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lundi 3 août 2009

Paléosite de Saint Césaire :
Il y a trente ans, François Levêque tombait sur un os...

1979 - 2009 : Les trente ans de Pierrette la Néandertalienne


Samedi dernier, le Paléosite de Saint Césaire a fêté les trente ans de la découverte de “Pierrette“, l’héroïne des lieux.
C’est en 1979 que la fouille, entreprise à la Roche à Pierrot sous la direction de François l’Évêque, mit à jour des restes humains qui allaient bouleverser les milieux scientifiques. En effet, le squelette retrouvé démontra que les Néandertaliens étaient encore présents à la fin du Paléolithique moyen.
En conséquence, ils avaient côtoyé les Homo sapiens (nos ancêtres) installés en Europe. Ce fut une révélation puisqu’on pensait que les deux branches s’étaient succédé ! Dès 1976, Bernard Dubiny, chercheur amateur, avait attiré l’attention des universitaires sur la richesse du site saintongeais…



L’affaire remonte à juillet 1979. En découvrant le squelette partiel d’une Néandertalienne dans des couches de terrain du Châtelperronien, les équipes de François Lévêque, conservateur à la Direction régionale du Patrimoine de Poitou-Charentes et Bernard Vandermeersch, alors directeur du Laboratoire d’anthropologie de l’université de Bordeaux, ont “changé“ l’histoire de l’humanité. Néandertal et Cro-Magnon avaient été contemporains : La nouvelle était à peine croyable !

La découverte est d’autant plus intéressante qu’elle concerne la Charente-Maritime. Le gisement se trouve à Saint Césaire, entre Saintes et Burie. Quelques années avant cette annonce retentissante, Bernard Dubiny, un passionné de préhistoire, avait remarqué d’abondants silex aux abords d’une champignonnière. Ces témoignages du passé avaient provoqué sa curiosité. Il prévint alors des amis qui alertèrent les milieux intéressés.

Vous connaissez la suite. Les fouilles, étalées sur plusieurs années, aboutirent à l’événement qui fit de cette région un lieu connu des scientifiques du monde entier.
« L’aventure aurait pu s’arrêter là et rester la chasse gardée des spécialistes » remarque l’un des pionniers, le professeur Bernard Vandermeersch.

Sur place, les élus avaient des avis partagés sur le sujet. Un mot est resté célèbre, celui d’un conseiller général qui déclara, quand fut lancée l’idée d’un musée : « on ne fera pas du pot au feu avec cet os » !
Heureusement, d’autres personnalités voyaient la question sous un autre angle, à commencer par le regretté René Boucher, ancien maire de Saint-Césaire et propriétaire de la carrière de Pierrette, baptisée ainsi pour une raison simple : le lieudit de sa “localisation“ s’appelle “la Roche à Pierrot“ ! Cette petite femme pouvant devenir aussi célèbre que Lucy, pourquoi resterait-elle dans l’ombre ?


La création d’un centre d’interprétation de l’homme de Néandertal fit son chemin dans les esprits, poussée par le Président de la Vallée du Coran, Xavier de Roux. Séduit, le Conseil Général, que présidait à l’époque Claude Belot, soutint ce projet validé par d’éminents chercheurs dont Yves Coppens.

L’histoire de nos origines, revue et corrigée, était en marche. Le centre ouvrit en 2005. Depuis, il reçoit de nombreux visiteurs, intéressés par ce retour dans le temps. Des films, dont “L’odyssée de l’espèce“, y ont été projetés. L’intérêt grandit car la mise en scène, par une scénographe moderne, capte l’attention du public. Contrairement à certains lieux, fort intéressants mais figés, le Paléosite est à la fois interactif et pédagogique.

Les Entretiens de Saint-Césaire

Intéressant pour la région, ce rendez-vous annuel réunit d’éminents spécialistes, dont l’astrophysicien Hubert Reeves venu parler de la sixième extinction.
Cette année, Bernard Vandermeersch, qui enseigna à l’Université de Bordeaux, Jean-Jacques Hublin, professeur à l’Institut Max Planck d’anthropologie de Leipzig et Marie Soressi, archéologue préhistorienne, étaient invités à faire le point sur les recherches actuelles.

Réunis à la Roche à Pierrot, sous l’œil attentif des responsables du Paléosite, Vincent Armitano Grivel et Virginie Teilhol, l’assistance a écouté avec attention les anecdotes des fouilleurs, alors étudiants, que dirigeait François Lévêque (décédé en 2008).
La découverte des premières dents retint leur attention (non, ce n’était pas du cochon !) et l’émotion fut à son comble quand des ossements apparurent. Le souffle coupé, tous avaient l’intime conviction de vivre un moment exceptionnel dont ils étaient les acteurs. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre !

La découverte de Saint Césaire (un scoop, selon le terme journalistique) a modifié la chronologie admise : Néandertal était toujours présent quand les hommes modernes ont commencé à coloniser la Terre.

Pour mémoire, les Néandertaliens (dont les premiers spécimens ont été localisés en Allemagne en 1856), ont peuplé l’Europe et le Proche-Orient entre 120000 et 35000 ans avant J.C. Bien qu’ils aient été contemporains de l’Homo sapiens à une époque, ils se sont peu rencontrés. Et quand ce fut le cas, ils se combattirent probablement (d’où la disparition progressive, mais bien réelle des Néandertaliens)…


On ignore si ces deux espèces étaient interfécondes. De nombreuses polémiques ont eu lieu à ce sujet et, à ce jour, le chaînon manquant reste à trouver. Quant à la perméabilité des cultures, il est évident que les uns ont forcément bénéficié du savoir-faire des autres.

 
Néandertal parmi 17 espèces d’hominidés

Quel que soit le scénario, l’image négative que nous avions de Néandertal, « gros demeuré qui tire sa femme par les cheveux, sa massue dans l’autre main » est à ranger définitivement.
Dans sa vie quotidienne, Néandertal n’était pas aussi primaire que l’ont prétendu les livres d’histoire durant des décades. Pour preuve, il employait de fines lames taillées et non plus de simples éclats.
Il a été victime « d’une sorte de racisme » comme le fut l’homme de Pékin découvert en 1921 aux côtés d’une belle panoplie d’objets. Intrigués, les érudits le jugèrent incapable d’une telle dextérité. Ils les attribuèrent à un être plus évolué qui, funeste destin, l’aurait mangé (l’anthropophagie était répandue)…

La grande histoire de l’homme est peuplée d’incertitudes et d’une foule d’interrogations. Comment pourrait-il en être autrement ? Le temps, en effet, est une barrière bien plus insurmontable que la chaîne de l’Himalaya. La Terre s’est formée il y a 4,6 milliards d’années. Une broutille au regard de l’éternité, un gouffre pour nous ! Des premières cellules aux grands dinosaures, que de chemin parcouru que les scientifiques essaient de décrypter…

Durant une très longue période, les animaux (dont on peut voir des reproductions au Paléosite) n’eurent aucune idée de l’être humain. L’homme restait à inventer !
Son arrivée changea littéralement la face du monde et de l’environnement. Il devint l’élément dominant et, sur les 17 espèces d’hominidés qui peuplèrent la planète, « Homo sapiens est celui qui s’est imposé et n’a jamais été évincé » souligna Jean-Jacques Hublin.

Des générations d’écoliers ont appris que l’homme descendait du singe, hérédité qui déclenchait des fous rires dans les salles de classe. Aujourd’hui, cette théorie a été abandonnée. La lignée humaine est “buissonnante“ avec des rameaux bien distincts, les pré humains et les singes ayant emprunté des voies parallèles.

Nos ancêtres, les australopithèques, ont pour berceau l’Afrique et la Vallée du Rift. Leurs découvreurs les ont surnommés Lucy (3 millions d’années), Abel ou Orrorin (six millions d’années). Ils marchent et grimpent à la fois, à condition que leur “linea aspera“ (muscle du fessier) soit propice à cet exercice. Sinon, ils ont les fesses plates, comme ce fut le cas pour Lucy. Avec ses 1,10 m et ses 25 kg, elle n’était pas un top modèle et se dandinait. Des siècles furent nécessaires pour que sa postérité prenne une plus fière allure.

 
Le règne de l’Homo Sapiens tout puissant

Face au changement climatique - coup de fraîcheur d’un côté, aridité des régions tropicales de l’autre - les hominidés ont la bougeotte et sont dans l’obligation de migrer (réchauffements et glaciations sont des épisodes courants sur la Terre).
Prospecteurs de nouvelles niches écologiques, ils n’hésitent pas à se déplacer. Manger, c’est assurer leur survie et celle de leur race. Leur curiosité est-elle le symbole d’un début de conscience ? Ils façonnent du matériel de plus en plus performant qui leur permet de traquer le gros gibier. Et s’il vient à manquer, le groupe se déplace et fait de nouvelles rencontres, d’où des métissages.

Néanmoins, il existe une exception pour l’Europe actuelle dont les frontières sont fermées par un immense glacier. Cette barrière rebute les tribus venues du Proche-Orient et d’Afrique. En nos contrées, il ne fait pas bien chaud et Pierrette doit grelotter. Nous avons un permafrost et le sol est gelé comme dans la toundra. Cet isolement, et le moindre choix qui en découle quant aux unions, ont vraisemblablement favorisé une dérive génétique. Néandertal aurait ainsi trouvé son “accomplissement“ et ses traits se seraient accentués.

Peu à peu, il adopte les pratiques des Cro-Magnon. Il enterre ses morts, s’orne le corps, collecte des fossiles et prend le virage des nouvelles technologies paléolithiques. Bref, il fait travailler ses méninges !

Sans qu’on sache vraiment pourquoi, Néandertal a disparu il y a un peu plus de 30 000 ans (comme son cousin de Java, d’ailleurs) après une évolution de près de 400 000 ans. A-t-il été exterminé, s’est-il éteint de sa belle mort en raison d’une forte consanguinité ? A-t-il été victime d’une épidémie ou de malnutrition ? Pierrette garde jalousement son secret.

« Par la pensée, l’homme a développé une responsabilité qui lui est propre » déclarait Yves Coppens lors d’une conférence à Saint-Césaire.
Malgré sa vulnérabilité, Homo Sapiens a traversé les âges et dompté la nature, dans la mesure de ses moyens. Un miracle que cette créature qui possède l’incroyable volonté d’avancer, quels que soient les embûches et les dangers qui jonchent sa destinée.

Et si c’était la plus belle histoire au monde ? Ou la plus délicate puisqu’en occupant la Terre, cette espèce est en train de la piller, d’où les doutes qui l’animent ? En effet, comme le souligne Jean Jacques Hublin avec réalisme, « les hommes modernes se sont répandus sur toute la Terre, ont supplanté toutes les formes d’humanités archaïques, intensifié leur exploitation de l’environnement et mener à l’extinction bien d’autres espèces ».

Surpopulation, maladies, pollutions, cataclysmes, pratiques d’apprentis sorciers : Homo Sapiens a démontré sa supériorité, mais son intelligence est-elle suffisamment accomplie pour le protéger de lui-même ?


 
• L'info en plus :

Pierrette ou Pierrot ?


À Saint-Césaire, une controverse s’est produite quant aux ossements mis au jour : s’agissait-il d’un homme ou d’une femme ? Dans un premier temps, Pierrette fit l’unanimité, puis certains scientifiques prétendirent qu’il s’agissait un homme baptisé “Pierrot“. Face à une déception grandissante, de la part des féministes en particulier, on s’accorda sur un point : la question n’ayant pas une importance capitale, Pierrette l’emporta ! D’où la réflexion d’Yves Coppens : « le sujet est aussi ambigu que le sexe à attribuer à Saint-Césaire ».
Il est vrai que l’on dit plus facilement Sainte-Césaire que Saint-Césaire. Pourtant, il n’y a pas d’équivoque à ce sujet : Césaire était évêque d’Arles au VIe siècle, époque des sépultures trouvées devant l’église de Jonzac. Il eut même une grande influence dans l’église franque.
Quant à Pierrette, seul son bassin dirait si c’est une dame. Or, il n’a pas été retrouvé.

Pourquoi Néandertal a-t-il disparu ?

Jean-Jacques Hublin a soulevé une question importante : Pourquoi l’Homo Sapiens a-t-il évincé Néandertal ? Il y a fort peu de chances pour que Pierrette ait croisé un homme moderne, les populations étant réparties sur d’immenses territoires. Tant pis pour les âmes romantiques qui imaginaient une histoire d’amour entre cette jeunette et un Cro-Magnon ardent ! Selon de récents travaux universitaires, le nombre de femmes néandertaliennes en Europe a été estimé à 3 500. L’équivalent de la population actuelle de Jonzac…
Le nombre total d’individus était limité : si les Néandertaliens disparurent, les Homo sapiens se multiplièrent !



Un nouveau champ de réflexion

Marie Soressi, ingénieur de recherche à l’INRAP, a parlé de la façon dont la découverte de Saint Césaire a relancé le débat sur les capacités des Néandertaliens. Étudiante, elle a travaillé avec François Levêque dont elle a salué la rigueur et le professionnalisme : « Quand Pierrette est découverte dans une couche de terrain associée à une industrie laminaire datée de 35 000 ans considérée jusque-là œuvre des hommes modernes, une nouvelle ère de recherche s’ouvre. La vision quant à l’évolution des comportements a donc changé, des influences entre populations migrantes et locales pouvant aboutir à des convergences ».

Une sorte de coup de tonnerre  !

Le gisement de Saint Césaire aurait pu disparaître sans l’action rapide et coordonnée de Bernard Dubiny qui alerta François Levêque, lequel sollicita Bernard Vandermeeersch, alors directeur régional des Antiquités. Ce dernier réalisa le dégagement des restes osseux avec Mario Chech, ingénieur au CNRS.
« La surface fut isolée et le bloc ainsi dégagé fut consolidé dans sa totalité, puis plâtré et retiré avec précaution de la couche pour être emporté au Laboratoire de paléontologie de Paris VI.
Après avoir sorti une mandibule et une partie du frontal, il devint évident que nous étions devant un néandertalien. Ce fut pour nous comme une sorte de coup de tonnerre. Un néandertalien dans du Châtelperronien ! La première annonce de cette découverte fut une dépêche de l’AFP qui surprit les chercheurs du monde entier. Certains n’y crurent pas et il fallut plusieurs années pour qu’ils se rendent à l’évidence. Cette découverte a suscité de nouvelles interrogations sur les rapports entre Néandertaliens, les hommes modernes et leurs influences réciproques. Saint Césaire restera une source importante de réflexion pour les chercheurs » remarque Bernard Vandermeersch.

 
Jack Bouyer, de Biron, a sculpté la statue de Pierrette qui se trouve au Paléosite. Sur cette photo d’archives, il est aux côtés de René Boucher, François Levêque et Anna Baker, chercheuse américaine qui fouille régulièrement en Saintonge avec ses étudiants (archives Nicole Bertin).




L’une des premières réunions du Comité Scientifique, avec Yves Coppens, Xavier de Roux et Claude Belot (archives Nicole Bertin). 

Samedi dernier, le fils de René Bouchet, propriétaire de la champignonnière, rappela le combat de son père pour que la découverte de Pierrette puisse connaître une suite. Curieusement, ce maire communiste obtint le soutien des élus de droite (dont Claude Belot et Xavier de Roux) et peu de gauche. Aujourd’hui, le Paléosite, qui figure parmi les grands projets du Département, est encadré par le président du Conseil Général, Dominique Bussereau (UMP).
Le climat reste toujours tendu puisque le conseiller général de Burie, Sylvain Brouard (PS), ne participe pas aux Entretiens de Saint-Césaire. Ambiance…

Visite au musée des Bujoliers, cher à M. et Mme Maixent, par Jean Jacques Hublin, Alain Galteau et l’équipe des fouilleurs de François Lévêque et Bernard Vandermeersch. Des vitrines sont consacrées à l’histoire de Pierrette. Que de souvenirs !

M. Blanchet a rendu hommage à Bernard Dubiny ainsi que M. Chantereau, maire de Saint-Césaire

Pendant tout l’été, exposition autour de la découverte de Pierrette. 
Renseignement au 05 46 97 90 90 ou paleosite.fr


 
Photo 1 : Néandertal a sans doute peu croisé les Hommes modernes

Photos 2 et 3 : Le public réuni à la Roche à Pierrot

Photo 4 : Le bloc de "Pierrette" exposé au musée des Bujoliers

Photo 5 : D’anciens étudiants et étudiantes, dont Françoise Lavaud Girard et Lysiane Belloy-Petit, ont raconté leurs campagnes de fouilles à Saint Césaire (de 1976 à 1987), évoquant moult détails et anecdotes. Bernard Dubiny suivait l’affaire de près, ainsi que René Boucher et les habitants de la commune.

Photo 6 : Jean Jacques Hublin, Marie Soressi et Bernard Vandermeersch

Photo 7 : Jean Jacques Hublin et Alain Galteau

Photo 8 : Xavier de Roux et M. Boucher

Photo 9 : Visite au musée de Bujoliers

Photo 10 : Le crâne de Pierrette

Photo 16 : M. Buisson-Catif, conservateur régional de l’Archéologie, lors du dîner.

Photo 17 : Lors du dîner servi au Paléosite, Alain Galteau a longuement parlé, avec Xavier de Roux, du parcours numéro 5 à faire dans l’autobus de Kéolis entre Saint-Jean d’Angély et Saintes, avec étape à Saint-Hilaire, Saint Sauvant et Chaniers. La suite au prochain numéro !

Photo 18 : Le fils de René Boucher qui suivit de près cette découverte. Pourquoi la découverte de Saint Césaire est-elle devenue célèbre rapidement ? Tout simplement parce que les travaux scientifiques ont été publiés en anglais ! D’ailleurs Pierrette a été présentée lors d’une exposition aux États-Unis. Une façon comme une autre de répondre aux théories créationnistes !

Reportage/Photos Nicole Bertin

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