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vendredi 6 mars 2009

Pierre Bergé, le rat et le petit lapin : Incident diplomatique entre la France et la Chine


La vente de la collection de Pierre Bergé et d’Yves Saint Laurent fait parler d’elle.
D’une part par le montant des enchères (en trois jours, elles ont rapporté 373,5 millions d’euros), mais surtout parce que deux têtes d’animaux ornant l’ancien Palais d’été, à Pékin, sont à l’origine d’un sérieux différend entre Pierre Bergé et le gouvernement chinois. Le dernier rebondissement est cocasse. L’acheteur, qui s’est d’ailleurs révélé être Chinois, ne veut pas les payer. Il encourt les poursuites de Christie’s et des dommages à verser.
Désormais, le lapin et le rat, que Pierre Bergé déclare vouloir garder, sont invendables
sur le marché de l’art. Ambiance...

2009, année de crise et de baisse du pouvoir d’achat. On s’inquiète, on s’agite. En pleine morosité, voilà que surgit l’affaire Pierre Bergé, un homme pour qui la vie n’est pas une ennemie. Il a parcouru un long chemin depuis sa naissance, en 1930, dans l’Île d’Oléron et son baccalauréat passé à la Rochelle. Il est monté à Paris, comme on disait autrefois.
Bien inspiré, il a tracé sa voie et sa rencontre avec Yves Saint Laurent, a été déterminante. Conscient de son talent, il l’a aidé à se faire un nom dans l’univers feutré de la mode parisienne. Il ne s’est pas trompé. YSL a été le Vinci de la haute couture, celui qui suscitait l’émotion, la beauté, le mouvement. Toutes les femmes ont rêvé de porter ses modèles, symboles d’élégance.

Une riche collection

Aimer Saint Laurent, c’est entrer dans le monde artistique. Au fil des ans, Pierre Bergé et YLS ont constitué une collection “coup de cœur”, reflet de leurs personnalités. Ornant leur appartement, elle a cimenté leurs souvenirs.
Anciens, certains objets sont parfois les héritiers d’une histoire mouvementée. Ainsi, deux statuettes chinoises de la dynastie des Qing, achetées par Pierre Bergé en 1980. Datant du XVIIIe siècle, elles faisaient partie des douze têtes animales qui décoraient une clepsydre zodiacale ornant le Pavillon de la Mer calme, dans l’ancien Palais d’été. Un lieu renommé de Pékin où les Empereurs venaient se reposer aux heures chaudes.
En 1860, alors que la deuxième guerre de l’opium fait rage, l’endroit est pillé par des troupes franco-anglaises qui emportent « des trésors de guerre ». À l’époque, l’écrivain Victor Hugo s’émeut et dénonce ces pratiques, si éloignées de l’humanisme et de la tolérance. Ainsi disparaissent des œuvres qui passent en d’autres mains. Sur le lac, reste le bateau de marbre immobile de Cixi : il est si lourd que nul ne peut le manœuvrer et donc l’emporter !
Le rat et le lapin, qui viennent de réapparaître, appartiennent à ce butin. Ils sont les rescapés d’un voyage qui les a conduits jusqu’en France. Comment sont-ils arrivés à Paris ? Voilà une énigme à résoudre, mais Pierre Bergé, qui en est le propriétaire actuel, les a acquis légalement.
La semaine dernière, ils faisaient partie des 733 pièces mises aux enchères par la maison Christie’s. En effet, à la mort d’YSL, Pierre Bergé a choisi de vendre le “passé”. Son objectif : soutenir la fondation YSL ainsi que des associations caritatives grâce aux fonds recueillis.

Rendez-nous les statuettes !

Si la vente n’avait pas été aussi médiatisée, nous n’aurions peut-être jamais entendu parler de l’affaire Bergé ! A leur apparition, le rat et le lapin, orphelins de naissance, attirent l’attention de la Chine, leur patrie originelle. Appartenant à son patrimoine, les dirigeants demandent aussitôt leur restitution, sans bourse délier.
S’ensuit un véritable bras de fer entre Christie’s, Pierre Bergé et la Chine. Qui s’inclinera ? Le pire qui puisse arriver à un Chinois est de perdre la face. Dans ce domaine, Pierre Bergé ne se laisse pas intimider. Ces deux têtes sont à lui et il ne perdra pas la sienne pour les beaux yeux de l’Empire du Milieu !
Les responsables de l’ancien Palais d’Eté de Beijing, le Yuanmingyuan, demandent à ce qu’on retire de la vente le rat et le lapin, requête assortie d’une menace de procès. Une équipe de plus de 80 avocats chinois adresse une lettre à la maison Christie’s.
Rien n’y fait puisque Pierre Bergé, n’étant pas né en 1860, ne se sent pas responsable de la disparition des objets. Il porte l’estocade en lançant un véritable défi aux Chinois : il offrira le rat et le lapin quand la Chine s’engagera à respecter les droits de l’homme et rendra son indépendance au Tibet. Dans le genre “pied de nez”, on a rarement fait mieux !
A Pékin, on bouillonne : « cette affaire porte atteinte aux droits culturels des citoyens chinois et heurte leurs sentiments ». La tension monte.
La vente se déroule et mercredi dernier en soirée, les deux animaux sont adjugés 15,7 millions d’euros chacun (au-dessus des 10 millions de leur estimation haute) à un mystérieux et courageux acheteur joint par téléphone.
La polémique, qui semble calmée, repart de plus belle quand l’identité de l’acquéreur est dévoilée. Il s’agit d’un Chinois, Cai Mingchao, représentant une fondation spécialisée dans la récupération d’œuvres d’art volées (Xiamen). En fait, la maison Christie’s aurait dû pressentir la tournure des événements selon le vieil adage : si tu ne peux pas parvenir au but, il faut le contourner !
M. Mingchao fait savoir qu’il ne paiera pas les statues. Sans doute contrarié, Pierre Bergé rétorque qu’elles resteront chez lui : « elles y étaient, elles y retourneront »...
Cette malheureuse aventure risque-t-elle de provoquer un incident diplomatique ? On pourrait en rire si, une fois de plus, elle ne manifestait un grave dissentiment entre France et la Chine à l’heure où cette dernière n’apprécie guère les commentaires français sur l’indépendance du Tibet et le Dalaï Lama. Que Pierre Bergé ait cru faire de l’esprit en liant la restitution des statues volées à la question tibétaine rend évidemment politique ce qui était une simple querelle privée, d’autant que tout le monde - y compris en Asie - sait que Pierre Bergé, grand ami de la famille Mitterrand, a une influence dans l’hexagone où il soutient Désirs d’avenir, l’association de Ségolène Royal, actuelle présidente de la région Poitou Charentes.
Pour la paix des états, souhaitons que ce « fait divers » puisse trouver un aboutissement heureux. Sinon, un jour ou l’autre, l’Egypte demandera à la France son obélisque et ses momies tandis que l’Inde pourrait agir de même avec l’Angleterre. Imaginez la Reine Elisabeth sans ses fameux diamants. Il ne resterait que Dieu pour la sauver...


Infos en plus

• Christie’s et François Pinault ont-ils du souci à se faire ?

La Chine a averti la société de ventes aux enchères des « graves conséquences » qui découleront de cette vente sur son développement en Chine. Le Bureau d’Etat des Musées et des Découvertes archéologiques a d’ailleurs exprimé son fort mécontentement. « La Chine et la France ont toutes deux signé la Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés de 1995, selon laquelle tous les biens culturels volés ou perdus à cause de la guerre doivent être restitués sans délais à leur pays d’origine » déclarent les spécialistes.
Le célèbre homme d’affaires, François Pinault est l’un des principaux actionnaires de Christie’s. Il soutient le peuple tibétain et ne s’en est jamais caché. La presse chinoise, qui ne fait pas les choses à moitié, rappelle également qu’il contrôle un magazine national où Christie’s a exprimé sa position. « Les deux têtes d’animaux en bronze seront rendues si les droits de l’homme sont améliorés en Chine et le feu vert donné à l’indépendance du Tibet » a dit P. Bergé. Une telle déclaration a fait des ronds dans l’eau.
On en saura plus sur cette affaire dans quelques semaines…

• Il manque encore 5 têtes

La Chine est parvenue à récupérer cinq des 12 têtes d’animaux : le bœuf, le singe, le tigre, le cochon et le cheval. Le lapin et le rat sont la propriété de Pierre Bergé qui pourrait être amené à des transactions avec la Chine si la pression entre France et Empire du Milieu devient trop « pressante ». Une intervention du Quai d’Orsay en ce sens n’est pas à exclure. Restent les cinq autres têtes. On ignore où elles se trouvent (dragon, serpent, chèvre, coq et chien).


• Autre polémique : le financement de Ségolène Royal par Pierre Bergé ?

Décidément, du moins s’il croit en l’astrologie, les planètes sont en révolution dans la ciel de Pierre Bergé !
Cette fois-ci, il s’agit de politique. Tout a commencé quand Pierre Bergé, « compagnon de route du parti socialiste », a déclaré « qu’il mettait à disposition de l’association Désirs d’avenir des locaux à Paris ». Information d’ailleurs confirmée par Wikipédia : « Pierre Bergé a soutenu Ségolène Royal pour la présidentielle 2007 et était présent à Villepinte lors de la présentation de son pacte présidentiel, le 11 février 2007. Il finance également le nouveau siège de l’ex-candidate à l’élection présidentielle (un appartement de 150 m, boulevard Saint Germain, dans le 6e arrondissement de Paris). Pierre Bergé est aussi président du Bureau de l’Association des amis de l’Institut François Mitterrand ».
En fait, Ségolène Royal, qui n’a pas souhaité cohabiter avec Martine Aubry au siège officiel du PS, préfère être dans ses propres murs avec son association. Une façon de prouver son indépendance...
Seul hic, Éric Woerth, ministre du budget, s’est alors interrogé sur le financement de Désirs d’avenir. Ce mouvement est-il une simple association qui peut être soutenue par n’importe quel mécène ou, au contraire, un parti politique qui doit obéir à la loi sur la transparence financière ? La question reste ouverte, d’où des explications musclées sur le sujet qui ont alimenté les chroniques durant plusieurs semaines.

Photo 1 : Pierre Bergé

Photos 2 et 3 : Les deux bronzes, une tête de rat et une tête de lapin. L’acheteur chinois a un mois pour honorer son enchère. À l’expiration de ce délai, si la somme n’a pas été payée, Pierre Bergé a deux solutions : soit il récupère les statuettes et les conserve, soit il les remet en vente. Si le prix de cette nouvelle enchère n’est pas aussi élevé que le premier, M. Mingchao devra payer la différence (loi 2000).

Photo 4 : Le Palais d'Été

Photo 5 : L’encyclopédie des Antiquités et de la Brocante de Maurice Rheims annonce la couleur : cette armoire vient vraisemblablement du pillage du Palais d’Eté... De nombreux objets et du mobilier ont ainsi disparu. Certains réapparaissent de temps en temps.

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