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vendredi 12 novembre 2010

Jonzac : Francis Huster a gagné son "Paris"


En incarnant pas moins de treize personnages dans une “traversée de Paris“ rendue célèbre par le cinéma, Francis Huster a montré, l’autre dimanche à Jonzac, que la scène, comme la piste pour un coureur de fond, peut être le témoin d‘une performance physique et intellectuelle exceptionnelle.


En 1966, Francis Huster avait promis à l’écrivain Marcel Aymé qu’il adapterait au théâtre la fameuse “Traversée de Paris“. L’Occupation : le sujet, longtemps resté tabou, se distingue peu à peu comme une photographie en noir et blanc sous l’effet du révélateur.
Il a attendu quarante ans pour concrétiser ce projet. Le temps nécessaire à l’accomplissement. De l’expérience, de la puissance, il en faut pour entrer dans la peau de tous les rôles de cette nouvelle. Des hommes surtout.

Est-ce Francis Huster qui les habite ou surgissent-ils de l’écriture pour l’habiter, lui, pendant plus d’une heure ? La question se pose face à ces incarnations dont l’une rappelle étrangement la voix de Bourvil. Une façon pour l’artiste de rendre hommage à cet acteur sensible et généreux qui joua Martin dans le film de Claude Autant-Lara, sorti en 1956. Si le cinéaste en a modifié l’issue, souhaitant lui donner une fin heureuse, Francis Huster n’a pas changé une virgule au texte original.


L’histoire se déroule dans la capitale, en 1942. Pas la peine de chercher des héros, il n’y en a pas. Ceux qui nous intéressent sont des gens ordinaires qui subissent l’envahisseur allemand avec une capacité d’adaptation que n’aurait pas reniée Darwin. Chauffeur de taxi au chômage, Marcel Martin, complice de l’épicier Jambier, se livre au marché noir. Dame, faut bien manger !

Un soir, il doit porter quatre valises contenant un cochon découpé. Sur un malentendu, Grangil, un peintre désabusé, l’accompagne dans cette aventure, histoire de briser la monotonie. Cette course, dans une ville où circulent les patrouilles, met en scène les travers de la nature humaine. D’ailleurs, le dénouement est terrible. Quand Martin comprend que Grandgil s’est moqué de lui, il le tue. Par ce geste brutal, Martin détruit en quelque sorte cette société arrogante qui compose avec les occupants et se soucie peu de la misère des autres. « L’honneur du prolétariat contre le cynisme d’une bourgeoisie oisive » dit-on.

Représentation au théâtre du Château de Jonzac


Servir Marcel Aymé


En endossant plusieurs personnages, Francis Huster se transforme en “homme-orchestre“, faisant vibrer chacun d’eux à la manière d’un musicien, soucieux d’exécuter scrupuleusement sa partition. Il leur donne une envergure qui libère leurs pulsions et les montre sans fard. L’exercice n’est pas facile. Il demande une implication, une intensité que seul un comédien doté d’une forte intuition peut modeler à sa convenance. À l’instant où l’on croit Francis Huster devenu Martin ou Grandgil, il change subitement et reprend sa place d’observateur.

Il tire les ficelles et anime ces êtres qui ne risquent pas de sombrer. Solidement amarrés, projetant leurs vies insignifiantes dans des miroirs sans tain, ils n’ont finalement rien inventé. Il suffit de se replacer dans un contexte identique et vous retrouverez les mêmes expressions de cupidité, de soumission hypocrite, de violence, de souffrance et de dérision.
Certaines déclarations retiennent l’attention. Ainsi, alors qu’il se cache dans un bistrot avec Martin, Grandgil prend à partie les patrons qui veulent les dénoncer à la police : « Non mais regarde-moi le mignon là, avec sa face d’alcoolique et sa viande grise… Avec du mou partout ; du mou, du mou, l’a que du mou ! Mais tu vas pas changer de gueule un jour toi, non ? Et l’autre là, la rombière, la gueule en gélatine et saindoux, trois mentons, les nichons qui dévalent sur la brioche… Cinquante ans chacun, cent ans pour le lot, cent ans de connerie ! Mais qu’est-ce que vous êtes venus foutre sur Terre, nom de Dieu ? Vous n’avez pas honte d’exister ? ». Ira-t-il cracher sur leurs tombes ? Plus drôle est la femme de Martin qui « se plaindra à son amant si son mari la bat » ! Bien triste enfin est la situation que vécurent les Juifs, condamnés à porter l’étoile jaune avant de connaître l’univers dantesque des camps…

Succès mérité pour Francis Huster, félicité par de nombreuses admiratrices !



Au théâtre du château, Francis Huster a montré qu’il était un grand comédien. Est-il besoin de le rappeler ? « Je me sens au-dessus d’un précipice avec rien pour m’accrocher, ni partenaires, ni décors, ni costumes. Physiquement, ça s’approche du full combat » explique-t-il. En se laissant tomber dans le vide, sans filet pour le retenir, cet acrobate des mots partage avec le public un plaisir véritable. Celui de « servir, de toutes ses forces, Marcel Aymé et sa traversée de Paris ». Une histoire d’amour qui mérite, comme l’héroïsme, tout notre respect.

• L'info en plus

Dans le film de Claude Autant-Lara, Jean Gabin incarnait Grandgil, l’artiste peintre, Bourvil le chauffeur de taxi au chômage et Louis de Funès, Jambier, l’épicier. Le choix de Bourvil pour le rôle de Martin fit l’objet d’une opposition forte de la part de Marcel Aymé (il aurait préféré Bernard Blier et Paul Meurisse). Par la suite, il reconnut son manque d’objectivité concernant Bourvil : « C’est vraiment la toute première fois qu’on ait fait au cinéma quelque chose tiré d’un de mes livres qui soit non seulement bien, mais d’une très grande qualité. Et dans ce cas particulier, ce n’était pas facile ».



Séance de dédicaces après la représentation.


Contrairement à certains auteurs de son temps, Marcel Aymé s’est toujours érigé contre l’occupant allemand, Gestapo et milice confondues.

On reconnaît M. et Mme Belot, Francis Huster, Maïté Aubouin Hannoyer, Mona Raton, Christophe Cabri

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