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dimanche 17 octobre 2010
L'histoire d'un journal, le Figaro
Jean-Charles Chapuzet : Quand l’affaire Dreyfus agitait la France
Comment le Figaro a manqué "J’accuse" de Zola…
Maire adjoint de la ville de Jonzac, Jean-Charles Chapuzet a deux sujets de prédilection, la presse et l’histoire, c’est pourquoi il a répondu spontanément à la demande de Claire Blandin. Écrire un chapitre de l’histoire du Figaro, ce titre qui appartient aux grands médias nationaux, la tentation était forte. Il a donc travaillé sur une époque particulière où la France était partagée en deux, celle de l’affaire Dreyfus. Ce sujet passionnant ne lui fait pas oublier ses futurs reportages, dont l’un le conduira prochainement dans les vignobles de Syrie. Un pays où la vigne pousse depuis 3 000 ans sur le Mont Bargylus. Jean-Charles Chapuzet répond à nos questions :
Vous avez participé à l’ouvrage “Le Figaro, l’histoire d’un journal“ paru aux éditions du Nouveau Monde, aux côtés d’une vingtaine d’auteurs. Qui est à l’origine de ce projet ?
Claire Blandin, une historienne, maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil. Elle travaille sur l’histoire des médias. Au départ, elle a organisé un colloque à Sciences-Po Paris, en 2006, sur l’histoire du Figaro. Ayant travaillé sur la presse et dans le même temps journaliste pour le Figaro, j’ai été convié. J’avais également participé à un livre publié chez Plon, contant de manière romanesque l’histoire de ce journal.
Le Figaro, c’est Beaumarchais et cette phrase devenue célèbre « sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ». Racontez-nous les débuts de ce journal qui fut d’abord satirique, né dans la première partie du XIXe siècle ?
C’est la première découverte et surprise de ce travail. À ses débuts, en 1826 et jusqu’à 1848, ce journal est une feuille satirique ne manquant pas d’égratigner les pouvoirs en place, à commencer par les Rois Charles X, puis Louis-Philippe. Les attaques étaient le plus souvent formulées sous forme de brèves. Les rédacteurs, Victor Bohain et Nestor Roqueplan, participèrent à la ruine du règne de Charles X. Dès les débuts de la Monarchie de Juillet, le journal subit des pressions du Gouvernement. Nous sommes loin de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Précisons aussi que durant ces années 1830/40, cette feuille ne paraît pas à un rythme régulier.
Vous avez largement développé la période où le Figaro est confronté à l’affaire Dreyfus. Comment la traite-t-il dans ses colonnes ?
Sous le Second Empire, il faut préciser que le Figaro est un journal à succès sous le patronage d’Henri de Villemessant. Cette feuille devient très littéraire et mondaine. Politiquement, elle se positionne au Centre droit, sans toutefois devenir militante d’un parti. Villemessant voulait que le Figaro soit une tribune où chacun ait le droit de venir exposer ses griefs, pourvu d’avoir du talent. C’est dans cet esprit que ce quotidien (il le devient en 1867) pénètre dans la Troisième République. Conservateur dans l’esprit, mais libre, l’on y croise Jules Vallès, Maupassant et un peu plus tard Proust.
Lorsque l’affaire Dreyfus commence, le Figaro joue son rôle de tribune où les deux camps s’expriment. La plume la plus retentissante est celle de Zola, défenseur de Dreyfus, à un tel point qu’une campagne de désabonnement s’opère. La direction cède à la pression de la clientèle. Zola doit partir et le Figaro manque l’article le plus important de l’histoire du journalisme français. Zola, avec son “J’accuse“ sous le bras, va frapper à la porte du journal l’Aurore.
Au Figaro, on continue de publier les tribunes dreyfusardes, comme antidreyfusardes, mais avec davantage de timidité. Dans les salles de rédaction, Barrès, Mirbeau, Léon Daudet, Huret, Talmeyr, Arène ou le dessinateur Caran d’Ache débattent bruyamment lorsqu’ils ne s’accrochent pas par le colback. Au final, en 1906, lors de la réhabilitation du Capitaine, le journaliste Calmette titre : “La fin d’un cauchemar“, évoquant celui de l’innocent, mais aussi celui de la nation française.
Vous avez trouvé des anecdotes intéressantes, je crois ?
Tout à fait. Lors de mes recherches, dans les livres de souvenirs de journalistes, j’ai appris que Zola fut gagné à la cause de Dreyfus chez son ami Alphonse Daudet. Devant les propos antisémites de son fils Léon et de ses camarades, l’auteur de Germinal trouva tellement de haine et de mauvaise foi qu’il se douta que l’officier juif devenait le bouc émissaire d’une machination.
Anecdote plus sympathique, Caran d’Ache était souvent au Tribunal pour répondre de ses caricatures cinglantes. Et les juges se disputaient sa présence car Caran d’Ache leur faisait le portrait pour leur donner à la fin de la séance !
Comment ce journal a-t-il traversé la deuxième Guerre Mondiale qui a été délicate pour de nombreux titres ?
Le journal était dirigé par Brisson qui, comme la grande majorité de Français, acceptait bon an mal an l’arrivée de Pétain au pouvoir. L’éditorialiste Lucien Romier sera le chantre de Pétain au point de rejoindre son gouvernement en février de l’année 1941. C’est dire…
Brisson, quant à lui, ménage la chèvre et le chou. Il déménage la rédaction à Lyon jusqu’à saborder le titre, par manque de papier, mais surtout de liberté. Gide comme Léautaud signeront des articles durant cette période en eaux troubles. À la libération, ce seront Paul Valéry, François Mauriac et Cie qui rouvrent le bal. Plus inattendu, Sartre écrit quelques reportages sur l’Amérique…
Le Figaro a été pionnier du grand reportage et F. Magnard a utilisé une nouvelle manière d’écrire en politique. Le Figaro a-t-il été novateur en de nombreux domaines ?
C’est très juste, Francis Magnard fut un pionnier du grand reportage dans les années 1880. Son journal avait les moyens d’envoyer ses journalistes aux quatre coins du monde. Plus tard, il y aura aussi Pierre Loti et Joseph Kessel pour ce même journal. Sinon, le Figaro s’est distingué dans des rubriques plus légères comme la chronique mondaine de Proust ou la rubrique nécrologique qui devint une institution sous le Second Empire.
Sur la scène nationale, le Figaro passe pour être le grand journal de droite face au Monde ou à Libération qu’on classe à gauche. Partagez-vous ce sentiment ?
C’est clair, d’autant plus depuis le rachat de ce journal par Dassault en 2004, organe de presse résolument de droite et plus exactement sarkozyste (la collusion entre la presse et les hommes politiques existent depuis l’invention de la presse). Pour mieux le surveiller, les actionnaires évitent de plus en plus les grands patrons de presse “incontrôlables“ - car ce sont des plumes - du genre Franz-Olivier Giesbert ou d’Ormesson, leur préférant des personnalités avec des profils plus DRH (Beytout, Mougeotte).
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