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mercredi 4 août 2010

L’indépendance du Kosovo :
A manipuler avec précaution ?


La Cour de Justice Internationale vient de rendre son avis sur l’indépendance proclamée du Kosovo, qui fut une province serbe bien avant l’occupation ottomane. En effet, c’est là, à la bataille du Champ des Merles, que le prince Lazar s’inclina devant les Turcs au XIVe siècle.
La Serbie revendique ce territoire qui veut voler de ses propres ailes et se trouve à l’origine de l’intervention des troupes de l’Otan, menée par les Etats-Unis, pour obtenir le retrait des troupes serbes et la fin du conflit. Depuis, ce secteur est sous la protection des Nations Unies. Toutefois, des pays comme la Russie, l’Espagne, la Grèce ou encore la Roumanie refusent de reconnaître son existence internationale.

Saisie sur ce point précis, la Cour Internationale de Justice était appelée à donner son avis. La principale question était : La proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo est-elle licite au regard du droit international ?

La Cour vient de répondre qu’en tous les cas, cette déclaration d’indépendance n‘est pas illicite. Elle sait bien que l’utilisation du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ouvre une boîte de Pandore que craignent des pays comme l’Espagne pour la Catalogne et le Pays Basque ; la France pour la Corse ; l’Angleterre pour l’Ecosse ; la Grèce pour la Macédoine ; la Russie pour une multitude de républiques ; la Belgique où les Flamands et les Wallons prétendent se séparer et surtout les Balkans qui se remettent mal de l’éclatement de la Yougoslavie où des états confetti peinent à trouver un équilibre économique et social et vivent parfois d’expédients.

Les Balkans, qui portent la grande cicatrice de Théodose, c’est-à-dire la séparation de l’Empire Romain d’Orient et d’Occident, sont pour l’Europe un problème toujours vivant.


• Le point de vue de l’avocat Xavier de Roux


Xavier de Roux, vous avez défendu en tant qu’avocat, devant la Cour de Justice Internationale, la Serbie contre la Bosnie au sujet notamment du génocide qui lui était reproché. Vous avez obtenu gain de cause. Que vous inspire aujourd’hui la nouvelle décision de la Cour internationale de justice ?

La Cour Internationale de Justice a été extrêmement prudente dans sa formulation. Elle sait bien que donner une définition juridique précise au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est difficile et géopolitiquement dangereux. D’ailleurs, pendant longtemps, la politique née du traité de Vienne visait justement à empêcher le développement des nationalismes qui furent à l’origine de tous les conflits, notamment, rappelons-le, de la Première Guerre Mondiale qui naquit de la revendication croisée autrichienne et serbe sur la Bosnie qui échappait à la Turquie.
Le conflit yougoslave de 1995 à 1998 a eu pour objet de constituer des territoires autour de peuples homogènes. Qu’appelle-t-on peuples homogènes ? Sont-ce les Albanais musulmans au Kosovo ? les Croates Romains catholiques en Croatie ? Les Orthodoxes en Serbie ? les Musulmans dans le sud de la Bosnie ? Ce principe des nationalités a conduit à des séparations ethniques et à des massacres. Pour constituer un peuple, il fallait être homogène sur un même territoire, alors que le monde entier devient de plus en plus multiculturel et qu’on a bien du mal à définir ce qu’est un Français, un Allemand ou un Américain. Le principe du droit des peuples à disposer d‘eux-mêmes suppose que l’on définisse juridiquement la nation de peuples et là, tous les conflits sont possibles.

Mais sent-on cette difficulté dans les Balkans ?

Il est évident que l’ancienne Yougoslavie est toujours marquée par les cicatrices de la guerre civile qui entraîna sa désintégration. C’est particulièrement vrai en Bosnie où les fameux accords de Dayton forcent une République serbe au Nord à cohabiter avec une République bosniaque au Sud et un embryon croate à l’Ouest. Il ne s’agit ni d‘une fédération, ni d’une confédération, mais d’une entité imposée de l’extérieur par les grandes puissances. Les populations ont regagné de gré ou de force le territoire dont on leur disait qu’elles en étaient le peuple. Or, elles parlent la même langue, ont traversé la même histoire, connu les mêmes musiques et des littératures très proches. Dans les villages, clochers et minarets coexistaient.

Et puis la fameuse invention des peuples a tout fait sauter et le massacre est venu. Aujourd’hui encore, si l’on applique la jurisprudence de la Cour, même avec toute la prudence convenue, il n’y a aucune raison pour que la République serbe de Bosnie ne proclame son indépendance. Elle est homogène dans sa population, elle a une superficie comparable aux micro états que l’on a érigés comme le Monténégro ou le Kosovo. Sans parler de la Slovénie qui est devenue européenne et vogue aux côtés de l’Autriche.

La question de la Republika Serbska se posera certainement. On juge actuellement à la Haye son ancien président Karazic, et l’on recherche activement dans le monde entier l’ex commandant en chef de son armée, le Général Mladic. La logique voudrait simplement que l’on puisse demander au peuple serbe de Bosnie s’il entend vivre dans un état bien à lui ou si, au contraire, il souhaite un rattachement à la maison mère historique, la Serbie. On ignore pourquoi, dans toutes les chancelleries européennes, on dit qu’il s’agit d’agrandir le territoire serbe de la grande Serbie en reprenant le refrain de la propagande autrichienne de 1912, comme si rien n’avait changé. L’union Européenne souvent tentée, pour construire son pouvoir, de s’appuyer sur les régions plutôt que sur les états, ferait bien de regarder de près cette politique de confetti. Les pouvoirs minuscules n’en sont pas moins des pouvoirs et leurs attributions incluent évidemment la défense, c’est-à-dire aussi l’hostilité et la guerre.

Quelles sont les richesses du Kosovo ? Quelle sera l'économie de ce pays désormais indépendant ?

Le Kosovo est une partie bien pauvre de l’Albanie. Ses richesses se réduisent à quelques mines exploitées depuis longtemps, une production de bois souvent de médiocre qualité, une agriculture pauvre, mais il y a une diaspora importante dans le monde entier. Les mauvaises langues prétendent que Pristina, la capitale, abrite beaucoup de trafics à la licéité douteuse. On remarque, par exemple, dans les grandes capitales européennes, beaucoup de prostituées ayant cette origine et, bien entendu, les proxénètes qui les accompagnent. On ne peut pas, évidemment, résumer ou caricaturer les Kosovars à cette seule remarque !
On sait simplement que ce pauvre pays à pour principale richesse d’abriter une base américaine qui veille tranquillement, à partir d’un état de non-droit, à l’avenir de la Méditerranée.

Les Américains ont toujours eu une vision amusante de l’Europe. Elle a dû leur être enseignée par les Anglais qui se sont toujours illustrés dans une diplomatie des contraires. Tout cela a des limites et il est évident que la vision de Clémenceau, participant à la création de la Yougoslavie, c’est-à-dire à la fédération des Slaves du Sud, avait au moins une cohérence économique.
On peut traverser l’Union Européenne d’Ouest en Est, sans plus trouver un poste de douanes ou de police aux frontières. Dans les Balkans, les états sont si petits qu’on en trouve un tous les 50 kilomètres. Ce qui n’a pas pour effet de faciliter les échanges, mais plutôt, une fois encore, la contrebande.

Le rêve des pays de l’ex-Yougoslavie est d’entrer dans la CEE. On pourrait, en effet, rêver de la reconstitution de la grande Autriche qui a disparu en 1918 et réunir la Croatie à l’Autriche puisqu’elles le furent pendant de nombreux siècles, mais l’Europe a déjà suffisamment de pain sur la planche pour intégrer des querelles qu’elle ne contrôle pas. L’Union Européenne ne devra accepter que des pays clairement en paix, établis et n’ayant plus de querelles, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Le rêve de l’Europe est sans doute d’apaiser les tensions. Alors, cessons de brandir la renaissance de tous les nationalismes ! En France, on voit quelques Occitans d’agiter autour de Toulouse pour recréer l’Occitanie avec trente départements français et quelques langues du terroir. Laissons la France rester ce qu’elle est dans sa diversité. Nous avons d’ailleurs un Président de la République français de la deuxième génération, dont le père raconte très bien l’histoire de sa Hongrie natale !

Selon vous, pourquoi les USA et l’Allemagne soutiennent-ils l’indépendance du Kosovo ?

Les Etats-Unis, c’est clair. Ils ont besoin d’une base importante dans l’Union Européenne au sein d’un pays souverain, mais bien incapable d’avoir une action quelconque sur leur implantation. Ils l’ont obtenue.
L’Allemagne, c’est plus compliqué. L’histoire des Balkans, vue d’Allemagne, n’est probablement pas la même que celle vue du côté français. Elle tient peut-être à l’héritage autrichien dont ce fut un but géopolitique permanent jusqu’à l’effondrement final de 1918. L’Allemagne hitlérienne a fait assassiner à Marseille le roi de Yougoslavie et elle n’a eu de cesse que de créer en Croatie un état fasciste puissant qui ne s’effondra qu’avec l’Allemagne, après avoir terrorisé la moitié des Balkans. Et puis, il y a ce vieux rêve de l’accès aux mers chaudes. N’oublions pas que l’Autriche avait une marine de guerre en Méditerranée et que, par exemple, le régent Horthy en avait été l’Amiral.
Mais fait-on la politique de demain avec les souvenirs d’hier ? Quel est le poids de l’histoire dans les analyses du futur ? C’est-à-dire le poids de l’acquis que l’on appelle aussi la culture ? Question…

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