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dimanche 22 mars 2009
Modernisation de l'armée : Avec le Général de Corps d’Armée, Bruno Clément-Bollée, commandant la Région Terre Sud-Ouest
En 1966, le Général de Gaulle, peu favorable à la domination américaine, avait décidé
de quitter l’Otan. En 2009, le président de la République, Nicolas Sarkozy, vient d’annoncer le retour de la France au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Cette décision met fin à une valse-hésitation commencée en 1991 quand la France, sous la présidence de François Mitterrand, réintégra le traité, en faisant exception du commandement militaire. C’est ainsi que les forces françaises se trouvèrent engagées dans les Balkans et notamment au Kosovo.
Cette politique ne pouvait pas durer : ou bien la France reprenait le contrôle total de sa défense nationale (ce que souhaitaient les purs Gaullistes, mais il fallait alors la financer), soit elle allait jusqu’au bout de son engagement dans l’Otan en partageant le commandement militaire. C’est maintenant chose faite.
En l’attente de ce retour qui sera important pour l’armée française (il devrait avoir lieu en avril), le général de Corps d’Armée Bruno Clément-Bollée, commandant la Région Terre Sud-Ouest, répond à nos questions :
L’armée est en pleine évolution. Engagé par l’Etat, le plan de modernisation s’est traduit par des restructurations qui ont suscité des réactions (craintes à Saintes pour la Base de Paban, départ confirmé du 519ème Régiment du Train à La Rochelle). Où en sommes-nous ?
Il est bon de rappeler pourquoi cette modernisation a été entreprise. Ne rien changer et continuer sans tenir compte des évolutions et des menaces nouvelles, c’était aller droit dans le mur.
La modernisation de la Défense est le produit de deux dossiers distincts qui se rejoignent dans leurs conclusions. Il s’agit d’abord du Livre blanc où, tous les quinze ans, les autorités de la nation évaluent si les outils de la Défense sont en adéquation avec la menace du moment.
Le deuxième volet est lié aux conséquences de la révision générale des politiques publi-ques où chaque ministère a été appelé à rechercher des économies. Le Ministère de la Défense en fait bien sûr partie.
L’ensemble des conclusions a abouti au gigantesque dossier de restructuration que nous appelons « la modernisation de la Défense ».
Dans un souci d’économie, toutes les entités de la Défense mutualiseront leur administration générale et leur soutien commun. Plus de 80 bases de défense devraient être déployées sur le territoire français métropolitain, outre-mer et étranger. Il ne faut pas perdre de vue qu’en cinq ans, l’outil de la Défense doit supprimer 54.000 postes, d’où cette organisation nouvelle de toutes les entités de défense en bases de défense.
En Charente-Maritime, le 519ème Régiment du Train de La Rochelle est concerné. Une capacité amphibie, spécialité de ce régiment, sera conservée. Deux sites sont prévus en France, l’un sur la Méditerranée, l’autre sur l’Atlantique.
En ce qui concerne la façade Ouest, le dossier, en phase d’étude, a été confié à la Marine. Pour l’instant, nous ignorons quel lieu sera retenu.
Les spécialistes de la capacité amphibie de la Rochelle partiront en Méditerranée où ils armeront l’élément qui sera installé à Toulon. Il s’agit donc d’un transfert restructuré.
Que deviendront les bâtiments laissés vacants par l’armée ?
La destination future de ces bâtiments ne relève pas du Ministère de la Défense. Le gouvernement a demandé aux préfets de monter et d’animer des “comités de sites“. Des spécialistes seront appelés à réfléchir sur la nouvelle utilisation des bâtiments laissés vacants par le départ ou le transfert d’unités, et sur la reconversion du personnel civil et militaire ayant choisi de rester sur place pour des raisons personnelles. Bien sûr, personne ne sera laissé au bord du chemin. Un plan d’accompagnement des restructurations vient d’ailleurs d’être adopté. Y sont détaillées toutes les mesures auxquelles peuvent prétendre les personnes affectées par ces restructurations.
La France a t-elle une armée qui lui permet de soutenir une diplomatie internationale ?
Le Livre Blanc, élaboré en 2008, a montré que si le monde n’était pas plus dangereux, il était plus incertain. La menace a évolué et nous devons y faire face en réadaptant l’outil de défense français. Toutes les options prises vont dans ce sens.
En août 2008, des soldats français ont été tués en Afghanistan dont l’un d’eux, Damien Buil, habitait le Sud Saintonge. A cette époque, le manque de moyens dont disposerait l’armée a été soulevé. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Il faudrait poser la question aux soldats qui ont été sur place ou s’y trouvent encore. Quand on arrive sur un nouveau théâtre d’opérations avec des menaces identifiées, mais qui peuvent s’appliquer d’une façon tout à fait nouvelle, il existe des procédures d’adoption accélérée de programmes qui permettent de réagir rapidement en termes d’équipements et d’adaptation. C’est ce que l’armée de terre a fait, en particulier en Afghanis-tan, et l’effort réalisé a été considérable. Aujourd’hui, les soldats qui servent en Afghanistan s’estiment bien équipés et bien ravitaillés, mais les combats sont particulièrement durs et l’équipement n’est pas en cause.
Une réduction des forces françaises en Côte d’ivoire a été décidée après les violents conflits qui ont divisé le Nord et le Sud de ce pays. Ce retrait se justifie-t-il ?
La situation a fortement évolué en Côte d’Ivoire. En mars 2007, le Président ivoirien, Laurent Gbagbo, et Guillaume Soro, aujourd’hui Premier Ministre et secrétaire général des Forces Nouvelles, ont signé les accords de Ouagadougou. Pour la première fois, les ex-belligérants ivoiriens se sont accordés pour aller ensemble à la paix. L’actuel gouvernement, qui comprend des personnalités du Nord et du Sud, est représentatif de cet accord.
D’interposition hier, notre rôle est devenu d’accompagnement. La situation se stabilisant, la pression sécuritaire est moins forte. Vient alors le moment où le volume des troupes en place est décalé par rapport à la réalité du terrain. Aujourd’hui, nos missions en Côte d’Ivoire peuvent être gérées avec 900 hommes.
En Côte d’Ivoire, vous vous êtes personnellement investi dans des micro-projets. Dans quels domaines se situent-ils ?
Je suis arrivé en Côte d’Ivoire au lendemain de la signature des accords de Ouagadougou. Le premier problème à résoudre était le démantèlement de l’armée rebelle qui se payait sur le dos de la population qu’elle était censée protéger au Nord du pays. Cela imposait donc de réinsérer ces hommes économiquement, d’où l’idée de leur proposer des micro-projets. En quelques mois, nous avons reconverti une cinquantaine d’ex-combattants. Pour un tiers d’entre eux, au travers du montage d’une ferme d’élevage de poulets, pour un autre tiers par la mise sur pied d’une fabrique de semoule de manioc, et pour le dernier tiers, par l’ouverture d’un restaurant qui servait du poulet et de la semoule de manioc. Nous sommes parvenus à leur faire poser leurs kalachnikovs...
Les Nations Unies ont trouvé le projet suffisamment intéressant pour récupérer des fonds. Cinq millions de dollars ont permis de multiplier à grande échelle ces micro-projets. L’idée de M. Choi, représentant des Nations Unies en Côte d’Ivoire, est de réaliser 1000 micro-projets au profit de ces anciens soldats.
Lors de la conférence sur la sécurité qui s’est déroulée à Munich, Nicolas Sarkozy a annoncé l’installation, en Alsace, d’un bataillon allemand appartenant à la Brigade Franco-Allemande. Pourrait-on aller plus loin dans la coopération ?
La BFA répond à deux objectifs : d’abord politique, elle montre la force du lien franco-allemand ; militaire ensuite car cet outil, utilisé en opérations extérieures, a montré sa pertinence. Qu’il soit à égalité partagée entre la France et l’Allemagne démontre que les deux pays veulent résolument se mettre en cohérence sur les grands problèmes. Les troupes françaises et allemandes se complètent remarquablement.
Parlons des associations humanitaires. Comment travaillent-elles avec l’armée ?
La situation a beaucoup évolué. Il y a quinze ans, armée et associations humanitaires se découvraient et elles ont appris à mieux se connaître au cours des engagements communs.
Aujourd’hui, je constate - et je peux m’en référer à l’expérience que j’ai eue l’an dernier en Côte d’Ivoire - que les deux mondes savent additionner leurs capacités respectives. Chacun a compris ce que fait l’autre et l’intègre dans sa propre stratégie.
Général, vous avez passé de nombreuses années en Afrique au point de consacrer une thèse à l’ethnie Somalie. Le continent noir semble compter beaucoup pour vous...
Chaque homme est le fruit d’expériences qui forgent son caractère. Vivre durant deux ans et demi dans le désert au sein d’une troupe où vous êtes le seul à parler votre langue vous place dans une situation particulière : si vous n’apprenez pas la langue du pays, vous vous mettez de vous-même dans l’isolement !
Se trouver à l’étranger éveille des curiosités. Au bout d’un certain temps, vous découvrez la rationalité d’un autre monde que vous ignoriez jusqu’alors. Des différentes expériences que j’ai connues, je retiens surtout ces moments d’échange et de partage.
J’ai rencontré des peuples très attachants qui méritent le plus grand respect. Dans le désert, par exemple, on ne méprise pas le caravanier ou le nomade car il sait tout et vous, vous ne savez rien ! Il est l’héritier de savoirs considérables dans le contexte de son monde. Sur les Champs Elysées, personne ne porterait attention à lui.
J’ai vécu de grands moments en Afrique, Côte d’Ivoire, déserts tchadiens, forêts centrafricaines, mais aussi à Madagascar où j’ai encadré un projet qui visait à faire participer l’armée malgache au développement de son pays. En fait, le monde entier m’intéresse...
• L'info en plus
Parmi les nombreuses affectations du Général de Corps d’Armée, Bruno Clément-Bollée, se trouve l’Afrique à qui il a consacré plus de 25 années de service (dont la Côte d’Ivoire où il a commandé l’opération Licorne).
Spécialiste de la Corne de l’Afrique, il garde un souvenir émouvant de ses débuts dans la Garde nomade de l’armée djiboutienne. Attentif au monde qui l’entoure, il a consacré une thèse à l’ethnie Somalie.
Par la suite, devenu commandant des Forces armées dans la zone sud de l’Océan Indien, il s’est, qui sait, rapproché de son passé familial. En effet, son grand père, originaire de Rochefort, s’était installé à Madagascar en 1921. Il y avait créé une entreprise de produits alimentaires baptisée “la Rochefortaise“.
Photo 1 : Le Général de Corps d'Armée Bruno Clément-Bollée
Carte : les troupes françaises à l'étranger
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