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dimanche 1 décembre 2013

Norbert Fradin : ses châteaux
ne sont pas en Espagne !


Il y a quelques années, le château de Villebois Lavalette, en Charente, était l’objet de toutes ses attentions. Depuis, Norbert Fradin, en véritable défenseur du patrimoine, poursuit sur sa lancée. À Lormont, il a restauré le fameux château du Prince noir qui garde l’entrée du pont d’Aquitaine et maintenant, il pourrait redonner vie au Nautile, l’ancien restaurant de la plage de Foncillon à Royan, qui se trouve à l’abandon.


Promoteur immobilier, Norbert Fradin se passionne pour le patrimoine qu’il enrichit de recherches personnelles. Au fil du temps, il est devenu incollable sur sa période préférée, le Moyen-Âge. Par ses acquisitions, il parvient à conjuguer restauration et histoire locale. Autrement dit, il concilie culture et valorisation des sites.
Norbert Fradin a grandi à Jonzac, dans un moulin situé en bordure de Seugne. Ce lieu aurait-il éveillé son goût pour l’architecture ? On l’ignore, mais depuis des années, il poursuit le même objectif : rendre aux demeures historiques abandonnées leur âme d’antan.
Loin d’être conduits au hasard, ses projets sont mûrement réfléchis. Son château “coup de cœur“ se situe à Villebois Lavalette en Charente. Il a “craqué“ pour cette vieille forteresse qui scrute l’horizon de son piton rocheux. L’émotion est intacte : « En 2001, j’ai appris que ce château, vieux de mille ans, était en vente. Quand je l’ai aperçu, j’ai pensé qu’il m’attendait. Je ne peux pas vous dire pourquoi ». Il en est devenu le gardien après les célèbres familles Lusignan et Montault de Navailles. Ces occupants, aux noms prestigieux, ne l’intimident pas. « Nous ne sommes que les maillons d’un ensemble » souligne-t-il. Certes, posséder une enceinte flanquée de sept tours n’est pas commun, mais il assume cette paternité avec modestie !

Magnifique témoignage sur sa butte perché...

Le grand castrum ayant été construit sur une ancienne motte féodale, des campagnes de fouilles y ont été organisées. Le site possédait un immense donjon, plus haut que celui de Pons. Il avait la particularité d’être résidentiel, c’est-à-dire que les étages étaient habités. L’exceptionnelle découverte de sa salle basse voûtée, longue de trente mètres, intrigue les historiens. La conception de ce bâtiment ferait de lui une sorte de chaînon manquant dans l’histoire des châteaux-forts.
« Villebois est ouvert au public. C’est un endroit à découvrir. Pour les journées du patrimoine, nous recevons plus de mille visiteurs » remarque Norbert Fradin. Cette place, que se disputèrent Français et Anglais lors de la Guerre de Cent ans, le fascine. Le comédien Bernard Lavalette l’a habitée dans sa jeunesse. Pour le comédien, l’ancien château des Fleury est devenu un magnifique chantier archéologique : « C’est comme si j’étais à Pompéi. C’est passionnant. De ce fait, l’appréhension que j’avais quant à l’avenir a disparu ».

Sur la colline, le château de Villebois Lavalette
Les caméras de F 3 en tournage avec un drone


Mardi dernier, une équipe de France 3 était à Villebois pour tourner l’émission Cap Sud-Ouest. Après l’estuaire de la Gironde, les caméras étaient braquées sur ce site particulier qui surplombe un petit village. L’équipe n’était pas venue seule. Elle avait avec elle un drôle d’engin, un drone que la société Pixiel de Nantes manie avec dextérité. Ce matériel très sophistiqué permet de faire des prises de vue aériennes précises et de qualité. « Le drone radio-commandé offre plus souplesse que d’autres méthodes tels que le ballon captif, le mât télescopique ou l’hélicoptère. De petite taille, il peut se placer à diverses altitudes et à des endroits peu accessibles » explique le responsable de la société, déjà venu dans la région d’Aubeterre pour l’émission ‘‘Des racines et des ailes’’. Dans les airs, cette espèce de coléoptère bourdonnant, guidé au sol par trois spécialistes, a des allures surprenantes : furtif, il passe partout, surgit au moment où l’on ne s’y attend pas, immortalise les endroits impossibles avant de se poser… et d’être récupéré religieusement par son propriétaire !
Les spectateurs pourront découvrir le film consacré au château de Villebois Lavalette au printemps prochain. Les travaux de restauration s’y poursuivent : la tour Ouest est de neuf chapeautée et la rénovation de la grande salle romane, qu’orne une belle cheminée, est achevée.

Le drone (société Pixiel) est idéal pour les prises de vue

Radioguidage du drone réalisé au sol par trois spécialistes
Sous le sceau du Prince Noir

À Lormont, près de Bordeaux, Norbert Fradin a sauvé un autre château de l’oubli, celui du Prince noir. Rappelez-vous la pauvre demeure taguée en bordure de rocade ! La réflexion des passants était unanime : pourquoi la ville de Lormont la laissait-elle dans un état pareil ?
La question fait sourire celui qui a changé sa destinée : « Dans les années 1960, la construction du pont d’Aquitaine et les travaux de voirie ont entraîné le déclin du domaine, autrefois magnifique. Une association de défense et la mairie se sont battues pour que le château soit classé à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. C’est un point important. Désormais, toutes les réalisations tiennent compte de cette inscription ».
Situé à un point stratégique, l’entrée de la Garonne, l’édifice servait de résidence d’été aux archevêques de Bordeaux. Mieux, quand Bertrand de Goth devint Pape sous le nom de Clément V en 1305, le château de Lormont fut un moment « capitale de l’Église ».
Son histoire est agitée. Reconstruit au XVIIe par François de Sourdis, le château vécut des heures difficiles avec la Révolution qui le confisqua au Clergé. Vendu comme bien national, les privés s’y succédèrent dont un banquier allemand, M.  Schaler. Parmi les aménagements qu’il effectua au XIXe  siècle, se trouve l’aile aux tours crénelées. C’est là que sont installés les bureaux de Norbert Fradin.
« Le château n’a pas résisté à l’autoroute qui l’a dévalorisé en l’amputant. Il est ensuite passé entre différentes mains, dont une société HLM et la DDE. C’est un privé, entre 1992 et 1995, qui l’a entièrement pillé. Tout a disparu, y compris les planchers et la gloriette. J’ai récupéré cette dernière, mais après quel périple » !
Quand il l’achète, il ne reste que les murs : « Ma première question était simple : quelle destination allais-je lui donner ? En proximité de rocade, y faire des logements n’était pas une bonne idée. J’ai donc privilégié des bureaux et fait appel à l’architecte Bernard Buhler. Le chantier a duré quatre ans. Aujourd’hui, je pense que le château, qui abrite plusieurs sociétés, a retrouvé sa place au sein de Lormont. Jean-Marie Amat y a ouvert un restaurant ».
Cette renaissance "remarquable", qui a coûté plusieurs millions d’euros, ne passe pas inaperçue.
Elle attire d’ailleurs les cinéastes. Un tournage y a eu lieu avec le comédien Laurent Deutsch et récemment, Frédéric Verger, l’auteur d’Arden, est venu y dédicacer ses ouvrages dans le cadre des Escales du Livre. En 2014, des artistes s’y donneront rendez-vous pour un nouveau symposium de sculptures. Norbert Fradin a largement investi en œuvres contemporaines qui ornent le parc. La dernière en date « La parade moderne », fruit de l’imagination talentueuse de Yvan Clodat et Coco Petitpierre, a été présentée à Paris (Muséum d’Histoire Naturelle, Foire internationale d’art contemporain FIAC au Jardin des Plantes) avant de revenir à Lormont. « Par ailleurs, je mets à disposition une galerie d’art au 88 de rue Saint-Genès à Bordeaux ». L’association Villa 88 y accueillera bientôt un artiste de renommée internationale, Juluis von Bismarck, qui n’est autre que le descendant d’Otto von Bismarck, chancelier de l’Empire allemand au XIXe siècle.

Plage de Foncillon à Royan : aménager le Nautile sur la plage abandonné…

En face du palais des congrès, il est un endroit en piteux état. Il s’agit d’un ancien restaurant avec piscine qui s’appelait autrefois le Clapotis, puis le Nautile. L’endroit connut quelques désagréments dus à la vie parfois agitée de la cité royannaise (il fut une époque où les incendies y étaient nombreux). L’établissement finit par tomber dans une sorte de léthargie. L’an dernier, l’actuel maire, Didier Quentin, a décidé de changer la destination de ce lieu hautement stratégique. En effet, quoi de plus attristant que de voir, en pleine station balnéaire, des bâtiments abîmés sur fond de flots ensoleillés !

Les plans d'aménagement du Nautile sur la plage de Foncillon
Un appel à idées a donc été lancé et c’est le projet de la société de Norbert Fradin qui a été retenu. Il est désormais propriétaire du site vendu deux millions d’euros par la municipalité. « L’architecture royannaise me passionne car elle symbolise la reconstruction après les souffrances de la Seconde Guerre mondiale. Les lignes du XXe siècle sont souvent critiquées. Personnellement, je les défends. Contrairement aux autres participants, j’ai choisi de garder le bâti à l’exception d’une verrue qui sera détruite. De 2 100 m2, l’ensemble sera porté à 2 900 m2. Vingt appartements y seront construits, un restaurant y verra le jour et la piscine sera conservée. Le permis de construire sera déposé dans les semaines à venir ».
Les plans ont été présentés la semaine derrière à la population favorable, dans son ensemble, à cet aménagement. Toutefois, il est une frange de riverains qui affiche sa désapprobation… dont l’ancien maire, Philippe Most, et un conseiller municipal Jean-Paul Hugengobler qui a fait circuler une pétition. Plus que Norbert Fradin, Didier Quentin est visé à l’aube des prochaines élections municipales. Son opposant estime que ces travaux vont défigurer la côte irrémédiablement pour des générations. Ce que dément le premier magistrat : « la hauteur maximale du bâtiment sera respectée et l’impact paysager sera le même qu’avant » répond-il.
Si tout va bien, c’est-à-dire s’il n’y a pas de recours (ce qui serait étonnant), les travaux devraient être terminés dans deux ans. Quant à la vente du site qui est reprochée à Didier Quentin, il est à noter que l’ancienne mairie avait laissé le lieu en déshérence.

Un musée de la Marine à Bordeaux

Plan du  futur musée de la Marine de Bordeaux
L’esprit de Norbert Fradin est en éternel mouvement. « Un matin, en ne me rasant pas, je me demandais ce que deviendraient mes maquettes de bateaux » avoue-t-il. En effet, tout amateur s’interroge sur le devenir de ses collections, les héritiers n’ayant pas forcément les mêmes attirances ! « A Bacalan, je participe à la transformation du quartier des bassins à flot. J’y possède des terrains et compte mener à bien une tranche de logements. Cet endroit, qui sera l’un des plus prisés de Bordeaux, est intéressant pour y implanter un futur musée de la Marine ».
Des plans, confiés à l’architecte bordelais Olivier Brichet, ont donc été élaborés. Le musée, d’une superficie de 4 000 m2, s’insérera dans un complexe plus vaste, avec restaurant et boutiques, de 13 000 m2. « Il s’agit d’un vieux rêve. Enfant, je voulais faire l’École Navale et devenir officier de marine. J’ai pris une autre direction ».
L’avenir comblera-t-il cette frustration ? « L’objectif poursuivi est de rendre à Bordeaux son riche passé de port maritime. Aujourd’hui, la capitale de l’Aquitaine est associée aux grands vins. Or, elle a d’autres facettes non négligeables ». Son projet est bien accueilli : « de nombreuses personnes m’encouragent et m’apportent leur soutien ».
Comment Norbert Fradin conçoit-il ce futur musée ? « Doté des nouvelles technologies, il développera une dizaine de thèmes. S’y ajoutera un atelier qu’animera l’association des maquettistes de Guyenne. Outre l’organisation de conférences et de colloques, j’imagine une salle où le visiteur sera plongé au cœur de scènes maritimes en 3 D ». Le projet avance puisque le permis de construire sera déposé le mois prochain.

Norbert Fradin (à gauche) aux côtés d'un responsable de France 3
Comme vous pouvez en juger, la feuille de route de Norbert Fradin est ambitieuse. « La France possède un patrimoine incroyable. Faute de moyens, ni l’État, ni les collectivités locales ne peuvent s’en occuper, c’est pourquoi les privés ont pris le relais. J’en fais partie. À partir du moment où les lieux s’imposent à moi, je ne précipite rien. Pour ne pas faire n’importe quoi, il faut savoir prendre du recul et s’entourer de professionnels. Nous ne sommes que les dépositaires de ces témoignages du passé qui nous survivront ». On comprend mieux pourquoi il s’intéresse au château de Villandraut, cette énorme forteresse que fit construire le pape Clément V près de Langon en Gironde, bel exemple de l’architecture castrale des années 1 300 en Guyenne. Il veille aussi aux destinées de Budos situé à une dizaine de kilomètres. Il envisage bien sûr de redonner une nouvelle existence à ces constructions emblématiques des siècles passés. Sa façon à lui d’apporter sa pierre aux édifices !

Nicole Bertin

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