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jeudi 5 août 2010

Aventure au temps
de Novioregum, ville oubliée
de l’estuaire de la Gironde…


Non loin de Talmont, l’un des plus beaux villages de la côte royannaise (Charente-Maritime), l’ancienne cité gallo-romaine dite « du Fâ » reste un mystère pour ses visiteurs. On ne sait toujours pas quel était le nom de cette vaste agglomération portuaire dont la disparition suscite de nombreuses interrogations. Novioregum, qui sait ? Le théâtre, qui fait l’objet d’une fouille, révélera-t-il quelque secret ?…


Une ville immense en bordure d'Estuaire de la Gironde, riche de nombreux monuments...


En découvrant Novioregum, grande cité gallo romaine des premiers siècles de notre ère, l’esprit est frappé par ses proportions et par le fait - ô ironie de l’histoire - qu’il n’en reste rien ou pas grand-chose. Et pourtant, en ce lieu situé sur l’actuelle commune de Barzan, en bordure d’estuaire, vivait une société organisée qui avait édifié de nombreux monuments, dont des temples, des thermes et un théâtre. La société qui la peuplait vivait agréablement grâce au commerce dont la cité tirait sa richesse.

Le site du théâtre en cours de fouille


C’est à une époque récente que le Conseil général a entrepris des fouilles importantes. Longtemps, les terres cultivées par les agriculteurs ont gardé leur secret. Certes, il restait des témoignages de la grandeur passée et, dans les champs, il n’était pas rare que les charrues accrochent et mettent au jour des objets. Pièces, tessons de poterie et autres motifs de pierre attiraient l’attention des spécialistes.
Au début du XXe siècle, des fouilles furent entreprises par Léon Massiou autour de l’actuel moulin (qui remonte, au XVIIe siècle). Elles reprirent en 1935 pour s’arrêter dans les années 1960. La ville énigmatique retomba dans l’oubli.
La nature reprit ses droits, en l’attente d’un renouveau. Il se produisit en 1975 quand Jacques Dassié, prospecteur, "redécouvrit" Barzan grâce aux photographies aériennes. D’importantes structures se dessinaient sur le sol, laissant supposer ampleur et organisation sociale.
La cité antique avait déjà été repérée au XVIIIe siècle par Claude Masse, ingénieur et géographe de Louis XIV, qui avait pour mission d’étudier les côtes de Saintonge. Il avait alors remarqué les bases d’une tour romaine et la présence d’un théâtre.

Une centaine d’hectares

La vue d’ensemble laisse apparaître une agglomération d’envergure, d’une centaine d’hectares. Sur l’image de synthèse qui a été réalisée, on aperçoit bon nombre de bâtiments publics, une importante voirie, de grosses constructions. Parmi celles-ci, des thermes, un forum, des édifices religieux, des quartiers d’habitations, des magasins de stockage. Pas de doute, il s’agissait d’un centre administratif important ! L’avenue principale, de 300 mètres de longueur, relie deux zones de temples. Les nombreux entrepôts sont signes de prospérité et d’échanges. Des marchandises transitaient par cet endroit. En effet, la Gironde constituait un moyen de transport à l’intérieur des terres, sans oublier la mer et les voies terrestres : Barzan était un carrefour commercial.

Le théâtre, de 80 mètres de diamètre, a trouvé place dans la colline, au creux d’un relief naturel situé face à l’estuaire. Agrandi, il a été transformé en amphithéâtre. Dans le mortier, les clous d’une paire de souliers sont venus jusqu’à nous. Un clin d’œil de nos lointaines ancêtres !

Selon les chercheurs, le sanctuaire, qui abritait le temple circulaire, date du IIe siècle après J.-C. Toutefois, le secteur était occupé dès le Ve siècle avant J.-C. par les Gaulois puisque l’on a retrouvé divers éléments permettant cette datation, dont céramiques, fibules et un détail de vaisselle étrusque (fragment de poignée d’un bassin servant à se laver les pieds). Cet objet rare est le troisième répertorié dans l’hexagone. Le nombre et la qualité des objets prouvent que les habitants étaient prospères et raffinés.

Théâtre avec vue sur l’estuaire

Stéphane Gustave de l'ASA Barzan

Dans la colline, l’œil averti devine une structure en demi-cercle. Un ancien théâtre se trouvait là et les archéologues (Antoine Nadeau, Graziella Tendron) sont chargés d’en extraire “la substantifique moelle“. Toutes les semaines, Stéphane Gustave y organise une visite guidée et c’est avec intérêt que les visiteurs suivent ses commentaires. « Il est important de montrer cette nouvelle structure au public. Elle a été édifiée au Ier  siècle de notre ère pour être agrandie au siècle suivant où elle a été dotée d'une arène  » souligne ce passionné qui appartient à l’ASA Barzan. Pourquoi sa destination a-t-elle changé ? Tout simplement parce que le théâtre a perdu de sa popularité au IIIe  siècle. Les habitants attendaient autre chose !
Placé face à l’estuaire, le lieu est propice à d’évasion, mais il convient d’être prudent. À l’heure de sa prospérité, il est probable qu’un mur d’enceinte masquait l’étendue d’eau. Ou, tout au moins, il était trop haut pour que le regard se perde dans l’horizon. Au théâtre, il vaut mieux éviter de distraire les spectateurs  par des éléments extérieurs !

Hormis des maçonneries, les objets retrouvés sont rares. Le lieu n’étant pas une habitation, cette réalité s’explique facilement. Par ailleurs, le site a été visité, revisité et amputé d’une bonne partie de ses pierres qui ont servi aux constructions des alentours. Les pierres venaient de Thénac, Pons et de carrières situées en Gironde (Marcamps). Certaines sont parvenues jusqu’à nous avec leurs sculptures (une magnifique corniche a été datée de la première moitié du Ier siècle) ainsi qu’un fragment qui laisse apparaître le signe des premiers chrétiens. « Il s’agissait d’un théâtre avec des murs et des gradins en pierre, et non en bois » remarque Stéphane Gustave. Du solide qui démontre le prestige de la ville avoisinante !

Après avoir abrité des comédiens parés de leurs célèbres masques, la scène a dû accueillir des spectacles “musclés“, animés par des équipes se rendant de ville en ville (on ne peut pas s’empêcher de faire un parallèle avec les footballeurs actuels !). « Les fouilles nous permettent d’avancer dans la connaissance. La tâche n’en reste pas moins importante » avoue Stéphane Gustave, d’autant que le site a été abandonné vers la fin du IIIe  siècle, début du IVe siècle, pour des raisons d’insécurité vraisemblablement. Une maquette de l’édifice sera réalisée l’an prochain. Une idée vient à l’esprit : quand la crise ne sera plus qu’un mauvais souvenir, pourquoi ne pas redonner à ce site sa vocation culturelle ? Une piste à étudier...

Le squelette complet d‘un cheval, daté du XIVe siècle, a été retrouvé intact dans le chantier de fouille. Une découverte étonnante !


Imaginez ce théâtre face à l’estuaire. Grandiose ! La visite est guidée par Stéphane Gustave tous les lundis et mercredis à 15 heures.

• Des pirates à l’origine de l’abandon ?

Pourquoi cette ville aux belles dimensions a-t-elle été abandonnée ? Serait-ce en raison de l’envasement du port ? Ou bien s’agirait-il d’une crise économique, voire d’une épidémie ? Pour les historiens, cette situation découlerait des périls liés à la piraterie.
À partir des années 250, Saxons et Francs descendirent sur nos côtes pour les piller. Or, ce grand port, situé entre Nantes et les Pyrénées, était très exposé car non protégé. Face à l’insécurité grandissante, Barzan a pu être abandonnée au profit de Blaye où une garnison était stationnée. Blaye se serait alors développée (en même temps que Bordeaux), tandis que Barzan, moins stratégique, se serait endormie pour toujours…

• Une machine unique dans toute la Gaule

Depuis plus de dix ans, des fouilles se poursuivent. Dédiées à Mars, le dieu de la guerre, « les imposantes ruines correspondent au podium d’un temple circulaire monumental. Sa forme de tradition indigène, centrée et ouverte à l’est, est la copie de la Tour de Vésone à Périgueux. Il était entouré par une galerie, péribole délimitant l’espace sacré ». Une occupation antérieure, gauloise en particulier, a été identifiée. Les universités de Bordeaux, Poitiers et La Rochelle, ainsi que Pierre Aupert, directeur de recherches au CNRS, travaillent sur le site depuis 1998. Des images de synthèse permettent d’imaginer la structure des thermes, dont l’emplacement a fait l’objet d’un aménagement. Elle avait fière allure avec ses colonnes corinthiennes : « ce bâtiment était en partie connu depuis les premiers sondages effectués en 1938. Ensuite, ce périmètre a été rebouché ». Ce vaste édifice de 3 000 m2 date de l’époque de Trajan. Son architecture est classique avec son couloir, sa schola (pièce de réunion) et des salles où les hommes venaient se remettre en forme après sudation et exercices. À proximité, se trouvaient des boutiques, des maisons d’habitation et des latrines publiques. La découverte la plus intéressante concerne le système d’alimentation en eau. Il comprenait un large puits de seize mètres de profondeur. Le mécanisme servait à transporter l’eau grâce à une roue entraînée par une chaîne à godets. Préservé par les eaux de la nappe phréatique, il ne s’est pas altéré malgré le temps. L’état du bois, exceptionnel, a été une aubaine pour les archéologues.
Très abîmés par le temps et recouverts de terre, les “horrea“ ont livré peu d’indices sur le commerce qui transitait par les entrepôts. Les fouilles actuelles concernent le théâtre. Une localisation du port ou des ports est programmée.

Masques de théâtre et frises inachevées

Site ouvert tous les jours.
Renseignements 05 46 90 43 66.

Reportage/Photos Nicole Bertin

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