre mondiale. 
Retour sur cet événement qui restera gravé dans les mémoires. 

• Le drapeau américain flotte sur la plaine d’Expiremont (archives 1985 et fin des années 1990)

Coleman Goldstein avait 27 ans quand la forteresse volante qu’il pilotait s’est écrasée dans un champ d’Expiremont, le 31 décembre 1943. La Seconde Guerre Mondiale faisait rage et lui, jeune soldat américain, se retrouvait soudain au milieu de nulle part, dans un pays inconnu, avec ses neuf camarades. De tels moments sont difficiles à oublier.

Enfants de l’Oncle Sam, Coleman Goldstein et Herbert Brill ignoraient que le destin les conduirait un jour en France, de l’autre côté de l’Atlantique. Dans le pire des moments, celui de la Seconde Guerre mondiale où les démons de l’intolérance déferlaient sur l’Europe. Dimanche, ils sont venus en Haute-Saintonge sur les lieux exacts où le 31 décembre 1943, leur forteresse volante, touchée par la DCA allemande, s’était posée.
« C’était en fin de matinée. Dessous, nous ne voyons que des champs et nous n’avions aucune idée de l’endroit où nous nous trouvions » avouent-ils. Sans l’aide de quelques habitants qui croyaient avant tout à la liberté de leur pays, ils se seraient perdus dans la nature et auraient été arrêtés. Hommes et femmes des villages environnants les aidèrent au risque de se faire prendre par l’ennemi. Les anciens se souviennent...

Drôle de Saint-Sylvestre 

Retour en arrière. Le 31 décembre 1943, un important raid aérien, venant de Bordeaux, a lieu sur la région Sud-Ouest. Les batteries allemandes, installées sur le camp de Bussac-Forêt, ripostent et atteignent plusieurs forteresses volantes américaines. Trois sont touchées : la première tombe à Marcillac, en Gironde, au lieudit Bondou ; la seconde s’écrase à Montlieu faisant neuf morts (un lieutenant, trois sous-lieutenants et cinq sergents) tandis que la troisième fait un atterrissage forcé, en fin de matinée, dans la plaine de Soubise à Expiremont, près de Montendre.
Cet appareil est occupé par dix soldats qui sortent indemnes de leur chute. Ne sachant où ils se trouvent, ils décident de se séparer et partent, deux par deux, en empruntant des directions différentes. Auparavant, ils ont fait le nécessaire pour que l’avion explose quelques heures plus tard, dans l’après-midi. La forte détonation, qui se produit aux alentours de 17 heures, est entendue loin à la ronde. Seule la queue est encore identifiable. Intrigués, les habitants, se demandant ce qui se passe, commencent à affluer. Alertés, les Allemands établissent un périmètre de sécurité et les repoussent.

Que deviennent les occupants ? Leur première préoccupation est de se fondre dans la nature. Pour y parvenir, ils doivent abandonner leurs uniformes pour endosser des vêtements civils. Coleman Goldstein, pilote, et Georges Jasmine, mitrailleur, se dirigent vers le proche village de chez les Picqs à Expiremont. Les portes s’ouvrent. Ils mangent un morceau et se changent chez Daniel Rozé puis un voisin, Antoine Bertin, demande à son fils Claude et à son ami Maurice Devigne de les conduire dans le maquis dont le chef est Fernand Couillaud, maire de Chartuzac.
Paul Morin, ancien résistant et coiffeur aujourd’hui disparu, les présente le 1er janvier 1944 au Café de Paris, à Montendre, tenu par Mme Caze.
L'objectif est de leur faire rejoindre l’Espagne ou l’Angleterre pour organiser la résistance. Les deux rescapés sont temporairement hébergés à Polignac par M. Lhermite qui les cache dans une ferme isolée au lieudit la Barde. Un contact est établi avec M. Dupas qui appartient au maquis de Mussidan. Mme Gérard, qui parle anglais couramment, est chargée de traduire les conversations (les problèmes de langues auraient pu être un handicap !).
Le mardi suivant le premier de l'An, les aviateurs sont conduits en Dordogne avant d’être acheminés outre-Manche. Une mise en scène est imaginée : le groupe part en voiture, vêtu d’uniformes allemands. Au passage surveillé de St-Mariens, les cœurs battent. Les gardes ne remarquent rien et laissent passer la traction.
C’est à bord d’un Dakota que Goldstein et Jasmine arrivent à bon port en Angleterre. Les responsables locaux sont prévenus par message radio. Si Mme Gérard se réjouit de leur arrivée, les nouvelles sont mauvaises pour elle. Arrêté, son mari a été fusillé.
 Le 5 avril 1945, Coleman Goldstein lui adresse une lettre où il la remercie du réconfort qu’elle lui a apporté, ainsi qu’à son camarade, dans d’aussi pénibles circonstances. « Les mots me manquent pour décrire la peine que j’ai éprouvée en apprenant la mort de votre époux. L’attitude des Allemands est inqualifiable. Que Dieu nous rende justice ». Et d’ajouter : « j’ai vécu plusieurs semaines avec des Français. Assez vite, j’ai été capable d’engager une conversation, mais je crains d’avoir oublié ».
On sait qu’il a été caché dans le village de Saint-Antoine de Breuil (en Dordogne) où il a rencontré une jeune fille nommée Jacqueline Gaussens.

Un autre groupe est accueilli en Charente par M. Rispart, alors étudiant en médecine. Celui qui sera l’adjoint du capitaine Jacques Nancy, commandant la section spéciale de sabotage, se souvient de ce 2 janvier 1944 où des amis de la commune de Grassac (16) lui signalent l’arrivée de deux aviateurs U.S dont Herbert Brill. En compagnie de René Chabasse, chef du BOA de Charente, il les récupère et les cache dans un refuge de la forêt d’Aorte.
Ils restent ensemble un certain temps et participent à plusieurs parachutages et à des transports d’armes. Par la suite, ils sont intégrés dans un groupe de combat qui sabote les voies ferrées.
« Herbert Brill a eu une attitude particulièrement courageuse le 24 juillet 1944 lors de l’important combat de Javerlhac en Dordogne » remarque le dr Rispart. Le 4 septembre, il part rejoindre son unité en avion à partir de Limoges.

Le groupe qui se dirige vers Baignes est moins chanceux. Il est repéré par les Allemands et emprisonné.

« Merci d’avoir aidé le Général de Gaulle à délivrer la France »

Après la guerre, les soldats survivants entrent dans la vie civile. Coleman Goldstein devient instructeur d’aviation en Floride. Durant sa carrière, il est appelé à piloter des Boeing 747.
Herbert Brill, quant à lui, garde des contacts étroits avec l’hexagone. A l’heure de la retraite, il n’a qu’une seule idée : revenir en France, là il a laissé une partie de sa jeunesse. Avec son épouse Millicent, il achète une maison à Nontron en Dordogne : la région plaît au couple pour sa douceur de vivre et puis, il y a tant de souvenirs !

L'émotion d'Herbert Brill lors de la cérémonie organisée en son honneur à Expiremont
En septembre 1985, la ville de Montendre et son maire de l’époque, Claude Augier, organisent une grande manifestation en son honneur. Cette première visite est fructueuse. Expiremont est à l’honneur. Les anciens combattants et la population sont heureux de participer à ces émouvantes retrouvailles.
En se quittant, ils se promettent de se revoir. Souvent, de telles déclarations tombent à l’eau parce que le temps passe et qu’il y a mille choses à faire. C’est mal connaître Millicent et Herbert qui se partagent désormais entre France et Etats-Unis...

A la fin des années 1990, ils sont allés plus loin. Ils ont convaincu Coleman Goldstein et sa sympathique compagne de venir en Saintonge. Une date a été fixée, celle du 17 septembre, journée du patrimoine par excellence ! Au programme, une visite à Expiremont, bien sûr, sur les lieux où les jeunes soldats posèrent le pied, bien malgré eux, en 1943.

Le drapeau flotte sur la plaine d'Expiremont, là où la forteresse volante s'est écrasée.  
Au premier rang, Herbert et Millicent Brill, Coleman Goldstein.
Dimanche matin, Claude Marchais et son conseil municipal attendaient avec impatience leurs invités aux côtés de M. et Mme Messac, Mlle Séraphin, Claude Augier et M. Lhermite (qui devait les recevoir durant l’après-midi). On notait aussi la présence de Mme Alexandre, ex Mlle Gaussens, dont la famille avait hébergé Coleman Goldstein pendant un mois environ : « je ne l’ai pas vu depuis cinquante sept ans, je suis émue. Si vous saviez comme j’avais été heureuse de rencontrer ces pilotes, je ne les ai jamais oubliés ! » disait-elle. Et quand elle reconnut Coleman, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre ! Instant privilégié...
Le “pèlerinage” dans la plaine de Soubise ne risquait pas de passer inaperçu : le champ en question était marqué par un drapeau U.S. déniché par le premier magistrat. « J’ai eu bien mal à le trouver. A Montendre, ils ont le drapeau européen mais pas celui-là. J’étais bien embarrassé. J’ai alors pensé à Montlieu où se déroule chaque année une cérémonie commémorative au cimetière de Saint-Vivien. Ils ont accepté de me le prêter, mais je ne l’ai récupéré qu’hier soir ! ». Cette délicate attention ravit Coleman et Herbert.
Restait à localiser l’endroit exact où la forteresse s’était immobilisée. L’œil averti de Claude Augier, fondeur de profession, repéra un petit bout d’aluminium fondu ayant appartenu à la carlingue : c’était là ! Suivirent quelques minutes de silence : Il en fallait, du courage, pour partir libérer une terre étrangère, à des lieues et des lieues de son village natal... 
A la question : « Comment vous souvenez-vous de nous après tant d’années et pourquoi nous avoir recueillis alors que les Allemands auraient pu vous arrêter et que, de surcroît, ils offraient de l’argent à qui donnait des renseignements ? », la réponse fut sans ambiguïté : « parce que vous représentiez la liberté ». En sans l’intervention américaine, nous serions peut-être aujourd’hui une province allemande...

Suivit un vin d’honneur où le maire d’Expiremont évoqua les faits du 31 décembre 43 : « j’ai obtenu ces témoignages auprès de personnes qui ont vécu l’événement car j’étais trop jeune à cette époque. D’autre part, dans les années 44-45, mieux valait ne pas être trop bavard. Les dénonciations étaient nombreuses. On connaît la triste fin de certains résistants dont Samuel Duménieu ».
Il remercia Herbert et Coleman : « Merci d’avoir aidé le Général de Gaulle à délivrer la France. La chose a été rendue possible grâce à des hommes tels que vous. Malheureusement, beaucoup ont laissé leur vie dans ce conflit meurtrier. Nous n’oublierons jamais ce qu’ils ont fait pour nous ». 
« En effet, le prix de la liberté a été élevé et de nombreux camarades ont été tués sur le sol français » soulignèrent Coleman Goldstein et Herbert Brill.
Ils saluèrent la commune pour la gentillesse de son accueil ainsi que les familles pour le soutien apporté dans le passé. « Nous avons un devoir de mémoire et nous sommes heureux que vous pensiez encore à nous. Nous avons eu du mal à vous retrouver parce que durant la guerre, nous devions oublier les gens que nous croisions pour une raison simple : au cas où nous aurions été pris, nous ne devions pas fournir les noms et les endroits où nous avions été cachés. C’était une question de survie tant pour nous que pour vous et vos proches ». Plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis ces terribles événements. Dimanche, le ciel de Saintonge était bleu...

Dernières infos : Une nouvelle cérémonie devrait lieu à Expiremont en 2014 ou 2015. Une plaque commémorative sera apposée dans la plaine en souvenir de ces valeureux soldats.

Reportage/Photos Nicole Bertin

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